Les cancers de la gencive, ne passons plus à côté ! Gingival cancer, don't miss it! - JPIO n° 2 du 01/05/2019
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2019

 

Article

Kinz BAYET 1 / Léa BONTEMPS 2 / Sophie-Myriam DRIDI 3 / Anne-Laure EJEIL 4  

1- Interne des hôpitaux de Paris en chirurgie orale, Université Paris Descartes2- AHU en parodontologie, Université Paris Descartes3- MCU-PH en parodontologie, Université Nice-Sophia Antipolis4- MCU-PH en chirurgie orale, Université Paris Descartes

Résumé

Résumé

Les tumeurs malignes correspondent à une prolifération anarchique de cellules anormales, qui ont la capacité d'envahir les tissus voisins et d'essaimer à distance. Au sein de la cavité orale, ces tumeurs peuvent parfois se développer dans la gencive. Or ces cancers gingivaux sont malheureusement peu ou mal connus des odontologistes. La connaissance de leurs caractéristiques cliniques et paracliniques, ainsi que de leurs principaux diagnostics différentiels, est pourtant essentielle pour limiter les erreurs et les retards diagnostiques pouvant mettre en jeu le pronostic vital des patients.

L'objectif de cet article est de présenter les caractéristiques propres des principaux cancers gingivaux, afin de favoriser leur dépistage et de réduire au minimum leur délai de prise en charge dans les services spécialisés.

Summary

ABSTRACT

Malignant tumors correspond to an uncontrolled proliferation of abnormal cells, which have the capacity to invade neighboring tissues and spread at a distance. In the oral cavity, these tumors can sometimes develop in the gingiva. These gingival cancers are unfortunately little or poorly known to odontologists. Knowledge of their clinical and para-clinical characteristics, as well as their main differential diagnoses, is essential in order to limit diagnostic errors and delays that may be life-threatening for patients.

The purpose of this article is to present the characteristics of the main gingival cancers, in order to promote their screening and to minimize their delay in the management of specialized services.

Key words

Gingival cancer, malignancies, epidermoid carcinoma, leukemia, lymphoma.

Les tumeurs malignes correspondent à une prolifération anarchique de cellules atypiques ayant la capacité d'essaimer à distance. En France, les cancers de la cavité orale affectent essentiellement les adultes et les derniers chiffres officiels font état de 16 000 cas par an (Institut national du cancer, 2018). Parmi ces cancers, les tumeurs malignes gingivales sont réputées agressives et de mauvais pronostic. Ces données sont généralement dues à la difficulté d'établir un diagnostic. Effectivement, hormis les situations cliniques sévères, l'anamnèse et la sémiologie des tumeurs malignes gingivales sont souvent peu spécifiques et méprennent l'odontologiste non averti. Ces maladies peuvent, par exemple, s'exprimer uniquement par une inflammation gingivale ou une destruction parodontale localisée. Le diagnostic différentiel avec les pathologies dentaires ou parodontales d'origine non tumorale peut alors s'avérer difficile, et seul un examen complémentaire histologique et/ou biologique permettra de révéler le processus malin. Mais encore faut-il savoir quand indiquer cet examen, grâce à une démarche diagnostique raisonnée.

L'objectif de cet article est de présenter les caractéristiques essentielles des principaux cancers de la gencive afin de favoriser leur détection précoce et de réduire au minimum leur délai de prise en charge pluridisciplinaire dans les services spécialisés. Dans un souci didactique, nous avons volontairement distingué les cancers gingivaux primitifs des expressions gingivales des pathologies malignes systémiques.

Les cancers gingivaux primitifs

Les cancers sont dits primitifs lorsque les cellules mutées se développent dans le tissu dont elles sont issues, formant une masse dénommée « tumeur maligne ». Les cellules cancéreuses ont tendance à envahir les tissus voisins et à se détacher de la tumeur primaire pour se disséminer dans d'autres tissus ou organes, formant ainsi les métastases.

