Lichen plan gingival et implants dentaires : quel pronostic ? Gingival lichen planus and dental implants : which prognosis? - JPIO n° 2 du 01/05/2019
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2019

 

Article

Charlotte PANTCHENKO1  2 / Valérie SCHOM1 / Frédérick GAULTIER3  4 / Sophie-Myriam DRIDI5  6  

1- Attachée de la consultation de parodontie et de pathologie de la muqueuse buccale, hôpital Henri-Mondor (Créteil)2- Parodontie exclusive, Paris1- Attachée de la consultation de parodontie, hôpital Henri-Mondor (Créteil)3- MCU/PH UFR d'odontologie, université Descartes-Paris V4- Département chirurgie orale et pathologies des muqueuses buccales, hôpital Henri-Mondor (Créteil)5- MCU/PH UFR d'odontologie, université Nice-Sophia Antipolis6- Département de parodontologie, hôpital Saint-Roch (Nice)

Résumé

Résumé

À ce jour, il n'existe aucun consensus sur l'utilisation des implants pour les patients atteints d'une pathologie d'origine immunitaire à expression gingivale telle que le lichen plan.

Cette revue de la littérature a donc pour objectif d'évaluer l'impact d'une chirurgie implantaire sur la muqueuse lichénienne, d'explorer la prévalence des échecs implantaires et/ou des complications relatifs à cette maladie chronique, et d'expliquer les éventuelles conséquences de la corrosion du titane sur son évolution.

Pour les auteurs, l'indication implantaire, tant pour la prothèse implanto-portée que pour les prothèses stabilisées, semble la solution thérapeutique de choix. Les prothèses implanto-stabilisées, de plus en plus prescrites, présentent un ratio coût / bénéfice / risque optimisé et constituent aujourd'hui un traitement de référence pour les édentés totaux, permettant de préserver des muqueuses d'une extrême fragilité. Par ailleurs, l'absence d'inflammation de la muqueuse gingivale et l'observance d'une bonne hygiène buccale et du suivi parodontal sont des facteurs clés de la réussite implantaire, dont l'indication impose un état quiescent voire contrôlé du lichen plan muqueux.

Summary

ABSTRACT

To date, there is no consensus on the use of oral implants for the patients suffering from dysimmunitary affections with gingival expression such as oral lichen planus.

Thus, the objective of this review of literature is to estimate the impact of an oral implant surgery on the lichenous mucosa and to explore the prevalence of implants failures and/or complications related to this chronic disease. Finally, the aim of this review is to explain any possible consequences of the titanium corrosion on the oral lichen planus evolution.

For the authors, the indication of implants, both for implant-supported prosthesis and implant-stabilized prostheses, seems the therapeutic solution of choice. Implant-stabilized prostheses, more and more prescribed, present an optimal cost / benefit / risk ratio and constitute a treatment of reference for total edentulous, allowing a protection of the oral mucosa which is extremely fragile. Besides, the absence of mucosal/gingival inflammation, the observance of a good oral hygiene and a regular periodontal follow-up are key factors for implant success, which requires a quiescent state of the oral lichen planus.

Key words

Gingival lichen planus, dental implants, peri-implantitis, epidermoid carcinoma.

Introduction

Le lichen plan est une maladie inflammatoire chronique cutanéo-muqueuse associée à un dysfonctionnement immunitaire médié par les lymphocytes TCD8+ ciblant les épitopes kératinocytaires. Son étiologie n'est à ce jour pas totalement élucidée. Le lichen plan est idiopathique ou secondaire à d'autres maladies immunitaires, mais des facteurs génétiques, psychologiques et iatrogènes (médication, alliages dentaires) sont également incriminés (Weber et Agbo-Godeau, 2013). Par ailleurs, les épines dentaires irritatives, le tabagisme, les aliments épicés ou acides, les traumatismes tissulaires et la plaque dentaire sont considérés comme des éléments aggravant les signes cliniques et la symptomatologie (Dridi et al., 2014).

Il s'agit d'une maladie de l'adulte qui toucherait 0,5 à 2 % de la population générale, essentiellement les femmes de 30 à 60 ans, les enfants étant rarement affectés (McCartan et Healy, 2008 ; Cascone et al., 2017). Outre la peau et les phanères, cette maladie se manifeste également au niveau des muqueuses malpighiennes avec des formes exclusivement buccales dans 25 % des cas.

