Empreinte en prothèse fixée par tomographie à faisceau conique (cone beam) : étude pré-clinique - Cahiers de Prothèse n° 166 du 01/06/2014
 

Les cahiers de prothèse n° 166 du 01/06/2014

 

Prothèse fixée

Karim Darugar*   Morad Bensidhoum**   Dove Chaouat***   Emmanuel Soffer****  


*Docteur en chirurgie dentaire
11, rue Ernest-Renan
93200 Saint-Denis
**Chargé de recherche
UMR CNRS 7052
Laboratoire B2OA
10, avenue de Verdun
75010 Paris
***Prothésiste dentaire, infographiste
Laboratoire GéCéram
23, rue Émile-Zola
93100 Montreuil-sous-Bois.
****MCU-PH
UFR d’Odontologie
Université Paris 7
5, rue Garancière
75006 Paris

Résumé

En prothèse fixée, l’enregistrement des limites de préparation doit être précis et rapide, ce que ni les empreintes physico-chimiques ni les empreintes optiques ne permettent aisément.

Pour cette raison, nous proposons ici une autre technique d’empreinte par tomographie volumique à faisceau conique (CBCT). En effet, les rayons X traversant les tissus mous, l’accès aux limites de préparation est immédiat, précis, rapide et reproductible.

Dans cette étude pilote et pré-clinique, nous montrons la possibilité d’appliquer le CBCT à la prise d’empreinte en prothèse fixée, en réalisant une coiffe prothétique par CFAO après empreinte par CBCT d’une dent naturelle préparée et en évaluant la précision d’adaptation de cette coiffe sur la préparation dentaire initiale par microscanner. Les résultats montrent une précision d’adaptation de la coiffe sur la dent préparée de l’ordre de 200 µm, donc cliniquement acceptable.

À notre connaissance, cette étude est la première à montrer la possibilité d’utiliser le CBCT comme technique d’empreinte en prothèse fixée.

Summary

Cone beam computed tomography for impressions in fixed prosthesis: a pilot study

Physico-chemical techniques and optical impressions often fail to register the preparation margins in fixed prosthesis. Cone beam computed tomography (CBCT) uses X-ray beam and penetrate soft tissues giving immediate and accurate access to dental preparation limits.

This pre-clinical, pilot study aimed to evaluate the capacity of CBCT to create an impression consistent with the achievement of a fixed prosthesis. We demonstrated that the fitting of a CAD-CAM prosthetic cap, issued from CBCT acquisition, on the original tooth preparation, was clinically acceptable, as evaluated by the measure of the tooth-prosthesis gap using a microscanner.

To our knowledge, this is the first study that demonstrates the possibility of using CBCT effectively for fixed prosthesis impression purpose.

Key words

CBCT, impressions, CAD/CAM, fixed prosthesis

En prothèse fixée, l’enregistrement des limites de la préparation doit être à la fois précis et rapide. Les empreintes physico-chimiques sont chronophages, onéreuses et sensibles aux déformations des matériaux.

Les empreintes optiques imposent l’introduction d’un capteur intrabuccal et une visibilité des limites de préparation pour être enregistrées par la caméra. C’est une technique reproductible mais non automatisée.

La diffusion des appareils de radiologie 3D – par tomographie à faisceau conique (cone beam computed tomography, CBCT) – augmente dans les cabinets d’omnipratique en raison de la baisse de leur coût, de la multiplication de leurs indications (implantologie, endodontie, orthodontie…), de leur couplage fréquent aux appareils « panoramiques » 2D conventionnels, sans parler de la création récente d’une cotation permettant le remboursement d’une radiographie 3D par l’assurance maladie.

Les rayons X traversant les tissus mous, l’accès aux limites de préparation n’est plus un problème ; de plus, l’acquisition par CBCT est extra-orale et obtenue en quelques secondes contre plusieurs minutes pour les autres techniques [1].

C’est la raison pour laquelle cette étude pré-clinique propose d’évaluer la possibilité d’utiliser le CBCT pour réaliser une empreinte de prothèse fixée, utilisable pour réaliser une coiffe prothétique cliniquement acceptable.