Les carcinomes épidermoïdes

Les carcinomes épidermoïdes (CE) oraux affectent essentiellement les adultes, pour lesquels ces tumeurs malignes représentent 95 % des cancers de la cavité orale. Moins de 10 % d'entre eux sont localisés au niveau des gencives (Ramesh et Sadasivan, 2017). Le tabac et la consommation d'alcool sont les principaux facteurs de risque ; leur association est redoutable en raison de leur synergie d'action qui multiplie par 15 le risque d'apparition de ces cancers (Institut national du cancer, 2018). L'inflammation chronique des gencives, induite par la plaque dentaire ou d'origine iatrogène (prothèses amovibles inadaptées, épine dentaire irritative...), favoriserait également leur développement, de même que les lésions à risque de transformation tel que le lichen plan (Collège national des enseignants de chirurgie maxillo-faciale, 2017).

Chez l'enfant, les CE oraux sont exceptionnels mais, contrairement à l'adulte, la proportion de localisation gingivale suit de près celle de la langue. Les facteurs de risque restent à déterminer ; les maladies génétiques telles que l'anémie de Fanconi ou le Xeroderma Pigmentosum prédisposeraient les jeunes patients à ce type de cancer (Binahmed et al., 2007 ; Moreau et al., 2017).

Sur le plan clinique, les signes fonctionnels inauguraux sont généralement discrets, le patient décrit « une grosseur ou un aphte » qui ne cicatrise pas, asymptomatique ou générant une simple gêne. La lésion élémentaire se situe plus fréquemment sur la gencive postérieure mandibulaire (Barasch et al., 1995) ; elle prend volontiers l'aspect soit d'une excroissance sessile inflammatoire bourgeonnante ou papillomateuse, érythémateuse ou kératosique, soit d'une ulcération végétante aux bords irréguliers, surélevés, parfois éversés, le versant externe étant recouvert d'une muqueuse congestive, le versant interne finement végétant se prolongeant avec le fond de l'ulcération (Szpirglas et Ben Slama, 1999 ; Fitzpatrick et al., 2013 ; Dridi et al., 2013) (fig. 1 à 3). Ces lésions non douloureuses, ou légèrement sensibles lorsqu'elles sont peu étendues, sont hémorragiques au moindre contact. Leur croissance est rapide ; en quelques semaines ou quelques mois, elles peuvent aisément envahir les espaces interdentaires ainsi que l'os alvéolaire sous-jacent, la gencive étant un tissu peu épais (Dridi et al., 2013 ; Yoshida et al., 2018) (fig. 4 et 5). L'essaimage progressif des cellules tumorales génère alors des lésions osseuses, d'aspect mité aux contours inhomogènes (Ramesh et Sadasivan, 2017), à l'origine de mobilités dentaires, voire d'une anesthésie dans le territoire du nerf alvéolaire inférieur (V3) pour les formes gingivo-mandibulaires (signe de Vincent) (Collège national des enseignants de chirurgie maxillo-faciale, 2017). Tant que la tumeur siège au sein de la gencive, la perception d'une induration périlésionnelle n'est pas palpable, la gencive étant par définition attachée à l'os alvéolaire. En revanche, l'induration devient évidente lorsque les cellules cancéreuses gagnent les muqueuses bordantes voisines (fond du vestibule, plancher buccal, voile du palais, joue...) (fig. 6). Dans ces situations, les adénopathies, traduisant la migration régionale des cellules cancéreuses, sont absentes au début de l'apparition de la lésion. Lorsqu'elles existent, ces adénopathies sont fermes et non douloureuses à la palpation, plutôt homolatérales pour les tumeurs latérales et bilatérales pour les tumeurs médianes ou antérieures (Collège national des enseignants de chirurgie maxillo-faciale, 2017). Tant que les cellules cancéreuses ne rompent pas leur capsule, leur mobilisation reste possible.

Dans les stades tardifs, les signes fonctionnels sont plus évocateurs et traduisent un envahissement des structures voisines par les cellules gingivales cancéreuses : dysphagie, otalgies réflexes, fétidité de l'haleine, limitation de l'ouverture buccale, protraction linguale difficile ou déviée, difficulté d'élocution, stomatorragies...

