Gestion implanto-prothétique des espaces étroits - Cahiers de Prothèse n° 178 du 01/06/2017
 

Les cahiers de prothèse n° 178 du 01/06/2017

 

Synergie implants et prothèses

R. Noharet   P. Buisson   S. Viennot  

SITUATION INITIALE

Une patiente s'est présentée en urgence après fracture d'un bridge collé mandibulaire remplaçant les dents 31 et 41 par une seule dent ; une ailette était encore visible à l'examen clinique. En complément, l'édentement mésio-distal était de 6 mm avec une concavité vestibulaire. Les préparations amélaires du bridge, posé il y a 12 ans, ont également été relevées. L'examen radiologique réalisé après collage provisoire du bridge, pour...


Résumé

Introduction

Les espaces édentés étroits ont toujours été un sujet délicat en termes d'indications d'une restauration prothétique, et ce quel que soit le moyen envisagé. L'implantologie a connu un essor important ces dernières années avec une extension des indications initiales focalisées sur les traitements de l'édenté complet mandibulaire et maxillaire. Cette extension a permis de proposer des thérapeutiques fixes sur implant(s) pour restaurer les édentements unitaires et partiels. Mais le traitement implantaire unitaire nécessite une plus grande vigilance dans son indication, notamment si une fausse gencive doit être utilisée. En effet, cela ne permettra pas une intégration esthétique optimale contrairement aux mêmes situations chez l'édenté complet. Il est donc nécessaire d'évaluer la présence d'un volume osseux adéquat, en accord avec l'espace biologique pré-implantaire indispensable aux succès esthétique, fonctionnel et biologique. Cet espace doit être évalué dans les trois sens de l'espace : corono-apicale, vestibulo-palatin et mésio-distal. Pour l'édenté unitaire, cette dernière dimension est donnée par l'espace interdentaire disponible qui doit être au minimum de 7 mm pour un implant de 4 mm de diamètre, dit standard [1]. Si le volume osseux n'est pas suffisant, il est nécessaire de réaliser une reconstruction osseuse préalable. Aujourd'hui, les fournisseurs implantaires nous proposent des implants de très petit diamètre (3 mm) qui permettent d'étendre les indications implantaires. Ce type d'implant permet de diminuer l'espace biologique mésio-distal nécessaire à 5 mm, lequel correspond surtout à des édentements unitaires d'incisives mandibulaires. Avec la combinaison du platform switching, l'émergence prothétique peut approcher les 2,5 mm, permettant de respecter encore davantage les formes triangulaires des incisives mandibulaires.

L'illustration clinique qui suit permet d'aborder ces différents éléments et spécificités du traitement de l'édenté unitaire antérieur avec un espace étroit. La thérapeutique suit différentes étapes : la planification prothétique et digitale, l'exécution chirurgicale puis l'exécution prothétique permettant d'aboutir au résultat final. La planification reste très importante dans les traitements implantaires : il s'agit du temps de la réflexion. Puis vient la phase d'action (chirurgie et prothèse) qui ne consiste qu'en l'exécution de la partition écrite précédemment.

SITUATION INITIALE

Une patiente s'est présentée en urgence après fracture d'un bridge collé mandibulaire remplaçant les dents 31 et 41 par une seule dent ; une ailette était encore visible à l'examen clinique. En complément, l'édentement mésio-distal était de 6 mm avec une concavité vestibulaire. Les préparations amélaires du bridge, posé il y a 12 ans, ont également été relevées. L'examen radiologique réalisé après collage provisoire du bridge, pour temporiser, montrait une hauteur osseuse importante (fig. 1 et 2).

PROJET PROTHÉTIQUE

Des empreintes ont été réalisées et envoyées au prothésiste dentaire pour la confection d'un projet prothétique par wax-up. Afin de respecter des formes dentaires harmonieuses, il a été décidé de maintenir la situation précédente : trois incisives mandibulaires au lieu de quatre.

Sur moulage, les deux incisives latérales ont vu leur taille augmenter par adjonction de cire pendant que la dimension de l'incisive centrale était conservée par rapport à celle du bridge collé (fig. 3 à 6).

