Extraction, implantation et gestion esthétique immédiates - Cahiers de Prothèse n° 156 du 01/12/2011
 

Les cahiers de prothèse n° 156 du 01/12/2011

 

Implantologie

Renaud Noharet*   Luc Gillot**   Bernard Cannas***  


*Docteur en chirurgie dentaire
Exercice libéral
Ancien interne des Hôpitaux de Marseille
Ancien assistant hospitalo-universitaire, Université Lyon-1
Maître de conférences des Universités
Praticien hospitalier
Cofondateur de Sapo Implant Prothèse

**Docteur en chirurgie dentaire
Exercice libéral
Attaché universitaire, Laboratoire d’anatomie fonctionnelle de l’université Paris-V
Expert près la cour d’appel de Versailles
Cofondateur de Sapo Implant

***Docteur en chirurgie dentaire
Exercice libéral
Attaché universitaire, Laboratoire d’anatomie fonctionnelle de l’université Paris-V,
Attaché à l’hôpital de Lagny-Marne-La-Vallée,
Cofondateur de Sapo Implant

Résumé

La prévisualisation chirurgicale et prothétique, en implantologie orale, est incontournable pour poser l’indication d’un traitement d’extraction-implantation et d’une approche esthétique immédiate dans le secteur antérieur maxillaire. Cette anticipation est aussi nécessaire pour un bon déroulement clinique. Certains logiciels de planification implantaire répondent à ces besoins d’anticipation sur les volumes osseux résiduels de par leurs outils propres tels que projet prothétique virtuel et extraction virtuelle. Les outils informatiques, en optimisant les informations obtenues, permettent alors de sécuriser le diagnostic, l’indication et donc la séquence clinique de traitement.

Summary

Immediate Placement and Immediate Function : about central incisor and virtual extraction

In the case of extractions, implant placement and immediate esthetic loading in the anterior area of the maxillae, it is essential to diagnose and plan the optimal implant position prior to treating the surgical and prosthetic situation. This is necessary to insure the success of the various clinical steps of the treatment. Several diagnostic software programs are available for implant treatment planning, these computerised programs allow for biomechanical, functional and esthetic placement as well as quality and quantity of bone at the selected sites.

Key words

immediate placement, immediate esthetic approach, unit edentulous, planning’s software

Depuis la description initiale de Brånemark, les traitements implantaires ont largement évolué grâce notamment à des progrès techniques dans le domaine de l’imagerie.

Cette étape préchirurgicale s’est enrichie des examens tridimensionnels (scanner) initialement présentés en deux dimensions sur des films radiologiques (puis support papier). Avec l’avènement de l’informatique, il est désormais possible de visualiser les informations de manière tridimensionnelle (vraie approche des volumes). Les logiciels de lecture d’image permettent la simulation des projets prothétiques (matérialisés par des guides radiologiques ou des dents virtuelles pour certains logiciels) mais aussi la planification implantaire en regard de l’anatomie osseuse et du projet prothétique. Hormis ces éléments classiques d’analyse, il existe certaines fonctionnalités plus avancées comme l’extraction virtuelle. Celle-ci représente un intérêt majeur dans l’analyse préopératoire, notamment dans les situations d’extraction-implantation du secteur esthétique antérieur. L’objectif de cet article est de montrer l’intérêt de l’extraction virtuelle pour la pose raisonnée de l’indication d’extraction-implantation. La terminologie sera développée dans une première partie, suivie de la mise en œuvre de l’extraction virtuelle pour une situation clinique de remplacement d’une incisive centrale.

Extraction – Implantation – Gestion esthétique immédiate

Terminologie

Notion d’extraction-implantation

La classification d’Esposito [1] est celle reconnue à ce jour pour clarifier les différentes relations de temps entre extraction et implantation. Trois catégories existent.

– Type 1 : l’implant est mis en place juste après l’avulsion dentaire, c’est-à-dire dans l’alvéole d’extraction.