Toutes ces données cliniques sont indispensables à relever lors de la démarche diagnostique, mais elles restent insuffisantes pour établir le diagnostic de certitude. Les manifestations cliniques des carcinomes épidermoïdes peuvent effectivement être facilement confondues avec les pseudotumeurs et tumeurs bénignes de la gencive (se reporter à l'article de Bellakhdar et al., 2019). Associées à des alvéolyses, ces manifestations peuvent simuler les signes cliniques des parodontites induites par la plaque dentaire, notamment lorsque la maladie parodontale existe avant le développement de la tumeur (Gupta et al., 2014 ; Bharanidharan et al., 2015 ; Collège national des enseignants de chirurgie maxillo-faciale, 2017). Le diagnostic différentiel d'ulcération traumatique surinfectée ou d'origine médicamenteuse peut également être évoqué. Les antirésorbeurs osseux, par exemple, peuvent provoquer des expositions osseuses associées à des ulcérations gingivales, mais l'aspect radiologique est celui d'un séquestre osseux.

L'examen anatomopathologique est le seul examen complémentaire qui permet de préciser le diagnostic de certitude. Il confirme le type cellulaire, le degré de différenciation ainsi que la nature infiltrante de la tumeur. Un bilan d'extension est ensuite nécessaire pour préciser la taille du cancer, son envahissement local et régional, et pour rechercher une éventuelle deuxième localisation synchrone présente dans 20 % des cas (Collège national des enseignants de chirurgie maxillo-faciale, 2017). Une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) décidera alors du traitement adéquat en fonction des éléments recueillis et de l'état général du patient, souvent altéré par une consommation alcoolo-tabagique chronique.

Le traitement repose sur l'exérèse chirurgicale de la tumeur associée, en cas d'adénopathies et en fonction des résultats de l'anatomopathologie, à un curage ganglionnaire et/ou à une radiothérapie postopératoire. À la mandibule, la chirurgie nécessite une résection qui, lorsqu'elle est interruptrice, oriente vers une reconstruction. Au maxillaire, la chirurgie peut provoquer une communication bucco-sinusienne ou bucco-nasale, nécessitant une réhabilitation, soit par un appareil obturateur, soit par des procédés classiques après reconstruction chirurgicale. Si le patient est inopérable, soit à cause de la taille de la lésion, soit à cause d'un état général fortement altéré (balance bénéfice/risque défavorable), une association radio-chimiothérapie est proposée (Haute autorité de santé, 2009). Malgré la prise en charge, le pronostic reste sombre, surtout si l'os spongieux est atteint par le processus tumoral (Yoshida et al., 2018) ; les taux de survie avoisinent les 64 % à 5 ans lorsque la taille du cancer gingival ne dépasse pas 2 cm dans sa plus grande dimension, et 10 % lorsque ce dernier a envahi les structures voisines (Feki et al., 2008). Un suivi médical sur plusieurs années est obligatoire.

Le carcinome verruqueux (Zhu et al., 2012 ; Peng et al., 2016)

Le carcinome verruqueux est une tumeur maligne bien différenciée de bas grade, appartenant à la catégorie des carcinomes à cellules squameuses. De croissance lente, il se développe préférentiellement chez l'homme de plus de 60 ans, avec un taux de survie avoisinant les 50 % à 5 ans.

Son étiologie est complexe et multifactorielle. Il partage les mêmes facteurs de risque que ceux des carcinomes épidermoïdes. Toutefois, l'implication des virus humains papillomateux semble écartée. Par ailleurs, ce type de cancer peut se développer sur un lichen plan ancien hyperkératosique.

Lorsque la tumeur siège au sein de la gencive, elle prend l'aspect typique d'une plaque blanche exophytique, formant progressivement une masse lobulée verruqueuse, parfois associée à des plages érythémateuses.

L'examen microscopique montre des cellules épithéliales bien différenciées, avec peu d'atypies cellulaires ; les crêtes épithéliales sont hypertrophiées et pénètrent profondément au sein du tissu-conjonctif sous-jacent, formant des « pushing borders ». Le plus souvent, la tumeur reste circonscrite dans l'épithélium et respecte la membrane basale ; le risque de dissémination régionale ou à distance est en effet peu élevé, ce qui améliore son pronostic par rapport aux carcinomes épidermoïdes. L'examen anatomopathologique permet de différencier le carcinome verruqueux des autres cancers à cellules squameuses, ainsi que de l'hyperplasie verruqueuse et du papillome squameux.