EXAMEN TRIDIMENSIONNEL

Un examen tridimensionnel a été réalisé chez cette patiente. Les nombreuses restaurations existantes ont produit de multiples artefacts sur les clichés (fig. 7). Néanmoins, en utilisant la technique d'indexation des moulages (le moulage bleu foncé est le wax-up) [2], un implant a pu être planifié dans des conditions favorables sur les plans prothétique et biologique. Un aménagement osseux et muqueux a été programmé pour pallier la concavité vestibulaire. En fonction de cette planification implanto-prothétique, un guide chirurgical a été dessiné virtuellement (en jaune). Il a été ensuite confectionné par système d'impression 3D (logiciel SMOP, Swissmeda) (fig. 8 et 9).

Après analyse de la situation clinique et explication à la patiente, le plan de traitement a été établi et comportait les étapes suivantes :

– réalisation de composites sur 42 et 32 afin d'harmoniser leur dimension (hauteur) ;

– mise en place de l'implant central avec aménagement tissulaire et mise en esthétique immédiate ;

– attente du délai de cicatrisation osseuse (6 mois), puis réalisation de la prothèse d'usage transvissée.

RÉALISATION DES COMPOSITES SUR 32 ET 42

La réalisation des composites [3] a respecté le projet prothétique défini par adjonction de cire sur le moulage d'étude pour les dents 32 et 42. Après mise en place du champ opératoire de 34 à 44 (digue Nictone® medium), les surfaces dentaires linguales des deux incisives latérales ont été surfacées à l'aide d'une fraise diamantée à grains fins pour retirer les anciens dépôts de colle mais aussi le tissu coloré ou infiltré. Puis les protocoles classiques de collage et de stratification ont été envisagés (fig. 10 et 11) :

– mordançage à l'acide orthophosphorique 37 % (30 secondes sur l'émail et 15 secondes sur la dentine), rinçage abondant, application du primer pendant 30 secondes sur la dentine, séchage délicat, application du bonding et polymérisation pendant 40 secondes ;

– montage du composite par stratification avec une masse dentine et une masse émail (composite HRi, Micerium) ;

– polissage minutieux avec des fraises diamantées fines et ultra-fines et des pointes en silicone ;

– lustrage des restaurations pour obtenir des surfaces aussi brillantes que l'émail naturel. Une brossette en poils de chèvre et une roue en feutre associées à des pâtes de granulométrie décroissante (kit Enamel Shiny, Micerium) ont permis d'obtenir un état de surface d'une parfaite brillance ;

– dépose du champ opératoire en dernière intention avant le contrôle de l'occlusion (fig. 12).

CHIRURGIE IMPLANTAIRE ET RESTAURATION IMMÉDIATE

Le guide chirurgical a été imprimé puis livré au cabinet dentaire. Sa rétention sur l'arcade dentaire était assurée par un dessin très spécifique avec plusieurs appuis punctiformes au niveau des lignes de plus grand contour des dents, et des appuis également sur les faces occlusales (fig. 13).

Le guide a été dans un premier temps installé en bouche puis la stabilité et la précision ont été validées, autorisant ainsi le début de la phase chirurgicale (fig. 14 et 15).

Pour le cas clinique présenté, il était déterminant de pouvoir réaliser un lambeau afin de préserver un maximum de tissu kératinisé permettant d'envisager des repositionnements tissulaires après la pose de l'implant. La crête a été mesurée à 5 mm d'épaisseur et le forage a été réalisé par l'intermédiaire du guide implantaire. Une cuillère a servi de réducteur en fonction du (des) forêt(s) choisi(s). Dans ce cas précis, un seul foret de 2 mm de diamètre a été passé : un implant de 3 mm de diamètre a été inséré (Implant 3.0, Nobel Biocare). Les vues cliniques montrent la précision du forage localisé parfaitement au milieu de la crête osseuse, suivi de l'insertion centrée de l'implant sans effraction de la corticale vestibulaire (fig. 16 à 21).

Une fois l'implant installé avec un couple d'insertion satisfaisant pour la réalisation de la mise en esthétique immédiate (supérieur à 30 N/cm), une empreinte au silicone (technique double mélange) a été réalisée, avec utilisation d'un porte-empreinte à ciel ouvert. Un morceau de digue a été prédécoupé puis positionné autour du transfert d'empreinte pour éviter que le silicone ne fuse sous le lambeau. Une fois le matériau réticulé, l'empreinte a pu être retirée et adressée au prothésiste dentaire pour la confection de la dent provisoire (fig. 22 et 23).

