Faut-il systématiquement couronner une dent dépulpée ? - Cahiers de Prothèse n° 147 du 01/09/2009
 

Les cahiers de prothèse n° 147 du 01/09/2009

 

Odontologie Restauratrice

Emmanuel Nicolas*   Jean-Christophe Dubois**   Alain Woda***  


*DCD, Ancien assistant, praticien attaché
Service de prothèse, UFR Odontologie,
Clermont-Ferrand
EA 3847, Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand
**DCD, MCU-PH
Service de prothèse, UFR Odontologie,
Clermont-Ferrand
***DCD, PU-PH
Service d’odontologie conservatrice,
Clermont-Ferrand
EA 3847, Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand
****UFR Odontologie
11, boulevard Charles-de-Gaulle
63000 Clermont-Ferrand

Résumé

L’intérêt et la nécessité de couronner une dent dépulpée demeure, pour de nombreux odontologistes, une évidence. Cependant, les études cliniques sont peu nombreuses et aucune méta-analyse sur ce sujet n’est répertoriée dans la littérature.

Cette revue de littérature compare statistiquement la pérennité d’une dent dépulpée non couronnée à celle d’une dent couronnée.

Les auteurs ont recherché systématiquement les études au sein de la Cochrane Library, dans les bases de données bibliographiques Medline (de 1976 jusqu’à février 2008) et Embase jusqu’à février 2008.

Dans un premier temps, l’évaluation a porté sur l’ensemble des articles répondant aux mots clés suivants :

1. root canal-treated teeth + crown + survival ;

2. root canal-treated teeth + mortality ;

3. endodontically-treated teeth + survival ;

4. endodontically-treated teeth + coronal coverage.

Par la suite, ont été retenus les articles réalisés sur des patients et mettant en relation plus ou moins directe la reconstitution coronaire des dents dépulpées d’une part, et leur durée de vie ou les pathologies rencontrées sur ces dents, d’autre part. Cette recherche a été optimisée par le logiciel « Review Manager » (RevMan).

Trois lecteurs ont évalué indépendamment la qualité des essais et ont procédé à l’extraction des données. Le recueil des données et la méta-analyse ont été réalisés par l’utilisation de la plateforme « easyMA.net ».

Au total, 78 articles ont été sélectionnés lors de la première phase de recherche. Lors de la seconde phase, 5 essais ont été retenus, relatifs à 939 dents couronnées (traitement de référence) et 773 dents indemnes de restauration prothétique. L’analyse par la méthode de Peto-Yusuf (IC : 95 %) a montré une pérennité probable à 5 ans plus importante lorsque la dent est couronnée (OR = 0,52 [0,38 ; 0,71]). Ce résultat est confirmé à 10 ans (3 essais, OR = 0,46 [0,35 ; 0,62]) et à 15 ans (essai unique, OR = 0,43 [0,29 ; 0,65]).

Dans son ensemble, le traitement prothétique conjoint d’une dent dépulpée double la probabilité de survie d’une dent dépulpée. Cependant, des études contrôlées prenant en compte le volume dentaire résiduel avant reconstitution et la nature de la dent concernée (antérieure ou postérieure) seraient nécessaires pour préciser ces résultats.

Summary

Does an endodontically-treated tooth need to be crowned ? Meta-analysis and clinical discussion

The advantage and the necessity of crowning endodontically-treated tooth seem to be an evidence for numerous dental practitioners. However, few clinical studies and no meta-analysis on this subject are listed in the literature. This review of the literature assesses the longevity of endodontically-treated tooth crown versus no crown.

Our survey was conducted through the Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL) (The Cochrane Library 2005, Issue 3), Medline (from 1976 to September 2008), and Embase (until February 2008).

For a start, articles containing the following keywords were selected :

1. root canal-treated teeth + crown + survival ;

2. root canal-treated teeth + mortality ;

3. endodontically-treated teeth + survival ;

4. endodontically-treated teeth + coronal coverage.

