Bridge implanto-porté maxillaire sur lambeau libre de fibula - Cahiers de Prothèse n° 183 du 01/09/2018
 

Les cahiers de prothèse n° 183 du 01/09/2018

 

Du côté des internes

F. QUENUM   B. RUHIN   A. CHAINE   V. DESCROIX   P. GOUDOT   D. MAURICE  

À la demande d'un service ORL de l'AP-HP, Mme B, 58 ans, consulte en 2007 dans le service de chirurgie maxillo-faciale de la Pitié-Salpêtrière pour une lésion maxillaire droite ostéo-condensante asymptomatique (fig. 1), lésion découverte fortuitement suite à un examen radiologique en 1994. Cette lésion est à cette époque étiquetée dysplasie fibreuse et un suivi annuel de la lésion est mis en place. Pendant 18 ans, la...


Résumé

Présentation

Dans cet article est abordée la prise en charge prothétique implanto-portée d'une patiente reconstruite par lambeau libre de fibula dans le cadre du traitement chirurgical d'une dysplasie cémento-osseuse. Il y est détaillé l'examen clinique, radiologique ainsi que les différentes étapes du traitement prothétique, de la phase de temporisation à la prothèse d'usage.

L'objectif de cet article est de montrer une prise en charge en prothèse maxillo-faciale avec les difficultés inhérentes à la pluridisciplinarité et à la complexité des cas.

Résumé

Mots-clés

Prothèse maxillo-faciale, dysplasie cémento-osseuse, implant, fibula

À la demande d'un service ORL de l'AP-HP, Mme B, 58 ans, consulte en 2007 dans le service de chirurgie maxillo-faciale de la Pitié-Salpêtrière pour une lésion maxillaire droite ostéo-condensante asymptomatique (fig. 1), lésion découverte fortuitement suite à un examen radiologique en 1994. Cette lésion est à cette époque étiquetée dysplasie fibreuse et un suivi annuel de la lésion est mis en place. Pendant 18 ans, la lésion reste asymptomatique et non évolutive. En 2012, la patiente décrit une gêne au niveau du site, une biopsie est réalisée sous anesthésie locale posant le diagnostic de certitude de dysplasie cémento-osseuse avec une absence d'éléments atypiques ou suspects de malignité (complément 1). Les examens radiologiques montrent une extension palatine, vestibulaire ainsi qu'un contact avec le plancher orbitaire (conclusions du staff TUMOS, octobre 2012). Au vu de l'évolutivité récente de la lésion ainsi que de la gêne naissante ressentie par la patiente, une maxillectomie droite avec exérèse du plancher orbitaire et reconstruction par lambeau libre de fibula (droit) est réalisée en mai 2013 par le Docteur Ruhin, service de Chirurgie Maxillo-Faciale du Pr Goudot.

Complément 1

Dysplasie cémento-osseuse : la dysplasie cémento-osseuse est une tumeur bénigne fibro-osseuse des maxillaires et de la mandibule dont l'origine se situe dans le desmodonte. Elle est caractérisée par un remplacement de la matrice osseuse par un tissu ostéo-fibreux. Elle présente un polymorphisme aussi bien clinique que radiologique, son diagnostic de certitude est anatomo-pathologique. Son évolution est lente et le plus souvent asymptomatique, son seul traitement est chirurgical et le taux de récidive est relativement faible après exérèse.

Pour réaliser cette reconstruction et préparer l'intervention, une étude pré-opératoire à l'aide d'examens radiographiques est réalisée. Des guides de coupe et de positionnement ainsi que les plaques d'ostéo-synthèse sont réalisés par CFAO préalablement à la chirurgie à partir du projet informatique (fig. 2 et fig. 3). Cette chirurgie se déroule en 5 temps opératoires :

1. Le premier temps opératoire réalise les voies d'abord chirurgicales : palpébrale inférieure droite sous-ciliaire, para-latéro-nasale droite, s'arrêtant avant la crête filtrale de la lèvre maxillaire droite et se prolongeant dans le vestibule et sur la gencive attachée des dents 15, 16 et 18. L'ensemble de la muqueuse vestibulaire et palatine est conservé. Ce temps permet l'abord de la structure osseuse révélant le processus tumoral et permettant l'ostéotomie emportant les dents 15, 16 et 18. Le site opératoire est contrôlé, mettant en évidence l'exérèse complète de la tumeur.