L'exérèse complète de la tumeur est le traitement de choix pour les localisations purement gingivales. En cas d'extension majeure du carcinome aux structures muqueuses voisines, la chimiothérapie à base de méthotrexate et la radiothérapie peuvent être envisagées seules ou en association.

Le plasmocytome extra-médullaire (Moshref et al., 2007 ; Alwan et al., 2010 ; Trivedi et al., 2016)

Le plasmocytome résulte de la prolifération néoplasique des cellules plasmocytaires. La tumeur est soit médullaire – c'est le plasmocytome solitaire osseux –, soit extra-médullaire, localisée aux tissus mous. Le plasmocytome extra-médullaire (PEM), essentiellement solitaire, se développe au niveau de la tête et du cou dans plus de 80 % des cas. Il s'agit d'une tumeur peu fréquente qui touche préférentiellement les hommes à partir de 60 ans. Bien que son étiologie soit inconnue, plusieurs facteurs de risque ont été identifiés, parmi lesquels une stimulation antigénique chronique (ostéomyélite, polyarthrite rhumatoïde), un antécédent d'irradiation, une infection virale ou encore une susceptibilité génétique.

La localisation gingivale est peu courante. Le PEM prend alors l'aspect d'un nodule pourpre voire violacé, hémorragique, pédiculé ou sessile, de surface lisse ou à l'inverse polypoïde. Selon sa taille, la tumeur peut combler le vestibule et envahir l'os alvéolaire sous-jacent, générant alors des mobilités et/ou des migrations dentaires. Les signes fonctionnels peuvent être conséquents, de type douleurs ou paresthésies associées à des adénopathies. Du fait de sa rareté, de l'absence de signes pathognomoniques ou de symptômes spécifiques, les erreurs et retards diagnostiques sont malheureusement habituels.

Le diagnostic différentiel s'établit avec le granulome périphérique à cellules géantes, le lymphome ou encore le myélome multiple à localisation extra-médullaire. La transformation du PEM en myélome multiple n'est pas négligeable, aux alentours de 15 %.

L'histologie met en évidence un tissu conjonctif infiltré d'une prolifération monoclonale de cellules plasmocytaires disposées en feuillets ou en îlots. Cet examen doit être complété par une numération et une formule sanguine, une biopsie ostéo-médullaire ou encore un examen squelettique. En effet, l'absence d'atteinte osseuse est en faveur d'un PEM isolé, tandis que la mise en évidence d'une anémie, d'une hypercalcémie, d'une insuffisance rénale ou d'une infiltration de la moelle osseuse par les cellules plasmocytaires oriente vers le myélome multiple.

La radiothérapie est le traitement de choix car le plasmocytome est très radiosensible. L'adjonction d'une chimiothérapie est indiquée pour les formes avancées ou pour prévenir la transformation de la lésion en myélome multiple. L'exérèse chirurgicale est peu pratiquée.

Un suivi à long terme est essentiel, compte tenu du risque de métastase ou de transformation du PEM en myélome multiple.

Le mélanome (Francisco et al., 2016; Taga et al., 2016)

Dans la cavité orale, les mélanomes muqueux sont exceptionnels et représentent 0,5 % des cancers oraux. Ils sont retrouvés préférentiellement chez les hommes mélanodermes et asiatiques de plus de 40 ans.

Leur aspect clinique n'est pas caractéristique : macule, ou plage unique, asymptomatique, hyperpigmentée, de couleur brune, noire, bleutée ou polychrome. Leur évolution, aussi bien en surface qu'en profondeur, est rapide (semaines ou mois). Dans les cas avancés, la lésion élémentaire peut prendre l'aspect d'une plaque ulcérée à sa surface (fig. 7).