Then, the selection was further narrowed to studies which compared the survival of endodontically-treated teeth according to the type of restoration: crown or not crown. This research was optimized by the software « Review Manager » (RevMan).

Three accessors have independently evaluated the quality of trials and extracted data and used the « easyMA.net » software.

Altogether, 78 articles have been selected during the first research phase. Then, 5 trials have been selected, comparing 939 crowned teeth (reference treatment) to 773 no crowned teeth.

After 5 years, Peto-Yusuf analysis (IC : 95 %) showed a higher survival when the tooth was crowned (OR = 0,52 [0,38 ; 0,71]). This result was confirmed after 10 years (3 trials, OR = 0,46) and after 15 years (single trial, OR = 0,43[0,29 ; 0,65]).

Globally, crown restoration of endodontically-treated teeth improves teeth survival. However, randomized controlled studies considering residual dental volume and arch dental position are necessary to clarify these results.

Key words

survival, endodontically-treated tooth, crown restoration, meta-analysis

Avant-propos : quelques définitions

Méta-analyse

La méta-analyse est une démarche plus qu’une simple technique. Elle a pour but de combiner les résultats de plusieurs essais thérapeutiques pour en faire une synthèse quantifiée. Cette synthèse produit un gain de puissance statistique dans la recherche de l’effet d’un traitement, une précision optimale dans l’estimation de la taille de l’effet et permet en cas de résultats contradictoires d’obtenir une vue globale de la situation. Appliquée à la médecine, la méta-analyse répond à un besoin grandissant lié au nombre croissant des connaissances sur lesquelles doivent s’appuyer les décisions médicales et les choix thérapeutiques (M. Cucherat, « Manuel pratique de méta-analyse des essais thérapeutiques » : http://www.spc.univ-lyon1.fr/ livreMA/frame.htm.

Évaluation de l’hétérogénéité des études

Pour obtenir un résultat final pertinent, il est nécessaire que les essais qui composent la méta-analyse soient homogènes. Cela signifie que les résultats de chaque étude ne diffèrent pas trop entre eux, une marge de variation étant préalablement fixée. Plusieurs tests statistiques sont prévus à cet effet, par exemple le test Q de Cochran. Si le test n’est pas significatif, les différentes études peuvent être utilisées pour les calculs finaux.

Biais de publication

Lors d’une revue systématique, il est important de rechercher un éventuel « biais de publication ». En effet, la littérature biomédicale peut ne pas refléter la réalité, par exemple si seuls les essais en faveur d’une reconstruction coronaire simple sont publiés. Le graphique dit « funnel plot », qu’il est possible de traduire par « graphe en entonnoir », consiste à représenter, pour chaque étude, la valeur estimée de l’effet testé (influence d’une couronne sur la pérennité d’une dent) en fonction de l’effectif de l’étude (nombre de dents étudiées). En l’absence de biais de publication, les différentes estimations de l’effet testé (couronne) vont se répartir de manière homogène autour d’une certaine valeur moyenne. À l’inverse, un nuage de points dispersés signe une hétérogénéité des résultats.

Risque relatif (RR)

Pour calculer les effets d’un traitement ou d’un protocole, il est nécessaire d’utiliser des indicateurs précis. Le risque relatif est souvent utilisé. Il correspond à la variation de la fréquence de survie de dents dépulpées couronnées comparativement aux dents non couronnées (tabl. I).

La réduction relative du risque (RRR) correspond à la diminution du risque de perte de la dent en la couronnant :

1 – 0,8 = 20 %

Odds ratio (OR)

L’odds ratio (OR) est une approximation du risque relatif très utilisé pour les enquêtes de type cas-témoins. À partir de l’exemple donné ci-dessus, l’OR est calculé de la façon suivante :

OR = 0,77/(1 – 0,77)/0,94/(1 – 0,94) = 0,21

De manière simple, cet exemple signifie que la survie des dents couronnées est de 21 % supérieure à celle des dents reconstituées par une technique foulée.