Matériel et méthode

Méthode (fig. 2)

Le principe était de radiographier par CBCT une préparation dentaire sur dent naturelle puis de réaliser, par conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO), une coiffe prothétique sur le modèle virtuel obtenu, le critère d’évaluation étant l’adaptation de cette coiffe sur la préparation dentaire initiale pour valider, ou non, cette nouvelle technique d’empreinte.

Matériel

À la suite d’une parodontite terminale, une canine maxillaire droite (13) a été recueillie en cabinet de ville après son extraction et l’accord des patients.

La dent a été plongée dans une solution d’alcool à 90° pendant 2 heures puis rincée abondamment à l’eau courante.

Une résine polyuréthane (Mirapont® 203010 Hager Werken, Duisburg, Allemagne) a été coulée dans des moules réalisés en silicone de duplication (RTV 181 Esprit Composite, Paris, France) pour réaliser un moulage dans lequel la dent naturelle 13 a été incluse. La dent a été préparée selon les critères classiques de préparation en prothèse fixée (fig. 1), puis l’acquisition CBCT de la préparation dentaire a été réalisée à partir de deux tomographes à faisceau conique Vatech (Séoul, Corée) – Pax Duo 3D (CBCT 1) et Pax Uni 3D Green (CBCT 2), taille des voxels respectivement de 80 et 49,5 µm (données constructeur) – grâce au logiciel Easydent®version 2012, Vatech (Séoul, Corée).

Plusieurs acquisitions ont été réalisées en faisant varier la tension et l’intensité selon les réglages d’origine puis en les modifiant (tableau I).

Différents logiciels ont été nécessaires pour mener à bien cette étude :

– le logiciel « 0 » : Ez3D Plus Simple Viewer version 1.2.6.2 (Vatech, France) destiné à reconstruire les données DICOM (digital imaging and communications in medicine) 3D et à visualiser les modèles à l’écran ;

– les logiciels « 1 » : Geomagic Studio® et Geomagic® Control™ et leur add-in DICOM Importer (3D Systems Corporation, Rockhill, États-Unis) ont été utilisés pour extraire les données des fichiers DICOM (format standard utilisé pour le codage des images obtenues en radiologie numérique) et les convertir en fichiers STL (format 3D standard utilisé dans la transmission des données pour la fabrication assistée par ordinateur) ;

– le logiciel « 2 » : Dental Designer conçu par 3Shape (Copenhague, Danemark) a été utilisé pour réaliser des cires virtuelles ;

– le logiciel « 3 » : Nesting de Zirkonzahn (Gais, Italie) a été nécessaire pour programmer la machine usinant la résine PMMA (polymethyl methacrylate, polyméthacrylate de méthyle) afin de calculer les parcours d’outils ;

– la fraiseuse M5 de Zirkonzahn (Gais, Italie) choisie pour usiner la résine PMMA avec des fraises CAD/CAM 2L FR035 et CAD/CAM 1L FR045 de 57 mm de longueur et de 2 et 1 mm de diamètre respectivement. Des blocs de résine PMMA Burnout vert 95H12 conçus par Zirkonzahn ont été utilisés pour usiner la coiffe en résine PMMA sur la 13.

Pour évaluer l’adaptation de cette coiffe sur le pilier dentaire préparé, la coiffe a été scellée sur la dent préparée avec le ciment endodontique Pulp Canal Sealer (Kerr, Orange, États-Unis) en raison de sa bonne radio-opacité.

Un microscanner ou micro-CT SkyScan 1176 (Billerica, États-Unis), permettant d’obtenir des coupes de 20 µm, a été utilisé pour quantifier l’épaisseur de ce ciment à l’interface coiffe/préparation, ce qui permet d’évaluer l’adaptation de la coiffe à la dent préparée.

Résultats

Les paramètres d’acquisition tension-intensité influencent peu la qualité de l’image (données non montrées) ; les paramètres fixés par défaut par le constructeur ont donc été retenus (89 kV ; 5,8 mA) sur le CBCT?2 dont la définition est supérieure à celle du CBCT 1. Ces valeurs ont permis de reconstruire le volume des préparations dentaires (fig. 3).