Le diagnostic différentiel est difficile et doit se faire avec les autres lésions pigmentées gingivales uniques : le nævus, le lentigo ou le tatouage exogène. Afin de faciliter l'orientation précoce du diagnostic des mélanomes cutanés, l'Organisation mondiale de la santé préconise d'utiliser les critères ABCDE (acronyme pour Asymétrie, Bords irréguliers, Couleur inhomogène, Diamètre important, Évolution rapide). Malheureusement, ces critères ne sont pas valables pour les mélanomes oraux.

L'examen histologique révèle la présence de mélanocytes immatures aux noyaux hypertrophiques et hyperchromatiques caractéristiques d'une forte activité mitotique.

Le pronostic est généralement mauvais en raison de la vitesse de progression de la tumeur et du risque élevé de métastases et de récidives.

Le traitement de première intention est chirurgical et consiste en une exérèse large de la lésion intéressant la gencive mais aussi de l'os sous-jacent. La chimiothérapie et la radiothérapie seules sont jugées inefficaces sur ces tumeurs agressives ; toutefois, la chimiothérapie peut être indiquée en traitement palliatif lorsque le traitement chirurgical n'est pas envisageable.

Le sarcome de Kaposi

Le sarcome de Kaposi est une tumeur maligne d'origine endothéliale induite par le virus humain de l'herpès de type 8 (HHV-8). Lorsqu'il est associé au SIDA, sa localisation orale représente 15 % des localisations (Nichols et al., 1995), le plus souvent au niveau du palais ou de la gencive (fig. 8). Il se présente cliniquement sous la forme d'une plage ou d'un nodule rouge violacé pouvant envahir l'os sous-jacent, entraînant des mobilités dentaires et des ulcérations muqueuses (Wakoh et al., 2016). Le diagnostic différentiel doit se faire avec le granulome pyogénique, l'hémangiome et l'hypertrophie médicamenteuse. Le traitement du sarcome de kaposi lié au SIDA repose essentiellement sur le traitement antirétroviral.

Les cancers gingivaux secondaires

Les cancers gingivaux secondaires correspondent à une métastase d'une pathologie maligne primitive issue d'un autre organe. En plus des carcinomes métastatiques d'origine mammaire, digestive ou pulmonaire, la gencive peut être le siège d'une infiltration de cellules hématopoïétiques et lymphoïdes.

Les leucémies

Les hémopathies sont des pathologies malignes caractérisées par une prolifération anormale des cellules hématopoïétiques. Une mutation cellulaire empêche la maturation des précurseurs blastiques qui s'accumulent dans la moelle osseuse. Ces cellules peuvent également infiltrer le réseau lymphatique, le système nerveux central ainsi que la peau et les tissus buccaux dont la gencive. Il n'existe pas encore d'étiologie définie mais les facteurs de risque tels que l'irradiation, les troubles chromosomiques et les infections virales sont cités dans la littérature (Chowdhri et al., 2018). À ce jour, 4 grandes catégories de leucémies sont distinguées (Watson et al., 2018), en fonction de leurs morphologies, de l'origine des cellules cancéreuses – leucémies lymphoblastiques et myéloblastiques – et de leur évolution – leucémies aiguës et chroniques (Fernandes et al., 2018). Ces pathologies touchent aussi bien les adultes, notamment les jeunes, que les enfants ; elles représentent d'ailleurs 30 % des pathologies malignes infantiles (Francisconi et al., 2016).

Les manifestations orales et notamment gingivales peuvent être le signe clinique avant-coureur de ces maladies, d'où l'importance de leur détection précoce (fig. 9) (Ravikumar et al., 2016 ; Fernandes et al., 2018). Ces manifestations, caractérisées par un accroissement gingival diffus (pouvant même recouvrir les couronnes dentaires) (Sibaud et al., 2016) ou des ulcérations gingivales, surviennent pour 17,7 % des formes aiguës et pour 4,4 % des formes chroniques (Jain et al., 2016 ; Sibaud et al., 2016). L'inflammation gingivale est généralisée et souvent bimaxillaire. La gencive est œdématiée, vernissée, rouge à cyanosée. Les gingivorragies sont spontanées (Dridi et al., 2013). En outre, contrairement au carcinome épidermoïde et hors contexte de parodontite, aucune perte osseuse n'est retrouvée (Fernandes et al., 2018).