Différence de risques (DR)

C’est la comparaison des risques dans les deux situations (dents couronnées ou non) :

DR = 0,77 – 0,94 = – 17 %

La dernière enquête réalisée par l’Assurance maladie en 2003 a évalué à 7 500 000 le nombre de traitements endodontiques annuels réalisés en France par les chirurgiens-dentistes libéraux. Des études in vitro ont montré que la pulpectomie en elle-même n’a aucun effet sur la teneur en eau de la dentine [1], ni sur ses propriétés mécaniques [2, 3]. Toutefois, il est communément admis que l’exérèse de la pulpe et la perte de substance qui l’accompagne fragilisent l’organe dentaire et diminue son espérance de vie [4-8].

Comment donc reconstruire une dent dépulpée pour lui assurer le meilleur pronostic ? Malheureusement, si les recommandations et avis d’auteurs ne manquent pas, les études cliniques sont peu nombreuses.

Une hypothèse importante dans l’optique de ce travail a été inspirée par l’article de Smith et Schuman publié en 1997 [9] : le choix thérapeutique pour la restauration d’une dent dépulpée repose sur la quantité de tissu sain restant. Toutefois, l’analyse intrinsèque de la bibliographie citée par ces auteurs permet de constater qu’ils n’ont guère pu s’appuyer sur de réelles études cliniques. Aujourd’hui, la situation est différente ; le sujet a été abordé par diverses équipes et s’il est toujours difficile de répondre à cette question, il est désormais possible d’évaluer l’intérêt d’une reconstitution par couronne coulée sur des bases scientifiques.

L’objectif de cette revue de littérature est de répondre à la question : « Est-il utile de couronner une dent dépulpée ou est-il préférable d’utiliser un autre mode de reconstruction ? » La méthodologie repose sur une évaluation systématique et quantifiée de tous les essais cliniques qui se sont intéressés à déterminer quelle est la meilleure reconstruction pour une dent dépulpée. La synthèse réalisée à l’aide d’une méta-analyse permet de tirer une conclusion aussi objective que possible.

Méthodologie

Recherche des essais

La recherche de tous les essais réalisés, publiés ou non publiés, a été réalisée en combinant plusieurs méthodes. Cette recherche a été menée de janvier 1976 au 15 février 2008.

Recherche des essais publiés

Les essais publiés ont été recherchés en utilisant la base bibliographique généraliste Medline, produite et mise en ligne par la National Library of Medicine. Les bases spécialisées de la Cochrane Library et Embase ont aussi été utilisées.

Recherche des essais non publiés

Les essais non publiés ont été recherchés à l’aide des registres d’essais de Google scholar et en consultant les comptes rendus des congrès de l’International Association for Dental Research (IADR). Aucun essai non publié correspondant à cette recherche n’a été identifié.

Critères de sélection des essais

Première phase de sélection : critères portant sur les traitements

Pour être retenus dans cette méta-analyse, les essais devaient vérifier les critères d’éligibilité (mots clés retenus) suivants :

– root canal-treated teeth + crown + survival ;

– root canal-treated teeth + mortality ;

– endodontically-treated teeth + survival ;

– endodontically-treated teeth + coronal coverage.

Seconde phase de sélection : critères méthodologiques

Deux critères d’inclusion ont été utilisés dans cette seconde phase :

– l’article devait être un essai clinique réalisé sur des patients ;

– l’étude devait mettre en évidence la survie des dents (présentes ou extraites) selon le type de reconstitutions coronaires (couronnes ou reconstitutions foulées).

Deux critères d’exclusion ont également été déterminés :

– essais cliniques évaluant une reconstitution coronaire (exemple : céramique usinée) ou corono-radiculaire particulière (exemple : tenon fibre de carbone) ;

– études évaluant uniquement la survie des dents couronnées ou uniquement les dents ayant été restaurées par reconstitution coronaire foulée avec ou sans tenon.

Critères patients

Aucun critère spécifique n’a été retenu pour cette revue systématique.

