Le patient édenté partiel antérieur : réflexions implanto-prothétiques - Cahiers de Prothèse n° 182 du 01/06/2018
 

Les cahiers de prothèse n° 182 du 01/06/2018

 

Synergie implants et prothèses

R. NOHARET   P. BUISSON   É. CHALON  

Situation initiale

Une patiente se présente en consultation pour une mobilité importante des 4 incisives maxillaires. Les examens radiologiques (panoramique et rétro-alvéolaires) montrent une perte osseuse comprise entre 50 et 75 % sur les incisives. Cette perte osseuse est localisée dans le secteur antérieur. La mobilité de ces 4 dents est en moyenne de 3 (indice de Muhlemann). Après traitement parodontal initial et réévaluation ultérieure, la décision d'extraire...


Résumé

Introduction

L'implantologie orale n'a de sens que dans le cadre d'une réhabilitation prothétique, biologique et esthétique. Ces trois termes, lourds de sens, imposent le respect de règles implanto-prothétiques précises pour répondre aux exigences scientifiques et aux souhaits du patient.

Dans la situation de remplacement des 4 incisives maxillaires, les enjeux esthétiques majeurs imposent d'analyser précisément la situation pour garantir un bon résultat. Le recueil des éléments cliniques et radiologiques permet d'établir un diagnostic précis puis un plan de traitement clair afin d'obtenir une reconstruction implanto-prothétique conforme aux attentes. Ce temps d'examen et de réflexion est capital pour la parfaite organisation et la réussite du traitement. En cela, les outils numériques aident le praticien mais la connaissance et l'expérience clinique demeurent un impératif essentiel pour la réussite de la thérapeutique.

Cet article a pour objectif de rationaliser les points clés et les étapes d'une réhabilitation implanto-prothétique de 4 dents dans le secteur antérieur maxillaire, en s'appuyant sur une situation clinique traitée.

Situation initiale

Une patiente se présente en consultation pour une mobilité importante des 4 incisives maxillaires. Les examens radiologiques (panoramique et rétro-alvéolaires) montrent une perte osseuse comprise entre 50 et 75 % sur les incisives. Cette perte osseuse est localisée dans le secteur antérieur. La mobilité de ces 4 dents est en moyenne de 3 (indice de Muhlemann). Après traitement parodontal initial et réévaluation ultérieure, la décision d'extraire ces dents est prise dans la perspective d'une réhabilitation implantaire finale. Il apparaît évident qu'une technique d'extraction-implantation et mise en esthétique immédiate ne peut être envisagée dans un volume osseux non conforme au positionnement implantaire correct, c'est-à-dire à 3 millimètres du futur collet de la dent prothétique. De fait, le plan de traitement impose plusieurs étapes chirurgicales (fig. 1 à 5).

Les extractions sont alors programmées mais, préalablement à ce premier acte chirurgical, il est nécessaire d'établir un projet prothétique à l'aide d'un Digital Smile Design® [1] qui précise les éléments et paramètres communiqués au prothésiste. Il peut donc, dans des conditions idéales, réaliser un dispositif prothétique de temporisation qui prend la forme d'un bridge collé à ailette métallique. Cette solution est choisie du fait de sa stabilité et de sa fixité, qui apportent un confort au patient mais sécurisent également l'ensemble des processus de cicatrisation par un contrôle des appuis sur les tissus mous (fig. 6 et 7).

Bien que les extractions soient réalisées aisément du fait de la mobilité des dents, toute extraction doit être atraumatique et des instruments spécifiques sont requis comme les périotomes, les desmotomes... (fig. 8 et 9). Dans un second temps, une greffe épithélio-conjonctive est réalisée pour préserver le volume global de la zone concernée par la réhabilitation.

Cette greffe est issue d'un prélèvement conjonctif palatin inséré par une technique de tunnelisation : une incision en demi-épaisseur est réalisée au niveau des papilles et en vestibulaire pour y insérer le prélèvement conjonctif (fig. 10 et 11). Cette technique permet une revascularisation plus rapide du greffon et une meilleure cicatrisation. Préalablement à l'insertion de cette greffe gingivale, l'épithélium jonctionnel est éliminé à l'aide d'une fraise afin d'obtenir une zone nette pour la cicatrisation à venir. Après ces étapes chirurgicales, la digue est installée pour coller le bridge de temporisation et le résultat obtenu à 2 mois est conforme au volume osseux sous-jacent qui guide la cicatrisation (fig. 12 et 13).

Afin de réhabiliter le volume osseux perdu objectivable sur examen tridimensionnel (fig. 14), une technique de régénération osseuse guidée par membrane non résorbable armée titane est mise en place avec toutes les précautions d'usage nécessaires (fig. 15).