Le tableau clinique habituel associe en plus une altération de l'état général (asthénie, anorexie, amaigrissement), des adénopathies bilatérales, et fréquemment un état fiévreux pseudo-grippal.

Les diagnostics différentiels incluent toutes les formes cliniques d'hypertrophies inflammatoires de la gencive d'origine infectieuse, hormonale, traumatique ou médicamenteuse (se reporter à l'article de Lechien et al., 2019).

Une numération et une formule sanguine sont indispensables pour établir le diagnostic. L'examen histologique est par ailleurs nécessaire car il permet de confirmer l'invasion des cellules blastiques ou myéloïdes immatures et de révéler des marqueurs spécifiques.

La prise en charge repose sur une chimiothérapie et/ou une thérapie ciblée. Une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques est parfois proposée (Haute autorité de la santé, 2011).

Les lymphomes

Les lymphomes regroupant la maladie de Hodgkin et les lymphomes non hodgkiniens sont des hémopathies lymphoïdes extra-médullaires. À l'instar des leucémies, les événements oncologiques restent à élucider mais certains facteurs de risque sont reconnus tels qu'une immunodépression, une infection et des agents toxiques environnementaux.

L'expression gingivale secondaire de ces deux entités cliniques est rare (Szpirglas et Ben Slama, 1999 ; Silva et al., 2016) et prend la forme d'une tuméfaction gingivale mandibulaire ou palatine, lisse ou associée à une ulcération, compressible, non douloureuse et pouvant entraîner une hypoesthésie du territoire envahi par les cellules cancéreuses (fig. 10) (Dridi et al., 2013). Les adénopathies sont fréquentes et souvent bilatérales. L'état général peut être altéré.

Au palais, le diagnostic différentiel s'établit avec toutes les pathologies qui se manifestent cliniquement sous la forme d'un nodule ulcéré, à savoir le carcinome épidermoïde et toutes les tumeurs des glandes salivaires accessoires. Les adénocarcinomes, par exemple, peuvent créer la confusion en se situant à proximité des collets dentaires. Par ailleurs, le diagnostic différentiel doit également tenir compte des pathologies péri-apicales qui peuvent aussi provoquer, au maxillaire comme à la mandibule, des tuméfactions gingivales consécutives à une lyse osseuse d'origine dentaire.

Seul l'examen anatomopathologique permet de révéler la prolifération des cellules lymphoïdes malignes. Une numération et une formule sanguine ne sont pas indiquées car les lymphomes se forment dans les tissus.

Le traitement fait appel à la chimiothérapie associée ou non à la radiothérapie (Moradi et al., 2018) ; il permet la disparition des localisations gingivales dans les mois qui suivent l'introduction de la prise en charge médicale (Jain et al., 2016 ; Chowdhri et al., 2018).

Conclusion : ce qu'il faut retenir (tableau 1)

Les cancers gingivaux sont malheureusement peu ou mal connus des odontologistes. Leur rôle dans la détection précoce de ces cancers est pourtant prépondérant : en effet, un examen clinique complet et systématique du parodonte superficiel permet dans la majorité des cas l'interception des tumeurs malignes. Sans nécessairement maîtriser les caractéristiques précises de chacune des lésions, l'acquisition de quelques réflexes simples limite les erreurs et retards diagnostiques :

– tout accroissement gingival aigu survenant dans un contexte d'altération de l'état général impose un bilan biologique afin d'écarter une hémopathie, surtout chez le sujet jeune ;

– une ulcération gingivale unique, indolore, sans étiologie locale associée et qui ne cicatrise pas doit attirer l'attention et éveiller la plus grande vigilance. Si ces ulcérations sont le plus souvent retrouvées chez l'adulte en présence de facteurs de risque, elles peuvent malheureusement être diagnostiquées chez tous les patients, y compris les enfants ;

– enfin, une macule ou plage pigmentée unique, d'apparition récente, d'évolution rapide et en l'absence de soins récents à proximité, nécessite un examen anatomopathologique rapide.

Face à une lésion gingivale qui semble bénigne, le premier diagnostic différentiel à évoquer est la lésion maligne lui correspondant le mieux.

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