Recueil des données

Trois lecteurs experts ont indépendamment évalué la qualité des essais (grilles de lecture communes) et ont procédé à l’extraction des données. Le recueil des données et la méta-analyse ont été réalisés en utilisant la plateforme « easyMA.net » (http://www.spc.univ-lyon1.fr/easyma.net/).

Méthodes d’analyses statistiques (critères de mesure communs à chaque étude longévité (succès/échecs)

Calcul des effets communs

La combinaison des résultats des essais dans le but de fournir une estimation globale de l’effet traitement (effet commun) a été effectuée en utilisant, en première intention, le risque relatif (cf. supra définitions) comme indice d’efficacité (cf. supra définitions). En cas d’hétérogénéité, les autres indices (odds ratio, différences des risques) ont été essayés et celui donnant le moins d’hétérogénéité a été retenu. Les résultats sont présentés accompagnés de leur intervalle de confiance à 95 %. Un seuil de signification de 5 % a été utilisé pour le test d’association (effet commun non nul). Tous les résultats ont été présentés graphiquement.

Une analyse en sous-groupes (cette analyse en sous-groupe n’est pas présentée dans cet article) a été réalisée selon les critères temps, localisation de la dent (antérieures/postérieures ou groupes dentaires) et types de reconstructions prothétiques.

Recherche et gestion de l’hétérogénéité

Le test Q de Cochran a été utilisé pour rechercher l’hétérogénéité des études (cf. supra définitions). Un seuil de 0,1 (10 %) a été adopté pour déclarer qu’une hétérogénéité est statistiquement significative. Lorsque le test était positif, les facteurs susceptibles d’expliquer cette hétérogénéité (caractéristiques des patients ou des traitements) ont été recherchés.

Recherche de biais de publication

Un éventuel biais de publication a été recherché en utilisant un graphique « funnel plot » (cf. supra définitions). Cette démarche exploratoire a été utilisée pour discuter le problème du biais de publication (avec d’autres éléments en provenance de la sélection des essais).

Résultats

Essais retenus

Le tableau II fait état des recherches dans la base de données bibliographiques choisie. Au total, 78 articles différents ont été trouvés.

Essai inclus (après analyse par les 3 lecteurs)

À l’issue de la seconde phase, 5 essais ont été retenus (tabl. II) ; ces 5 études totalisaient 939 dents couronnées (traitement de référence) et 773 dents indemnes de restauration prothétique. Les 5 études comparaient la survie des dents, couronnées ou non après traitement endodontique (tabl. III). Les critères d’inclusion et d’exclusion des sujets sont restitués pour chaque étude dans le tableau IV. De même, chaque étude est décrite dans le tableau V.

Essais exclus après la seconde phase de sélection

Certaines études auraient pu être intégrées dans la méta-analyse, mais n’ont pu être utilisées pour des raisons méthodologiques ou techniques (tabl. VI).

Recherche d’un biais de publication

La lecture du graphique « funnel plot » (fig. 1) permet de vérifier qu’il n’y a pas lieu de vérifier un biais de publication dans cette méta-analyse.

Méta-analyse : résultats à 5 ans

Survie dentaire à 5 ans (fig. 2)

À 5 ans, 5 essais (regroupant 1 712 patients) sont utilisables pour les calculs de méta-analyse. En raison du poids qui lui est attribué par la méthode de calcul, l’essai de Miyamoto et al. en 2007 a une contribution prépondérante dans le résultat (81 %) [17].

Globalement, la survie des dents couronnées est de 48 % (p = 0,001) supérieure à celle observée en présence d’une reconstitution foulée uniquement. Statistiquement (avec un niveau de confiance de 95 %), cette amélioration se situe entre 29 et 62 %. Aucune hétérogénéité statistiquement significative au seuil de 10 % n’est détectée (test d’hétérogénéité p = 0,30). Il est donc possible de considérer que l’effet du traitement a été le même dans tous les essais. Le regroupement des résultats obtenus sur ce critère par ces essais ne pose donc pas problème. La valeur de I2 est de 85 %, signifiant qu’approximativement 85 % de la variabilité totale des résultats des essais est attribuable à une réelle variation de l’effet du traitement entre les essais et non pas à d’autres facteurs non identifiés ou au hasard.