La localisation gingivale se retrouve en 4e position après les joues, les replis vestibulaires et la langue (Oliveira Alves et al., 2010). Cette dernière localisation peut être isolée ou prédominante en cas d'atteinte plurifocale. Plusieurs expressions cliniques gingivales sont distinguées, lesquelles sont le reflet de l'altération de la fonction kératinocytaire et de l'importance de l'infiltrat inflammatoire : les formes blanches quiescentes en réseau, en plaque ou d'aspect papulaire sont asymptomatiques ; les formes rouges témoignent quant à elles de l'activité du lichen plan. Parmi ces dernières, les formes discrètement érythémateuses sont peu ou pas symptomatiques. A contrario, les formes présentant un érythème prononcé, érosives voire bulleuses, sont actives, douloureuses et peuvent altérer la qualité de vie des patients.

La prise en charge ne concerne que les formes symptomatiques et/ou évolutives (Thongprasom et al., 2011 ; Cheng et al., 2012). Elle repose habituellement sur une corticothérapie locale associée à un traitement parodontal qui permet de contrôler l'inflammation gingivale induite par la plaque dentaire. Si ces étapes du traitement ne posent pas de difficultés majeures, il n'en est pas de même de la réhabilitation prothétique partielle ou totale qui peut s'avérer délicate. Lorsque les prothèses fixées dento-portées ne peuvent pas être envisagées, le praticien doit opter soit pour une prothèse amovible, soit pour une prothèse implanto-portée. Les prothèses amovibles ne sont pas recommandées car elles augmentent significativement le risque de blessure des muqueuses lichéniennes. Les prothèses implanto-portées présentent des avantages cliniques : elles permettent de pallier le manque de stabilité et de rétention des dispositifs amovibles ; elles améliorent sans réserve le confort et la fonction des patients (Diz et al., 2013).

Mais l'utilisation des implants n'est toujours pas codifiée pour les patients atteints de lichen plan gingival et plusieurs questions restent encore en suspens :

– la pose d'un implant au sein d'une muqueuse lichénienne augmente-t-elle le risque de complications immédiates ?

– la muqueuse lichénienne est-elle un facteur de risque de mucosite ou de péri-implantite ?

– le titane peut-il induire des lésions lichéniennes ?

– la présence d'un implant dans une muqueuse lichénienne augmente-t-elle le risque de transformation du lichen plan en carcinome épidermoïde ?

L'objectif de cet article est d'apporter des éléments de réponse aux questions précédentes. Pour ce faire, nous avons réalisé une recherche bibliographique sans date limite de publication et sans filtre, sur les sites Medline et de la Cochrane Collaboration avec les mots clés « oral lichen planus and dental implants », « oral lichen planus, mucositis and dental implants », « oral lichen planus, peri-implantitis and dental implants », « oral lichen planus and titanium » et « oral lichen planus, dental implants and oral squamous carcinoma ». Sur les 29 articles que nous avons sélectionnés à partir des résumés, seulement 14 ont été retenus car ils permettaient de répondre aux questions posées. En termes d'études, cela correspond à 7 séries de cas, 1 cohorte prospective, 3 études rétrospectives, 1 étude histologique, 1 étude transversale et 1 étude clinique non contrôlée. Sur 18 ans, ces études totalisent seulement 106 patients et 385 implants (tableau 1). Par ailleurs, aucune d'entre elles ne présente un niveau de preuve élevé.

Par conséquent, nous n'émettons que des réponses provisoires, conscients des réserves qui s'imposent en pareilles circonstances.

La pose d'un implant au sein d'une muqueuse lichénienne augmente-t-elle le risque de complications immédiates ?

Le phénomène de Koebner fait partie intégrante de la physiopathogénie du lichen plan. Ce phénomène éponyme bien connu en dermatologie a été décrit par un dermatologue allemand dans les années 1970 ; il définit l'induction d'une dermatose (et par extension d'une maladie muqueuse) en peau (ou muqueuse) saine ou cicatricielle (Académie de médecine ; Boyd et Neldner, 1990).