2. Le deuxième temps opératoire concomitant, réalisé par une deuxième équipe, permet l'abord de la jambe droite pour la préparation du lambeau libre micro-anastomosé de fibula grâce aux guides de coupe.

3. Lors du troisième temps opératoire, le greffon osseux avec sa palette musculo-cutanée et sa vascularisation est transposé au niveau maxillaire et l'anastomose vasculaire est réalisée.

4. Puis dans le quatrième temps opératoire, le greffon est ostéo-synthésé à l'aide des plaques de synthèse imprimées à partir du projet informatique et grâce aux guides de positionnement maxillaires.

5. Pour finir, le cinquième temps consiste dans la pose de 3 implants Nobel (Speedy Growy) sur les sites de 15, 16 et 18 à partir des guides de positionnement (complément 2).

Complément 2

Dans le cadre des reconstructions des pertes de substance maxillaire deux options peuvent se discuter :

Reconstruction par un lambeau libre micro-anastomosé de scapula, qui présente une anatomie proche de la portion inférieure du maxillaire permettant la reconstruction du palais osseux ; mais la faible épaisseur du greffon peut empêcher la pose d'implants.

Reconstruction par la réalisation d'un lambeau libre micro-anastomosé de fibula qui a une anatomie plus éloignée mais une épaisseur de tissus osseux facilitant la pose d'implants. Dans ce cas, la reconstruction s'intéresse à restaurer l'arc alvéolaire qui soutiendra la joue, la zone du palais étant fermée par la palette musculo-cutanée du greffon.

Lors de la dépose du matériel d'ostéo-synthèse 6 mois plus tard, l'un des implants, non ostéo-intégré, est déposé (fig. 4).

La prise en charge de la réhabilitation prothétique implanto-portée à venir étant incluse dans la renégociation d'un protocole de prise en charge globale par la société Nobel Biocare®, la repose de l'implant médian non ostéo-intégré n'a pu être réalisée que le 10 février 2016 (Dr Maurice, interne Quenum, service d'odontologie du Pr Descroix).

Antécédents médicaux et chirurgicaux : état dépressif, prolapsus vésical, amygdalectomie, varices de la jambe gauche opérées, appendicectomie.

Pas d'allergie connue.

Pas de tabac.

Traitements médicamenteux en cours : Escitalopram® (antidépresseur).

Examen clinique

Examen exobuccal statique (fig. 5 à fig. 7)

L'étage moyen est diminué et on peut observer une cicatrice labio-nasale droite située au niveau du philtrum. Les tissus mous sont soutenus, avec une légère asymétrie au niveau des joues.

Examen exobuccal dynamique (fig. 8)

Le sourire ne dévoile pas la ligne des collets, la lèvre inférieure recouvre le bord libre des dents maxillaires. La patiente n'a pas de problèmes phonétiques, en revanche il y a un problème fonctionnel à l'alimentation. Le milieu inter-incisif est dévié vers la gauche par rapport à la ligne médiane.

Examen endobuccal

Examen endobuccal maxillaire (fig. 9)

La patiente présente un édentement de classe II de Kennedy Applegate avec 15-16-17-18 absentes. Le lambeau libre de fibula s'étend de la face distale de 14 jusqu'à la tubérosité rétro-molaire dans le sens mésio-distal, et dans le sens transversal, il s'étend de la joue à la face palatine du secteur 1. Les tissus de revêtement sont de type muqueux. L'ouverture buccale est limitée.