Pérennité à 10 ans (fig. 3)

Sur un suivi de 10 ans, 3 essais (regroupant 1 460 patients) ont pu être utilisés pour les calculs de méta-analyse. En raison du poids qui lui est attribué par la méthode de calcul, l’étude de Miyamoto et al. en 2007 prend une part prépondérante dans le résultat (90 %) [17]. Globalement, la survie des dents couronnées est de 54 % (p = 0,001) supérieure à celle observée en présence d’une reconstitution foulée uniquement. Statistiquement (avec un niveau de confiance de 95 %), cette amélioration se situe entre 38 et 65 %. Aucune hétérogénéité statistiquement significative au seuil de 10 % n’est détectée (test d’hétérogénéité p = 0,10). Il est donc possible de considérer que le vrai effet du traitement a été le même dans tous les essais. Le regroupement des résultats obtenus sur ce critère par ces essais ne pose donc pas problème. La valeur de I2 est de 95 %, signifiant qu’approximativement 95 % de la variabilité totale des résultats des essais est attribuable à une réelle variation de l’effet du traitement entre les essais et non pas au hasard.

Survie dentaire à 15 ans

Une seule étude restitue des résultats à 15 ans (suivis de 396 dents). Elle montre une survie de 78 % plus importante lorsque les dents sont couronnées (OR = 0,22, intervalle de confiance : entre 35 et 71 %).

Synthèse

L’analyse par la méthode de Peto-Yusuf (IC : 95 %) a montré la probabilité d’une pérennité à 5 ans plus importante lorsque la dent est couronnée (OR = 0,52 [0,38 ; 0,71]). Ce résultat est confirmé à 10 ans (3 essais, OR = 0,46 [0,35 ; 0,62]) et à 15 ans (essai unique, OR = 0,22 [0,11 ; 0,44]).

Discussion

Cette étude permet d’apprécier l’intérêt d’une reconstitution par couronne pour la pérennité d’une dent dépulpée à 5, 10 et 15 ans. À 5 ans, l’espérance de vie d’une dent dépulpée couronnée est supérieure à celle d’une dent dépulpée reconstituée par une technique directe. Des résultats similaires sont observés à 10 et 15 ans.

Forces et faiblesses de la méta-analyse

Malgré l’homogénéité apparente des études, ces résultats sont toutefois à nuancer, surtout en raison de certaines imprécisions. En effet, le peu de données disponibles ne permet pas la différenciation entre les secteurs antérieurs et postérieurs. En outre, le volume du délabrement dentaire après le traitement endodontique est peu contrôlé. De manière similaire, la présence d’une reconstitution coronaire ou celle d’une reconstitution corono-radiculaire ainsi que les conditions occlusales seraient à prendre en considération. Les critiques principales des études citées sont méthodologiques :

• la plupart des essais sont monocentriques, ce qui ne permet pas d’exclure un effet « centre ». Rien ne garantit que l’attribution du traitement (couronne périphérique versus autre mode de restauration) a été conduite de façon aléatoire. Pour chacune des études citées, le risque de biais d’indication n’est donc pas écarté. Le degré de délabrement dentaire a certainement incité les praticiens à choisir une méthode de reconstruction ;

• les études utilisées dans cette analyse permettent l’observation de l’activité d’un ensemble de praticiens. Cependant, l’importance de l’impact d’une seule étude, celle de Miyamoto et al., est indéniable et correspond à l’activité d’un seul praticien ;

• de manière similaire, la gestion des patients perdus de vue est critiquable. Après un échec thérapeutique, le patient peut ne pas revenir vers le même centre. Ceci peut nuancer les résultats des suivis dentaires. Cet aspect est peu évoqué au sein des études sélectionnées. Il est donc clair que des études supplémentaires seraient très utiles pour préciser nos conclusions.