Les études actuellement disponibles dans la littérature confirment cette notion lorsqu'une chirurgie implantaire est réalisée sur une muqueuse atteinte de lichen plan. Ainsi, même si la maladie est quiescente au moment de la chirurgie, les auteurs observent systématiquement une réaction inflammatoire prononcée en post-opératoire, voire l'apparition de nouvelles zones érosives sur le site opéré. Toutefois, ces flambées inflammatoires peuvent être gérées sans séquelles par une corticothérapie topique (Esposito et al., 2003 ; Reichart, 2006 ; Hernández et al., 2012) ; elles ne sont donc pas délétères pour l'ostéointégration des implants, tout au plus entraînent-elles un retard de cicatrisation de la muqueuse péri-implantaire. En revanche, l'étude d'Aboushelib et Elsafi (2017) fait le lien entre un lichen plan non stabilisé en per-opératoire et un risque élevé d'échec implantaire immédiat. Sur les 55 implants que les auteurs ont posés chez 20 de leurs patients non-fumeurs et en bonne santé générale, au sein d'une muqueuse lichénienne érosive, sans apport de greffes osseuses afin de pas alourdir leur intervention, 42 ont dû être retirés à très court terme, ce qui représente un taux d'échec implantaire immédiat de 76 %. Par conséquent, cette étude met en exergue la nécessité de réduire l'inflammation gingivale et de maîtriser l'évolution du lichen plan buccal avant d'envisager une chirurgie implantaire (tableau 2).

Conduite à tenir

En l'état actuel des connaissances, la présence d'une muqueuse lichénienne au niveau d'un futur site implantaire semble tout à fait envisageable. Pour autant, certaines précautions nous paraissent incontournables :

– le lichen plan gingival doit être stabilisé avant la pose de l'implant (encadré 1, fig. 1 et 2) ;

– les procédures chirurgicales doivent, autant que faire se peut, engendrer un traumatisme tissulaire minime ; l'anesthésie doit être traçante, en goutte à goutte, sans injection rapide sous pression afin de ne pas dilacérer la muqueuse qui demeure fragile même si la maladie est en phase de quiescence ; l'étendue des incisions doit être limitée à une dent de part et d'autre du site implantaire et les incisions de décharge doivent être évitées, tout comme les dissections en épaisseur partielle pour la même raison que précédemment ; enfin, le décollement des lambeaux doit être réalisé avec parcimonie et les sutures ne doivent pas exercer de tension ;

– les techniques de pose en un seul temps chirurgical sont à privilégier, de même que celles qui préconisent l'assistance par ordinateur car elles permettent de minimiser les complications muqueuses post-opératoires ;

– les techniques complexes de reconstruction osseuse pré- et per-implantaires ne sont pas recommandées en raison du risque de morbidité dans un contexte de maladie inflammatoire. À ce sujet, Anitua et al. (2018) n'hésitent pas à prôner les implants courts comme alternative thérapeutique. Après un recul de 32 mois, les auteurs enregistrent une perte osseuse péri-implantaire d'1 mm en moyenne pour 65 implants courts (≤ 8,5 mm) sur les 66 posés en muqueuse lichénienne, et la perte d'un seul implant ;

– en prévision du phénomène de Koebner, la prescription d'une corticothérapie topique sur 5 jours en post-opératoire est parfaitement justifiée (application d'un gel de clobétasol sur le site implantaire ou bain de bouche de prednisolone comprimés de 20 mg effervescents à diluer dans un demi-verre d'eau 2 à 3 fois par jour) (fig. 3 et 4).

A contrario, une antibiothérapie prophylactique n'est pas nécessaire, le lichen plan n'étant pas une maladie infectieuse et la corticothérapie étant de courte durée ;

– des thérapeutiques pourraient être explorées afin de favoriser la cicatrisation chez ces patients, telle que la biomodulation médiée par des lasers de basse énergie.

La muqueuse lichénienne est-elle un facteur de risque de mucosite ou de péri-implantite ?

Poser un implant au sein d'une muqueuse lichénienne n'est a priori pas préjudiciable pour l'ostéointégration immédiate d'un implant, mais comment se comporte cette muqueuse à long terme ? Est-elle suffisamment résistante vis-à-vis des agressions quotidiennes bactériennes et mécaniques telles que la mastication ou le brossage ?