Examen endobuccal mandibulaire (fig. 10)

L'arcade est complète et comporte des dents restaurées dans les secteurs postérieurs.

Examen occlusal (fig. 11)

Le milieu inter-incisif est dévié à gauche. La patiente est en classe 1 canine et molaire avec une malocclusion antérieure, un léger surplomb et les incisives maxillaires palato-versées.

Examen radiologique (fig. 12)

Les implants ne sont pas complètement enfouis. Le processus coronoïde droit a été sectionné après la maxillectomie pour des raisons de limitation de l'ouverture buccale. Le matériel d'ostéosynthèse et les agrafes hémostatiques sont visibles.

Plan de Traitement

La première étape du traitement consiste à établir le projet prothétique, au travers d'une prothèse amovible provisoire en résine en 2014 : cette prothèse nous servira de guide pour la repose de l'implant médian, et permettra à la patiente d'améliorer la mastication et de soulager ses douleurs cervicales dûes à une mastication unilatérale et aux suites de la chirurgie. La patiente éprouve des difficultés à mastiquer du côté droit avec la prothèse et préfère avoir le palais dégagé. Elle est observante et a une bonne hygiène bucco-dentaire.

La proposition thérapeutique est une prothèse implanto-portée, sous la forme d'un bridge céramo-métallique transvissé direct implant, au vu du parallélisme des implants. L'avantage d'un système vissé est le démontage facilité de la prothèse pour la maintenance. Les inconvénients sont l'altération de la morphologie dentaire, la prolongation de l'axe implantaire et donc des contraintes mécaniques.

Les étapes d'empreintes permettront de transférer la situation clinique du patient au laboratoire de prothèse.

Empreintes primaires

Elles sont réalisées à l'alginate avec un porte empreinte métallique du commerce, afin de permettre la réalisation d'un porte empreinte individuel maxillaire à ciel ouvert (fig. 13 à fig. 16).

Empreinte secondaire maxillaire

Après dépose des vis de cicatrisation, le profil d'émergence n'est pas d'excellente qualité du fait de la greffe qui est épaisse et du type de muqueuse, non kératinisée. Les transferts d'empreintes à ciel ouvert sont mis en place et une radiographie rétro-alvéolaire est prise afin de contrôler la bonne position de ceux-ci (fig. 17). Le porte-empreinte est essayé, afin de vérifier l'absence d'interférences du porte-empreinte avec les transferts et les dents. L'empreinte est réalisée au polyéther à deux viscosités (Impregum Penta® de chez 3M™), matériau de choix pour ce type d'empreinte car possédant une grande rigidité. Après insertion du porte-empreinte rempli de matériau, les piliers sont dégagés afin d'avoir accès au vis. Lorsque le matériau est polymérisé, les piliers sont dévissés et emportés dans l'empreinte. Les coiffes de cicatrisation sont remises en place, l'empreinte est décontaminée et les analogues d'implants sont fixés aux transferts.

Validation de l'empreinte

De façon à s'assurer de la passivité de l'armature métallique à venir, une clé de validation en plâtre transvissée est demandée au laboratoire et essayée en bouche. On utilise ce type de dispositif dès que l'on est face à une prothèse plurale implanto-portée transvissée. Une radiographie rétro-alvéolaire est réalisée afin de vérifier la bonne insertion de la clé (fig. 18).

Lors de cette étape, une rupture de la clé a mis en évidence un défaut de l'empreinte (fig. 19), nécessitant la reprise de celle-ci avec la clé en plâtre sectionnée. Chaque fragment est repositionné indépendamment en bouche et enrobé de résine Duralay® (fig. 20). Une sur-empreinte au silicone double viscosité est ensuite réalisée (fig. 21).

Un nouveau modèle est coulé sur cette nouvelle empreinte et une deuxième clé en plâtre est réalisée sur celui-ci. À la séance suivante une validation de ce nouveau modèle avec contrôle radiographique est faite, montrant une absence de fissures ou fracture de la clé.