Considérations cliniques

Selon certains auteurs [18, 19], la santé péri-apicale d’une dent dépulpée dépendrait moins de la qualité de son traitement endodontique que de la qualité de sa reconstitution coronaire. Quoi qu’il en soit, cette étude statistique et celle de Stavropoulou et Koidis [20] montrent que l’espérance de vie d’une dent dépulpée dépend principalement de la nature de sa reconstitution coronaire. Seule la fixation d’une prothèse définitive préserve durablement l’organe dentaire. L’étanchéité et la résistance mécanique d’une reconstitution coulée unitaire expliquent probablement sa longévité par rapport aux autres techniques de reconstitution. L’essai clinique ayant le plus de recul définit l’espérance de vie moyenne d’une dent dépulpée comme étant comprise entre 130 et 150 mois si elle est couronnée et comprise entre 95 et 117 mois si elle est restaurée par une technique directe [12]. Selon la même étude, le risque de perdre une dent dépulpée est particulièrement important lors des 3 premières années suivant sa réhabilitation coronaire. Après cette période, le risque d’échec diminue avec le temps.

D’un point de vue clinique, le temps de temporisation entre l’obturation endodontique et la pose de l’obturation coronaire définitive doit être le plus court possible. Selon Lynch et al. [11], l’espérance de vie d’une dent est significativement (p < 0,001) réduite lorsqu’elle est restaurée provisoirement par rapport à toutes autres restaurations définitives. La moitié des dents perdues le sont lorsqu’elles soutiennent une restauration provisoire. Les molaires couronnées provisoirement auraient une espérance de vie plus courte que les prémolaires et les incisives. L’importance du hiatus dento-prothétique et des forces masticatoires qui s’appliquent sur les dents postérieures pourrait expliquer le taux d’échecs élevé des couronnes provisoires sur molaire.

D’autres paramètres que le type de reconstitution coronaire peut affecter l’espérance de vie d’une dent dépulpée. Par exemple, le type de dent influence incontestablement ses chances de survie. Selon Aquilino et Caplan [13], les secondes molaires ont une chance de survie significativement plus faible (p < 0,01) que celle de toutes les autres dents. Cheung et Chan [12] constatent que les molaires et les prémolaires maxillaires ont un taux de survie plus faible que les dents antérieures et les prémolaires mandibulaires. En pratique, les molaires sont plus difficiles à soigner, car elles sont moins accessibles et leur anatomie endodontique est plus complexe que les dents antérieures. Aux conditions masticatoires particulièrement sévères pour les dents postérieures s’ajoutent des effets iatrogènes.

L’environnement de la dent est également à prendre en considération. Le nombre de points de contacts proximaux est en relation significative avec la survie des dents (p = 0,001). Avec deux points de contact, les dents ont une meilleure survie que celles ne disposant que d’un seul, voire d’aucun contact [13]. Une dent dépulpée possédant un contact ou moins a trois fois plus de chances d’être perdue qu’une dent pourvue de deux contacts proximaux [21]. Le taux d’échecs est significativement supérieur pour les dents dépulpées supports de prothèse partielle fixée ou amovible que pour celles supportant une prothèse fixée unitaire [10, 13]. Une dent voisine d’un édentement postérieur a une chance de survie plus importante lorsqu’elle supporte une prothèse partielle fixée compensant cet édentement que lorsque cet édentement est compensé ou non par une prothèse amovible [13].