Le logiciel « 1 » a effectué la conversion des données DICOM en données STL (fig. 4) avec moins d’artefacts que le logiciel « 0 » (données non montrées ici). Les fichiers STL ont pu, après conversion, être injectés dans le logiciel réservé à la CFAO permettant d’obtenir des armatures virtuelles grâce au logiciel « 2 » (fig. 5). L’armature en résine de la 13 obtenue par acquisition CBCT et réalisée par usinage s’adaptait macroscopiquement à la dent et atteignait les limites de la préparation (fig. 6).

L’armature réalisée en résine PMMA sur la 13 a été scellée au Pulp Canal Sealer sur la préparation.

Le microscanner a permis l’évaluation qualitative et quantitative du joint dento-prothétique. Après 8 heures d’irradiation et de calculs, l’analyse a montré une épaisseur de joint homogène, dans différents plans de coupe, d’environ 200 µm (fig. 7).

Discussion

Le but de cette étude était de savoir s’il était possible d’utiliser une acquisition par tomographie à faisceau conique pour l’empreinte destinée aux prothèses fixées.

Actuellement, les techniques d’empreinte proposées sont physiques ou optiques. Toutes deux nécessitent un conditionnement des tissus par différentes techniques plus ou moins invasives, pathogènes et chronophages pour l’accès et l’enregistrement des limites. De plus, la qualité du résultat reste soumise à de nombreux paramètres cliniques (comme la salive ou le sang). Les empreintes physiques présentent de nombreux inconvénients : inconfort, temps de prise, déformation et imprécisions, et coût non négligeable. Si la chaîne technique est respectée, les empreintes physiques permettent cependant d’obtenir des résultats satisfaisants, y compris dans des situations cliniques difficiles (par exemple l’accès aux limites prothétiques). Les empreintes optiques nécessitent la mise en place d’un capteur intrabuccal parfois volumineux, inconfortable tant pour le patient que pour le praticien. Elles requièrent un temps d’acquisition long (de l’ordre de 3 minutes) ainsi qu’un investissement financier important, mais la précision de l’enregistrement est importante et reproductible.

L’acquisition à l’aide du CBCT dure en moyenne 10 à 20 secondes et est extrabuccale. Elle s’affranchit totalement du conditionnement tissulaire puisque les rayons X traversent les tissus mous. Néanmoins, l’utilisation d’un appareil de radiologie par cone beam est par essence irradiante.

Classiquement, le CBCT est utilisé pour la réalisation de guides chirurgicaux traditionnels [2] ou, depuis peu, intégrés à un processus de CFAO [3]. En orthodontie, le CBCT peut aussi être combiné à une empreinte optique intrabuccale pour l’obtention de modèles en 3D plus précis affichant les supports à la fois osseux, dentaires et muqueux. Il permet ainsi d’obtenir des modèles sans artefacts, favorisant un meilleur diagnostic orthodontique [4].

Notre proposition est d’utiliser la tomographie volumique à faisceau conique comme empreinte en prothèse fixée ; la méthode utilisée dans cette étude est similaire à celle mise en œuvre pour la réalisation d’un guide chirurgical à partir d’un CBCT ; elle utilise la même technique d’acquisition d’image et de fabrication mais trouve ici une indication nouvelle. Notre protocole utilisant un modèle fantôme en résine polyuréthane est compatible avec une numérisation par CBCT en raison du caractère faiblement radio-opaque de cette résine qu’il est possible de mettre en évidence sur l’examen CBCT en modifiant la fenêtre de visualisation (données non montrées).

De même, il est possible de visualiser les tissus mous (gencive) ou l’os en superposition des dents en CBCT, en utilisant une fenêtre « osseuse » ou « tissus mous ». Cette modulation de la fenêtre de visualisation est importante car l’enregistrement du volume des tissus mous est nécessaire en prothèse. La limite actuelle des appareils de radiologie 3D est constituée par les obturations et prothèses dentaires en métal qui induisent de forts artefacts nuisant à la qualité et à la précision des enregistrements. L’évolution est à la limitation de ces artefacts par traitement informatique.