– Type 2 : l’implant est mis en place dans l’alvéole d’extraction jusqu’à un délai de huit semaines. Ce délai est généralement utilisé pour obtenir une fermeture muqueuse du site opératoire.

– Type 3 : l’implant est mis en place à partir de huit semaines après l’extraction dentaire. Le délai correspond au temps que met le tissu osseux pour remplir partiellement ou intégralement, cliniquement et/ou radiologiquement, l’alvéole d’extraction.

Notion de gestion esthétique immédiate

La gestion esthétique immédiate est définie par la mise en place d’une couronne sur implant sous quarante-huit heures mais sans participation occlusale, à l’opposé de la mise en fonction immédiate définie par la mise en place d’une couronne implantaire également sous quarante-huit heures mais avec participation occlusale [2].

État de la question

Il n’existe pas à ce jour d’évidence scientifique concernant les avantages et inconvénients des différents délais entre extraction et implantation. Il existe trop peu d’études scientifiques pour édicter une conclusion. Il semble que les catégories 1 et 2 amènent un taux d’échecs plus élevé, y compris pour les complications. D’un autre côté, le résultat esthétique semble être plus satisfaisant lors de la réalisation en un temps [1].

La question de la gestion du volume osseux lors de cette étape chirurgicale est largement débattue dans la littérature. Il existe de nombreux articles sur le sujet avec des protocoles très différents (comblements ou non, type de matériaux, membranes, etc.). Toutefois, il n’existe actuellement aucune donnée sur la nécessité de réaliser un comblement [3].

Pour les tissus mous, Chen et Buser [4] concluent après revue de littérature que les récessions tissulaires marginales sont fréquentes après la mise en place immédiate de l’implant. Des facteurs de risque concernant ces récessions tissulaires marginales sont évoqués : biotype fin, malposition de l’implant (vestibulaire) et finesse ou absence de la paroi osseuse vestibulaire.

Ces données amènent à considérer que l’extraction-implantation immédiate du secteur antérieur maxillaire est à risques. Il convient donc d’analyser précisément chaque situation clinique pour poser une indication sûre en terme de résultat esthétique. Cela passe, au vu des éléments scientifiques, par l’analyse des tissus mous mais aussi du tissu osseux. Cette analyse permet de valider la présence muqueuse et osseuse conditionnant la position implantaire. En cela, l’examen tomodensitométrique amène des informations capitales, particulièrement avec l’extraction virtuelle.

Situation clinique et traitement

Présentation du contexte

Une patiente de 75 ans s’est présentée à la consultation suite à une perte de la couronne dentaire de la 11. L’examen général ne révélait aucune pathologie ni médication. L’examen locorégional n’a décelé ni pathologie de l’articulation temporo-mandibulaire, ni adénopathie (fig. 1).

À l’examen local, la perte de la couronne dentaire a été constatée ainsi qu’une fracture de la racine (versant palatin). La limite palatine était infra-gingivale de 3 mm. Compte tenu de la profondeur de la fracture, la décision d’extraction a été prise. Les différentes solutions prothétiques ont été présentées et discutées avec la patiente. Elle a opté pour la solution de prothèse sur implant.

Analyse préchirurgicale clinique et radiologique

L’analyse préchirurgicale a débuté par une analyse prothétique : les lignes de transition permettent de prévisualiser la future couronne mais aussi la position implantaire en regard de ce projet prothétique (fig. 2a).

Un examen clinique détermine qu’il s’agit, dans la situation présente, d’un biotype épais : tissus mous denses avec une hauteur importante de gencive attachée. Ils suivent l’architecture osseuse crestale qui est plate. Aucune inflammation parodontale n’a été enregistrée. Le contexte était favorable par rapport aux facteurs de risque évoqués par Chen et Buser [4].

L’examen radiologique rétroalvéolaire n’a relevé ni pathologie infectieuse péri-apicale, ni perte osseuse (fig. 2b).