Le choix du type de reconstitution est guidé par l’état de la dent avant sa réhabilitation coronaire. Les dents présentant une carie au moment du traitement endodontique ont des chances de survie plus faibles à 5 et 10 ans que celles qui n’en présentaient pas (p < 0,01) [13]. De la même manière, Cheung et Chan [12] remarquent que le statut apical préopératoire influence significativement la chance de survie d’une dent dépulpée. Les dents sans lésion apicale préopératoire ont une chance de survie supérieure à celles qui ont une lésion apicale ou un épaississement ligamentaire avant traitement. Lors de notre revue systématique de la littérature, nous avons constaté qu’aucune étude clinique n’évalue le volume résiduel de la dent. Il est pourtant admis que seule la perte d’intégrité structurelle d’une dent dépulpée est à l’origine de sa fragilité [6, 23, 24]. Selon Larson et al. [4], la fragilité d’une dent est directement proportionnelle à la perte de substance dentaire. In vitro, le traitement canalaire d’une dent diminue sa rigidité de 5 % tandis que la réalisation d’une cavité MOD diminue sa rigidité de 63 % [5]. L’étude clinique rétrospective de Opdam et al. [25] montre que la survie d’une restauration directe est liée significativement au volume de l’obturation à l’amalgame ou au composite. Si nous avons mis en évidence que les dents dépulpées doivent être couronnées, force est de constater qu’il n’est pas possible à ce jour de fixer une valeur limite de perte de substance permettant d’indiquer une technique de reconstitution coronaire. Notre hypothèse de travail concernant la réhabilitation des dents dépulpées est la suivante. Pour une dent antérieure, l’absence partielle de moins de 3 faces peut être compensée par des techniques adhésives directes de restauration. Pour une dent postérieure, l’absence partielle d’une face peut être compensée par des techniques directes adhésives ou non. Smith et Schuman [9] soulignent l’importance du recouvrement cuspidien par la restauration et préconisent au minimum la pose d’un onlay. Pour des pertes de substance de faible ou moyenne étendue telles que des cavités de site 1 et 2, il semblerait que les restaurations indirectes sur les dents postérieures aient un taux d’échecs significativement plus faible que les restaurations directes (p < 0,01) [22]. Une de ces techniques indirectes semble indiquée pour les délabrements modérés concernant 1 ou 2 faces. Les cas de délabrement plus sévères allant de l’angle incisif au cingulum ou les délabrements concernant plus de 2 faces ou plus d’une cuspide, la dent dépulpée doit être reconstruite avec une couronne. La rétention de cette dernière pourra être assurée par différents types de reconstruction purement coronaire ou corono-radiculaire.

De la même manière, les analyses de la littérature faites par l’ANAES (2003) et plus récemment par Borg-Real et al. [26] n’ont pas permis de définir les indications et contre-indications des reconstitutions corono-radiculaires coulée et foulée. Par exemple, d’après Aquilino et Caplan, la présence d’un tenon garantit une meilleure survie des dents à 5 et 10 ans que l’absence de tenon (p < 0,01) [13]. D’après Fokkinga et al. [27], un tenon radiculaire ne présente, au contraire, pas d’intérêt même lors de perte dentinaire importante. Sur une période de 17 ans, leur étude contrôlée ne met pas en évidence d’écart de survie significatif entre les différents types de reconstitution corono-radiculaire. L’élaboration d’un arbre décisionnel pour le choix d’une reconstitution corono-radiculaire s’avère donc difficile, car le poids respectif de chaque paramètre ne peut être défini hors du contexte clinique. Comme l’ANAES en 2003, nous pouvons définir aujourd’hui simplement des paramètres (rapport résistance mécanique/volume de la reconstitution, sollicitations fonctionnelles, anatomie radiculaire, patient, possibilité de réintervention) à prendre en compte lors du choix de la technique et rappeler les protocoles opératoires qui conditionnent le succès et la pérennité de la reconstitution.

Conclusion

Dans son ensemble, le traitement prothétique fixé d’une dent dépulpée semble améliorer la durée de vie de la dent. Cependant, toutes les études sélectionnées sont rétrospectives et le choix de couronner ou non la dent n’a pas été fait sur des critères aléatoires. Les résultats obtenus sont donc plutôt de nature descriptive et ne sont pas associés à l’emploi d’un élément clinique de décision thérapeutique. En outre, le volume dentaire résiduel avant reconstitution n’est pas contrôlé alors que ce facteur pourrait, de toute évidence, amener à nuancer les conclusions. Comme le montrent de nombreuses études, il est cependant probable que l’espérance de vie d’une dent dépulpée dépend principalement de la nature de sa reconstitution coronaire. Le fait de couronner une dent peut donc bien être considéré comme un facteur positif pour sa longévité.

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