Le bridge collé prend ici tout son sens du fait de l'absence de pressions sur les tissus mous (fig. 16). Le comblement sous la membrane armée est composé pour moitié d'os autogène et pour moitié d'hydroxyapatite d'origine bovine [2]. À 6 mois, le résultat obtenu semble satisfaisant tant du point de vue radiologique que clinique (fig. 17 à 19).

Avant de programmer la phase implantaire, une planification tridimensionnelle est réalisée par la technique d'indexation des modèles. Il est donc possible de superposer le projet prothétique final (fichier STL) sur les fichiers Dicom (scanner médical), ce qui permet de positionner les implants avec précision et dans le respect de la règle des 3 millimètres horizontal et vertical par rapport au collet des futures dents. Un guide chirurgical peut alors être réalisé numériquement en méthode stéréolithographique pour optimiser le transfert chirurgical du planning réalisé informatiquement. Deux implants sont planifiés et positionnés en place des incisives centrales afin d'obtenir un résultat optimal esthétique et biologique car, dans cette situation, la distance inter-implantaire n'hypothèque pas la présence de papilles et assure une réalisation symétrique des pontiques implantaires (fig. 20 à 22) [4].

Un lambeau est élevé avec conservation des tissus mous (fig. 23). Le guide implantaire est ensuite positionné (fig. 24), facilitant la mise en place des implants dans un volume osseux favorable pour une reconstruction implanto-prothétique biologique (fig. 25). À l'issue de cette intervention, le bridge provisoire est remis en place (fig. 26).

Après 6 mois d'ostéo-intégration, le deuxième temps chirurgical débute par un tracé d'incision a minima pour une conservation tissulaire maximale. Un apport conjonctif complémentaire est décidé pour garantir et stabiliser les volumes, puis un bridge provisoire transvissé est alors mis en place (fig. 27 à 29). Il permet d'obtenir un profil d'émergence adéquat avec une prothèse intégrée biologique et esthétique grâce à la technique Ovate Pontic : les tissus mous sont compressés par des pontics qui revêtent une morphologie ovoïde [5] (fig. 30 et 31).

Compte tenu des différentes interventions tissulaires, une mobilité des tissus mous est constatée et les papilles sont mobilisées lors des mouvements labiaux extrêmes.

Pour les stabiliser, la technique dite « strip » [6] est réalisée. Elle consiste en un prélèvement de tissu épithélio-conjonctif de 1,5 mm d'épaisseur, qui sera ensuite suturé au niveau apical afin de déplacer la ligne de jonction muco-gingivale et d'obtenir des tissus stables (fig. 32 à 35).

À ce stade, il est possible de réaliser la prothèse implantaire définitive selon les étapes classiques : empreinte avec un transfert personnalisé, validation du modèle de travail par une clé en plâtre, validation radiologique de l'adaptation de l'armature, mise en place de la prothèse d'usage après réglage de l'occlusion (fig. 36 à 40).

Conclusion

Une réhabilitation implanto-prothétique biologique et esthétique est le résultat d'une organisation précise au service d'étapes cliniques prédéterminées réfléchies et argumentées. Celles-ci sont nécessairement facilitées par les outils digitaux dont il faut bien préciser qu'ils ne peuvent se suffire à eux-mêmes pour répondre à l'exigence d'un résultat final optimal : les compétences cliniques du praticien apportées par l'apprentissage et l'expérience restent la clé de voûte des thérapeutiques complexes, dans une sécurité clinique éprouvée. Secondé par le numérique, le pilotage humain reste juste essentiel...

Bibliographie

  • 1 Coachman C, Calamita M. Digital Smile Design: a tool for treatment planning and communication in esthetic dentistry. Quintessence Dent Technol 2012:35;103-111.
  • 2 Urban IA, Monje A, Wang HL. Vertical ridge augmentation and soft tissue reconstruction of the anterior atrophic maxillae: a case series. Int J Periodontics Restorative Dent 2015;35:613-623.
  • 3 Noharet R. Le projet prothétique en implantologie orale. Cah Prothèse 2016;173:47-57.
  • 4 Vailati F, Belser UC. Replacing four missing maxillary incisors with regular- or narrow-neck implants: analysis of treatment options. Eur J Esthet Dent 2007;2:42-57.
  • 5 Miller MB. Aesthetic anterior reconstruction using a combined periodontal/restorative approach. Pract Periodontics Aesthet Dent 1993;5:33-40 (quiz 42).
  • 6 Urban IA, Lozada JL, Nagy K, Sanz M. Treatment of severe mucogingival defects with a combination of strip gingival grafts and a xenogeneic collagen matrix: a prospective case series study. Int J Periodontics Restorative Dent 2015;35:345-353.

Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteurs

Renaud Noharet – MCU-PH, docteur en chirurgie dentaire, ancien interne en odontologie

Exercice libéral (Lyon)

Philippe Buisson – Prothésiste dentaire

Lyon

Édouard Chalon – Docteur en chirurgie dentaire, attaché au service de consultation et traitements dentaires (Lyon)

Exercice libéral (La Fouillouse)