Un examen tomodensitométrique a été prescrit pour évaluer de façon précise le volume osseux. Les données Dicom (Digital imaging and communications in medicine) ont été obtenues sur un CD-Rom pour être utilisées avec le logiciel SimPlant(r) (Materialise Dental) afin d’obtenir les images numériques des coupes vestibulo-linguales, panoramiques et axiales. Il a été possible également d’obtenir le volume tridimensionnel de l’os maxillaire (fig. 3).

Le logiciel SimPlant(r), grâce à un outil « dents virtuelles », a permis dans un premier temps de réaliser un projet prothétique virtuel. Cet outil a été utilisé dans cette situation précise car la patiente s’est présentée avec un scanner dépourvu de guide de repérage. La planification implantaire a ensuite été effectuée (implant NobelSpeedy™ Groovy, Nobel Biocare™) avec, pour objectif, la concordance entre le projet prothétique virtuel et l’anatomie osseuse (fig. 4).

Enfin, avec un autre outil spécifique, il a été possible d’extraire virtuellement la dent concernée. La différence de densité des tissus osseux et dentaires est un indicateur important repéré par le logiciel avec l’intérêt d’une visualisation précise du volume osseux présent mais aussi de l’état particulier de la corticale vestibulaire.

Dans l’étude bibliographique évoquée précédemment, les auteurs [4] ont identifié des risques quant au résultat esthétique liés notamment à la corticale vestibulaire. Grâce à cet outil, le volume résiduel osseux après extraction a été clairement identifié pour poser ou non l’indication de cette technique chirurgicale. La corticale vestibulaire n’a pas été détériorée suite à la fracture radiculaire tant en hauteur qu’en épaisseur. Cette extraction virtuelle tridimensionnelle a matérialisé clairement et sans ambiguïté le volume osseux au contraire des images en deux dimensions (fig. 5a, b et c).

Phases cliniques

Une antibioprophylaxie a été prescrite (amoxicilline 2 g par jour pendant 6 jours) [5].

Après l’analgésie, l’incision intrasulculaire périphérique sur 11 a été réalisée. Elle s’est prolongée sur les dents adjacentes, uniquement en palatin. Pour diminuer le traumatisme chirurgical, les suites postopératoires et le risque de récessions tissulaires marginales, un seul décollement palatin a été effectué. Les papilles vestibulaires ont été laissées en place sans décollement de la muqueuse vestibulaire. Ceci a été possible grâce au volume osseux clairement défini par les examens tomodensitométriques.

L’extraction chirurgicale minutieuse a été faite à l’aide de périotomes, pour anticiper au maximum le phénomène de résorption et donc conserver le maximum de volume osseux. La préservation des dimensions alvéolaires est cruciale pour l’obtention d’un résultat prothétique optimal tant sur le plan esthétique que fonctionnel [6]. Ce maintien de l’os alvéolaire est aussi capital pour l’obtention d’une bonne stabilité primaire indispensable pour la gestion esthétique immédiate.

Le débridement, systématique dans les techniques d’extraction-implantation, particulièrement dans les sites infectieux (d’origine endodontique ou parodontale), a ensuite été réalisé par curetage alvéolaire appuyé [7].

Le premier foret a été passé et un indicateur de direction mis en place pour valider le positionnement prothétique de cette racine artificielle. En premier lieu, l’émergence de cet indicateur a été vérifiée en comparant la situation clinique (rapports occlusaux) avec l’écran informatique. Il en a été de même pour l’orientation implantaire (aide des dents adjacentes). Le protocole de forage s’est poursuivi jusqu’à l’insertion de l’implant, le plateau de celui-ci devant être situé 3 mm en dessous du niveau du collet de l’incisive centrale controlatérale (fig. 6).