Les mucosites et les péri-implantites sont, en effet, des complications implantaires fréquentes. Malgré la grande hétérogénéité des données de la littérature, une méta-analyse récente recense en moyenne 46,83 % de mucosites et 19,83 % de péri-implantites sur une période de 3 à 10 ans après la mise en fonction des implants (Sanz et al., 2012 ; Lee et al., 2017). Or, à l'instar des gingivites, les mucosites font le lit des péri-implantites (Lang et Berglundh, 2011) et le lichen plan entraîne des modifications tissulaires épithéliales et conjonctives susceptibles d'altérer la fonction de barrière protectrice des muqueuses buccales, notamment lorsque la maladie est en période d'activité. Lekhom (2003) est le premier à avoir émis l'hypothèse que l'épithélium d'une muqueuse lichénienne érosive n'a pas la capacité d'adhérer fermement à la tête d'un l'implant, augmentant de ce fait le risque de mucosite et de péri-implantite en présence de plaque dentaire. D'autre part, dans la mesure où péri-implantite et échec implantaire sont corrélés à l'augmentation de l'expression de plusieurs cytokines pro-inflammatoires, l'inflammation entretenue autour des implants par un lichen plan actif peut raisonnablement être considérée comme un facteur propice à la perte de l'ostéointégration (Taubman et Kawai, 2001). En revanche, tant que le lichen plan est contrôlé, l'ensemble des études montrent un taux de succès implantaire comparable à celui enregistré en présence d'une muqueuse péri-implantaire indemne de lichen plan (Esposito et al., 2003 ; Oczakir et al., 2005 ; Hernández et al., 2012 ; Czerninski et al., 2013 ; López-Jornet et al., 2014 ; Anitua et al., 2018). Pour la plupart des auteurs, les échecs implantaires ne sont pas dus à la nature cicatricielle de la muqueuse péri-implantaire mais sont imputables soit à des facteurs occlusaux, soit à la qualité de l'os alvéolaire (Esposito et al., 2000 ; Reichart et al., 2016 ; Guobis., 2016) (tableau 3).

Conduite à tenir

– L'éducation thérapeutique, qui consiste à aider le patient à acquérir ou maintenir les compétences dont il a besoin pour gérer au mieux les inconvénients liés à la maladie chronique dont il est atteint (Haute autorité de la santé, 2007), doit être renforcée en présence d'un lichen plan buccal et a fortiori lorsque cette maladie concerne la muqueuse péri-implantaire. L'observance du patient, mieux informé, est améliorée, ce qui renforce l'efficacité du suivi parodontal (Mignogna et al., 2006). Les séances de maintenance doivent être rapprochées, à raison de 3 séances par an minimum, afin d'intercepter précocement les épisodes de récidive inflammatoire liés au lichen plan qui peuvent être traités en associant une corticothérapie topique au traitement mécanique parodontal (fig. 5 à 8) ;

– une attention particulière doit être portée aux prothèses supra-implantaires. Celles-ci ne doivent pas être irritantes ou iatrogènes, et les prothèses fixées sont préférables aux prothèses amovibles. En cas de prothèses fixées, le profil d'émergence doit être respecté, tout comme l'espace imparti aux embrasures cervicales, afin de faciliter les manœuvres d'hygiène individuelles et professionnelles ;

– par ailleurs, en cas de lichen plan situé au niveau des zones muqueuses postérieures, nous préconisons de privilégier les arcades courtes et de ne pas remplacer les dents au-delà des premières molaires maxillaires et mandibulaires. En effet, avec le temps, les muqueuses lichéniennes s'atrophient, ce qui diminue la profondeur du vestibule et par voie de conséquence complique l'accès à l'hygiène et aux soins dans ces secteurs.

Le titane peut-il induire des lésions lichéniennes ?

Plusieurs métaux, dont les amalgames dentaires ou les alliages en or, sont incriminés dans l'étiologie des lésions dites lichénoïdes, lesquelles sont considérées comme des lésions lichéniennes induites. Mais concernant le titane, seul un auteur envisage cette association (Chaturvedi, 2013). Selon ce dernier, une corrosion de la couche oxydée de titane revêtant les implants peut être à l'origine d'une hypersensibilité de type IV, laquelle peut générer une lésion lichénoïde. La corrosion du titane est souvent évoquée en présence de plaque dentaire. Les biofilms bactériens la composant n'attaquent pas directement le métal mais modifient par leur métabolisme la nature physico-chimique de l'environnement implantaire à l'origine de la corrosion.

Donc théoriquement, le titane pourrait induire une lésion lichénoïde, mais les données de la littérature sont insuffisantes et ne permettent pas de répondre sérieusement à cette question.

Conduite à tenir

– Jusqu'à preuve du contraire, il n'est pas établi que le titane puisse représenter un facteur de risque des lésions lichéniennes, ni même activer un lichen plan en phase de quiescence. Ce métal biocompatible peut donc sans problème être proposé aux patients atteints de lichen plan buccal, en insistant sur l'importance de l'hygiène bucco-dentaire et le suivi parodontal ;

– par extension, et afin d'éviter tout couplage galvanique, il paraît sensé de réaliser les infrastructures implantaires en titane et/ou en céramique.

La présence d'un implant dans une muqueuse lichénienne augmente-t-elle le risque de transformation du lichen plan en carcinome épidermoïde ?

