The right word - Cahiers de Prothèse n° 1 du 01/03/2015
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/03/2015

 

éditorial

Jean Schittly  

rédacteur en chef

Diriger une revue francophone n'est pas une tâche facile si l'on se fixe comme objectifs de pratiquer le bon usage de notre langue, d'éviter le piège des anglicismes et de respecter les règles de la rédaction médicale. Pour les Cahiers de prothèse, l'une des premières difficultés consiste à lutter contre les habitudes de langage ancrées dans les pratiques de l'odontologie depuis de nombreuses décennies.

En référence, le plus souvent, au...


Diriger une revue francophone n'est pas une tâche facile si l'on se fixe comme objectifs de pratiquer le bon usage de notre langue, d'éviter le piège des anglicismes et de respecter les règles de la rédaction médicale. Pour les Cahiers de prothèse, l'une des premières difficultés consiste à lutter contre les habitudes de langage ancrées dans les pratiques de l'odontologie depuis de nombreuses décennies.

En référence, le plus souvent, au dictionnaire Larousse, voici quelques exemples de mots ou de dénominations qui ont fait l'objet de propositions de corrections pour de nombreux articles qui nous ont été adressés :

prothèse conjointe ou adjointe : ces deux adjectifs ne qualifient pas le fait que ces prothèses soient fixées ou amovibles. On peut établir un projet comportant conjointement ces deux types de prothèses avec, par exemple, une prothèse fixée adjointe aux autres types de restaurations de l'arcade…

crêtes édentées : une crête avec des dents, difficile à imaginer…

modèle, moulage : le terme modèle utilisé depuis des décennies pour définir la réplique en plâtre sur laquelle sont élaborées les prothèses est moins bien adapté que le terme moulage qui représente réellement le traitement d'une empreinte, constituant un moule pour un matériau plastique comme le plâtre, l'époxy, le revêtement réfractaire… La pièce de démonstration représentant une arcade idéale est effectivement un modèle. Le choix entre ces deux termes se justifie encore plus actuellement avec la CFAO, domaine dans lequel on peut désormais parler de modèle virtuel ou numérique ;

édenté partiel : si l'édenté est bien un individu « qui a perdu ses dents ou une partie de ses dents » (Larousse), le qualifier de partiel signifie qu'il lui manque quelque chose, un bras, une jambe ? ;

édenté total (pluriel : édentés totaux) ou édenté complet : les adjectifs complet, « à qui il ne manque aucun élément constitutif », et total, « à qui il ne manque rien », qualifient curieusement un individu qui n'a plus de dents ! Ces deux mots associés sont rencontrés encore fréquemment, parfois même dans des titres d'ouvrages. Pour les remplacer, on ne peut faire plus court que « patient ou individu partiellement ou totalement édenté » ;

céramo-céramique : ce mot composé contenant une redondance a vraisemblablement été calqué sur céramo-métallique qui, en revanche, indique bien l'association de deux matériaux distincts. Pourquoi ne pas s'inspirer de l'anglais all ceramic et adopter le tout céramique ? Il aurait même été possible de suggérer des mots composés plus explicites à partir des céramiques de nature différente : alumino-céramique, zirco-céramique par exemple…

La seconde difficulté pour la rédaction des Cahiers de prothèse concerne la mise en forme des articles. Depuis une dizaine d'années, il a été décidé d'adopter les principes préconisés pour les articles scientifiques médicaux. Le fait de vouloir publier en français ne doit pas, en effet, dispenser les auteurs de fournir des articles qui, sur le fond comme sur la forme, soient reconnus de qualité par la communauté scientifique internationale.

Ainsi, pour les Cahiers de prothèse, mon ambition, avec les membres du comité scientifique, a toujours été de proposer aux auteurs des aménagements destinés à améliorer la qualité de la démarche scientifique, de l'iconographie et de la rédaction en français. Divers formations et ouvrages ont permis de maîtriser progressivement ces principes, pour les appliquer avec rigueur sans, toutefois, essuyer de refus ou de protestations de la part des auteurs potentiels. (Principale référence : Huguier M, Maisonneuve H et al. La rédaction médicale. De la thèse à l'article original. La communication orale. Paris : Doin, 2003).

Il n'est pas possible, dans cet éditorial, d'aborder l'ensemble de ces principes. Je souhaite donc évoquer l'un des aspects qui génère le plus de corrections : le temps des verbes à utiliser.

La règle principale est d'utiliser le passé pour tous les événements qui sont survenus dans le passé. L'usage du présent de narration doit être exclusivement réservé à la description de faits avérés, reconnus par la communauté scientifique.

Quelques exemples :

– dans la dernière partie d'une introduction, après avoir situé l'orientation que l'on a souhaité donner au thème choisi, on doit écrire : « le but de notre travail a été de… » ;

– pour la description d'observations ou de faits cliniques effectués par l'auteur, c'est le passé qui doit être la règle : « Le patient a consulté pour un problème esthétique… », « L'examen clinique a montré une atteinte de… » ;

– « Il est désormais reconnu que l'accès aux limites cervicales est une priorité absolue pour tout type de prise d'empreinte… » (fait incontestable, donc au présent). Untel et al. [1] ont démontré que… (référence à une étude passée).

La rédaction d'une étude expérimentale suit les mêmes règles : motivation du choix du sujet, matériels et méthode, résultats sont à énoncer au passé. C'est dans la discussion que les faits avérés, incontestés, font appel au présent de narration.

Enfin, dernière précaution avant de soumettre l'article à l'éditeur, veiller à supprimer les incursions du futur dans des phrases du passé : « La prothèse a été scellée après réglage de l'occlusion et le patient sera revu pour un contrôle deux mois plus tard… ».

Huguier et al. ont énoncé les trois qualités d'un article scientifique :

1. l'intérêt scientifique ;

2. la qualité de la rédaction scientifique ;

3. le bon usage de la langue dans laquelle il est écrit.

C'est ce troisième point que j'ai souhaité aborder (brièvement) pour constituer un complément utile aux traditionnels « Conseils auteurs » des Cahiers de prothèse et permettre aux membres du conseil scientifique de privilégier les deux premiers dans la rédaction de leurs rapports de lecture.