RECONSTRUCTION TISSULAIRE

Un prélèvement tubérositaire a été effectué pour épaissir le secteur vestibulaire et supprimer la concavité, expression tissulaire de la résorption consécutive à l'extraction initiale. Classiquement, ce greffon est prélevé dans le secteur postérieur maxillaire riche en fibres de collagène, donc il est plus dense et moins sensible à la résorption qu'un autre. Toutefois, ce prélèvement peut être l'objet de nécrose car il est moins vascularisé. Le greffon est inséré en demi-épaisseur dans le lambeau vestibulaire pour optimiser sa vascularisation et sa cicatrisation (fig. 24 et 25).

Ensuite, un comblement osseux a été réalisé avec un mélange d'hydroxyapatite d'origine bovine (Bio-Oss®, Geistlich) et d'os autogène de forage. Il a été disposé dans la zone vestibulaire concave et a été maintenu par une membrane résorbable (Bio-Gide®, Geistlich) fixée par des pins (Meisinger) pour la partie inférieure et par un pilier de cicatrisation pour la partie supérieure. Les sutures (6/0) ont conclu cette étape (fig. 26 à 29).

MISE EN ESTHÉTIQUE IMMÉDIATE ET CICATRISATION

La couronne provisoire a été confectionnée par le prothésiste. La morphologie de cette couronne provisoire doit être rectiligne, voire bombée en interproximal pour soutenir les papilles (fig. 30). Elle doit être légèrement concave en vestibulaire pour laisser un volume libre et ne pas comprimer la partie tissulaire nouvellement greffée (fig. 31).

Puis la couronne provisoire a été transvissée sur l'implant, concept qui supprime la difficile gestion des excès de ciment fusant au sein d'un site chirurgical (fig. 32).

La qualité de la cicatrisation au bout de 15 jours (fig. 33) a permis d'espérer un résultat favorable, lequel a été atteint au bout de 6 mois (fig. 34 et 35). Le résultat muqueux est probant car le profil créé a permis de simuler l'émergence naturelle d'une dent (fig. 36).

PROTHÈSE D'USAGE

La technique du transfert personnalisé a été utilisée pour transmettre au mieux non seulement la position implantaire mais aussi l'émergence muqueuse modelée pendant la phase de cicatrisation par la provisoire [4] (fig. 37 à 39). La prothèse a ensuite été réalisée par CFAO : le pilier soutenant la céramique a été usiné en titane. Les faibles épaisseurs de matériau, notamment au niveau des jonctions implantaires, n'ont pas permis d'utiliser le matériau en zircone sous peine de fracture précoce. Une fois usinée, la pièce en titane a été stratifiée avec de la céramique cosmétique afin d'obtenir un résultat permettant une intégration optimale au sein de dents naturelles (fig. 40 et 41).

CONCLUSION

La gestion des espaces d'édentement étroit n'est pas obligatoirement implantaire : les bridges collés cantilevers sont actuellement une possibilité performante pour certaines indications cliniques. Néanmoins, si le contexte clinique le permet, la solution implantaire peut être envisagée, à condition qu'elle suive un protocole rigoureux pour obtenir un résultat esthétique, fonctionnel et biologique à long terme.

Bibliographie

  • 1 Grunder U, Gracis S, Capelli M. Influence of the 3-D bone-to-implant relationship on esthetics. Int J Periodontics Restorative Dent 2005;25:113-119.
  • 2 Cannas B, Noharet R. Chirurgie guidée : revue des bases fondamentales et principes actuels. J Parodontol Implantol Orale 2017;36:149-158.
  • 3 Clément M, Marcoux C, Noharet R. Intégration d'une restauration composite sur une incisive centrale : gestion de la symétrie. Inf Dent 2015;19:2-7.
  • 4 Noharet R, Gonzalez J, Dillies T, Duvert R, Pernier C. Traitement des agénésies : optimisation par une synergie thérapeutique orthodontico-chirurgico-prothétique. Cah Prothèse 2016;176:8-14.

Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteurs

Renaud Noharet - MCU-PH, docteur en chirurgie dentaire, ancien interne en odontologie

Exercice libéral (Lyon)

Philippe Buisson - Prothésiste dentaire

Saint-Didier-au-Mont-d'Or

Stéphane Viennot - MCU-PH, docteur en chirurgie dentaire, ancien interne en odontologie

Exercice libéral (Lyon)