Quelle que soit sa localisation, le lichen plan buccal peut se transformer en carcinome épidermoïde, y compris lorsqu'il siège en péri-implantaire (Pfammater et al., 2012 ; Czerninski et al., 2006 ; Gallego et al., 2008 ; Abu El-Naaj et al., 2007 ; Moergel et al., 2014 ; Raiser et al., 2016). Tous sites confondus, le taux moyen de cette transformation varierait de moins d'1 % à 3,5 % selon les populations ; les femmes seraient plus touchées que les hommes ; l'âge de survenue avoisinerait les 60 ans, le délai moyen de transformation serait de 51 mois, et la forme érosive serait la plus concernée par ce phénomène (Fitzpatrick et al., 2014 ; Ruokonen et al., 2017). Jusqu'à ce jour, l'origine de la transformation carcinomateuse n'est pas déterminée, un consensus s'oriente vers une étiologie plurifactorielle. La proposition la plus fréquemment retenue souligne la possibilité, chez un individu prédisposé, d'une action synergique entre les facteurs immunitaires propres au lichen plan et des facteurs extrinsèques tels que le tabac, l'alcool, voire le stress. Mais lorsque le cancer se développe au sein de la muqueuse péri-implantaire, certains auteurs évoquent également l'implication possible des implants dans ce processus pathologique, notamment en présence d'une mucosite ou d'une péri-implantite. Seules deux hypothèses majeures sont alors avancées dans ces contextes inflammatoires, et aucune n'a pu être confirmée :

– la corrosion du titane, tout à fait envisageable en présence de biofilms bactériens, provoquerait la libération d'ions métalliques qui activeraient la libération des métalloprotéases matricielles, ce qui faciliterait la progression des cellules tumorales ;

– en cas d'inflammation, l'implant se comporterait comme un vecteur pour les cellules cancéreuses.

La question posée est donc légitime mais aujourd'hui personne n'est capable d'y répondre (tableau 4).

Conduite à tenir

– La transformation en carcinome épidermoïde d'une muqueuse lichénienne péri-implantaire étant possible, toute situation clinique de péri-implantite considérée comme réfractaire aux traitements habituellement préconisés doit faire l'objet d'une surveillance histologique (biopsie au moindre doute). En effet, certaines formes cliniques de ce type de tumeur maligne peuvent être trompeuses en mimant une péri-implantite atypique (cf. article Bayet et al. dans ce même numéro). Le diagnostic différentiel est alors primordial car le taux de survie des patients après traitement d'un cancer épidermoïde dépend en grande partie du stade du développement de la tumeur ;

– chez les patients exposés aux facteurs de risque reconnus des carcinomes épidermoïdes, tels que le tabac associé ou non à une consommation régulière d'alcool, la pose d'un implant au sein d'une muqueuse lichénienne impose de bien réfléchir en termes de bénéfices/risques. Cette réflexion est également valable si le patient présente un antécédent de cancer pouvant métastaser dans la cavité buccale (cancer du poumon, cancer du sein...) ;

– la nécessité d'une éducation thérapeutique du patient et d'un suivi parodontal rapproché demeure une évidence incontournable afin d'intercepter précocement toutes modifications atypiques de la muqueuse lichénienne péri-implantaire.

Conclusion : ce qu'il faut retenir

La littérature apporte peu d'informations concernant l'utilisation des implants chez les patients souffrant de lichen plan gingival. Il semblerait toutefois que les implants représentent une alternative thérapeutique fiable pour ces patients, mais à condition qu'ils soient posés au sein d'une muqueuse quiescente et asymptomatique.

Le lichen plan étant une maladie chronique pouvant récidiver, le patient doit respecter un suivi professionnel régulier et maintenir une hygiène orale optimale au quotidien.

L'intervalle entre 2 séances de suivi parodontal ne doit pas excéder 6 mois afin de prévenir le risque de mucosite et de péri-implantite, car une muqueuse péri-implantaire, même quiescente, demeure fragile.

Le praticien ne doit pas perdre de vue le risque de transformation maligne des muqueuses lichéniennes, surtout chez un patient associant plusieurs facteurs de risques (alcool, tabac...). Dès l'apparition de la moindre lésion ou situation suspecte (excroissance inflammatoire ou ulcération non douloureuse non expliquée par une cause locale, péri-implantite atypique et réfractaire) à proximité ou à distance des implants, le patient doit être adressé dans un centre de référence pour un diagnostic et une prise en charge adaptés.

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