L’empreinte réalisée selon la technique du porte-empreinte chirurgical [8] a été transmise pour traitement au laboratoire de prothèse. La chirurgie s’est achevée par un comblement au Bio-Oss® (trame osseuse anorganique d’origine bovine, granules de 0,25 à 1 mm, 0,25 g, Geistlich Pharma, France) puis par les sutures. L’objectif de l’utilisation du biomatériau a été de maintenir le volume osseux conforme à l’alvéole initiale mais aussi d’éviter la colonisation muqueuse du site dès les premiers temps de la cicatrisation (fig. 7).

La prothèse provisoire transvissée a été posée le soir même (fig. 8a et b).

Les étapes prothétiques finales ont été réalisées après cicatrisations osseuse et muqueuse, à huit mois pour ce cas clinique. Une prothèse transvissée monobloc sur implant a été élaborée par le laboratoire grâce à la céramisation d’un pilier zircone anatomique Procera®, l’axe implantaire étant ­compatible avec une émergence prothétique cingulaire. Cette construction prothétique a permis de répondre aux exigences mécaniques (résistance), biologiques (biocompatibilité de la zircone) et esthétiques (profil d’émergence reproduit par le système Procera®) (fig. 9a, b et c).

Conclusion

Les outils d’imagerie ont réalisé d’énormes progrès. Ils permettent de finaliser un diagnostic, de simuler l’acte chirurgical, d’anticiper les étapes opératoires et finalement de sécuriser le geste opératoire. L’extraction virtuelle est le parfait exemple de ces évolutions : la mise en évidence précise du volume osseux donne la possibilité d’affiner le diagnostic et de guider le traitement (greffes ou non). Cette rationalisation préopératoire optimise de fait le déroulement des différentes séquences du traitement et le résultat prothétique implantaire final.

Remerciements

Les auteurs remercient les prothésistes M. Cédric Lebret (laboratoire Charon, Mareuil-les-Meaux 77) pour la couronne implantaire provisoire et M. Frédéric Jouve-Savoy (laboratoire Jouve-Savoy, Meaux 77) pour la couronne implantaire céramique.

bibliographie

  • 1 Esposito M, Grusovin MG, Polyzos IP, Felice P, Worthington HV. Timing of implant placement after tooth extraction: immediate, immediate-delayed or delayed implants ? A Cochrane systematic review. Eur J Oral Implantol 2010 Autumn; 3(3): 189-205.
  • 2 Cochran DL, Morton D, Weber HP. Consensus statements and recommended clinical procedures regarding loading protocols for endosseous dental implants. Int J Oral Maxillofac Implants 2004; 19 (Suppl): 109-13.
  • 3 Esposito M, Grusovin MG, Polyzos IP, Felice P, Worthington HV. Interventions for replacing missing teeth: dental implants in fresh extraction sockets (immediate, immediate-delayed and delayed implants). Cochrane Database Syst Rev 2010 Sep 8;(9): CD005968.
  • 4 Chen ST, Buser D. Clinical and esthetic outcomes of implants placed in postextraction sites. Int J Oral Maxillofac Implants 2009; 24 (Suppl): 186-217.
  • 5 Esposito M, Grusovin MG, Loli V, Coulthard P, Worthington HV. Does antibiotic prophylaxis at implant placement decrease early implant failures ? A Cochrane systematic review. Eur J Oral Implantol 2010 Summer; 3(2): 101-10.
  • 6 John V, De Poi R, Blanchard S. Socket preservation as a precursor of future implant placement : review of the literature and case reports. Compend Contin Educ Dent 2007 Dec; 28(12): 646-53.
  • 7 Waasdorp JA, Evian CI, Mandracchia M. Immediate placement of implants into infected sites: a systematic review of the literature. J Periodontol 2010 Jun; 81(6): 801-8.
  • 8 Noharet R, Cannas B, Gillot L. Transfert de la relation intermaxillaire lors de la mise en fonction en implantologie. Implant 2008; 15(2): 121-9.