Notre étude ne s’est pas intéressée aux paramètres de l’occlusion car il s’agissait d’une étude pilote. En revanche, les CBCT actuels ont des champs larges permettant d’enregistrer facilement les deux arcades entières en une seule prise, y compris dents « serrées ». L’enregistrement des dents antagonistes aux dents préparées rendrait possible l’élaboration d’une anatomie occlusale fonctionnelle sur les prothèses.

L’évaluation du joint dento-prothétique peut actuellement s’effectuer grâce à différentes techniques. Après scellement de la couronne sur sa préparation, l’adaptation peut être analysée au microscope électronique soit après coupe au microtome [5], soit après injection de silicone basse viscosité dans la chape [6], retrait, coupe et évaluation d’épaisseur de la couche de silicone au microscope. Une troisième technique consiste en l’analyse directe de l’assemblage coiffe/ciment/dent au microscanner [7].

Dans la présente étude, l’analyse au microscanner a été choisie car elle présente comme avantage de n’être ni invasive ni mutilante vis-à-vis de la préparation ou de l’armature prothétique. De plus, elle permet d’éviter des imprécisions dues au matériau dans la technique du silicone. Cette méthode permet également une étude bidimensionnelle et tridimensionnelle du joint dento-prothétique avec une précision de quelques micromètres dans tous les plans de l’espace [8].

Il n’y a actuellement aucun consensus sur l’épaisseur idéale du joint dento-prothétique [9]. Il est communément admis que, au niveau de la limite de préparation, elle doit être inférieure à 120 µm pour être cliniquement acceptable [10].

Dans cette étude, la chape réalisée en résine PMMA a permis, après scellement au Pulp Canal Sealer radio-opaque, d’évaluer le joint dento-prothétique au microscanner. La mesure de ce joint montrait une épaisseur de l’ordre de 200 µm comprenant celle du vernis d’espacement virtuel mis en place avant l’élaboration de la chape par CFAO.

Les valeurs moyennes du joint dento-prothétique dans l’empreinte traditionnelle varient entre 25 et 113 µm pour les couronnes zircone In-Ceram [11, 12], et entre 53 et 182,7 µm [13] pour le système Cerec®.

L’épaisseur du joint dento-prothétique obtenu ici (200 µm) est donc proche de la demande clinique alors que nous avons utilisé, pour l’acquisition, un appareil CBCT dont la définition en termes d’arête de voxel est de l’ordre de 50 à 80 µm (données constructeur).

Sachant que la définition des CBCT augmente d’année en année en raison des progrès des algorithmes de reconstruction et de l’amélioration des capteurs, il est probable que sous peu, la définition des CBCT approchera 20 µm, c’est-à-dire qu’elle sera du même ordre que la définition actuelle des alginates de classe A.

Conclusion

Cette étude montre la possibilité d’appliquer la tomographie volumique numérisée à faisceau conique aux empreintes de préparations dentaires pour la réalisation de prothèses fixées. Ce type d’imagerie par rayons X n’est physiquement pas invasif puisqu’il est extrabuccal et il permet d’enregistrer en quelques secondes les limites prothétiques sans préparation des tissus de soutien de la dent. L’irradiation induite par ce type d’examen est un paramètre à prendre en considération. Cependant, l’amélioration matérielle et logicielle rapide fait décroître la dose reçue.

La précision de l’acquisition avec un appareil du commerce a été suffisante pour réaliser une armature prothétique présentant un hiatus cliniquement acceptable.

Cette étude pilote se proposait d’évaluer la faisabilité du concept, elle s’est donc effectuée sur un nombre limité de tests in vitro ; cependant, il s’agit à notre connaissance de la première étude pré-clinique démontrant la possibilité effective d’utiliser l’acquisition par CBCT comme empreinte pour réaliser une prothèse fixée. Ces résultats sont encourageants et permettent d’envisager à terme une étude clinique.

Bibliographie

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Liens d’intérêt : les auteurs confirment n’avoir aucun lien d’intérêt à déclarer.