Essayage de l'armature métallique

Le modèle validé est envoyé au laboratoire pour réalisation de l'armature usinée par CFAO en titane. Cette technique présente une bonne précision par rapport à une armature coulée (fig. 22 et fig. 23).

L'armature est mise en place (fig. 24), une radiographie rétro-alvéolaire de contrôle afin de vérifier sa bonne insertion est faite ; puis l'espace entre l'armature et les dents antagonistes, suffisant pour la céramique occlusale, est contrôlé. Une clé d'occlusion sur l'armature au Futar® est enregistrée avant le renvoi du travail au laboratoire, avec le choix de la teinte : teintier Vitapan classique®, teinte D3 qui doit être validée par la patiente.

Essayage du biscuit

La prothèse est mise en bouche, le contrôle radiographique effectué.

L'occlusion est une phase clé qui conditionne la pérennité prothétique et la stabilité inter-arcade. Elle est réalisée à l'aide d'un papier articulé ultra fin 12 mictons. Le point de contact est contrôlé grâce au passage du fil dentaire. Il est également nécessaire de vérifier la possibilité de passage des brossettes inter-dentaires. La teinte est ensuite validée avec la patiente. Le travail est alors renvoyé au laboratoire qui réalisera le glaçage du bridge.

Essayage final (fig. 25 à fig. 31)

La prothèse est mise en bouche, les vis sont serrées à 35 N à l'aide d'une clé dynamométrique, malgré la difficulté de l'abord de l'implant distal.

Réalisation d'un contrôle radiologique et nouvelle vérification de l'occlusion.

Une fois tous les réglages réalisés, les puits de vissage sont bouchés à l'aide d'une boulette de téflon, recouverte de Cavit®.

À deux semaines, un contrôle est réalisé afin de vérifier le couple de serrage et la bonne insertion de la prothèse. Les puits sont alors bouchés à l'aide de téflon, gutta et composite.

Conclusion

Il existe souvent une opposition entre les impératifs chirurgicaux initiaux, qui sont de protéger le greffon osseux par une palette musculo-cutanée épaisse, et les impératifs prothétiques à venir, qui cherchent à diminuer l'épaisseur des tissus mous afin de s'approcher au plus près du tissu osseux. L'obtention d'un tissu ferme et adhérent à la base osseuse favorable à l'environnement implantaire nécessitera des séances de dégraissage des lambeaux ou la mise en place de fascia au niveau du lambeau musculo-cutané. Ceci est à réévaluer en fonction du cadre dans lequel se situe la reconstruction (traumatologie et pathologie bénigne ou cancérologie). Ce type de reconstruction complexe nécessite une bonne communication entre les différents acteurs du plan de traitement pour être menée à terme de façon optimale.

Lectures conseillées

1. Boutault F, Paoli J-R, Lauwers. Reconstruction chirurgicale des pertes de substance des maxillaires. Stomatologie 2005;22-097-E-10. 2. Girot G, Tramba P, Eid N, Baudoin G. Les bonnes pratiques en prothèse implanto-portée: de la prise de décision à la mise en place de la prothèse. C.I.Vidéo 2007. 3. Helfer M, Helfer, J-L. Gagner le pari de la passivité en prothèse implantaire : stratégie prothétique. Stratégie Prothétique 2006;(6):371-84. 4. Holmes JD, Aponte-Wesson R. Dental implants after reconstruction with free tissue transfer. Oral Maxillofac Surg Clin N Am 2010;22(3):407-18. 5. Rutten L, Rutten P, éditeurs. Crown-bridge & implant: the art of harmony. Allemagne : Funchstal, 2006.

Liens d'intérêts

Cette étude a été réalisée avec du matériel Nobel Biocare.

Auteurs

Faustine QUENUM,
interne en médecine bucco-dentaire
Service odontologie
Pitié-Salpétrière

Blandine RUHIN,
PH, service de chirurgie maxillo-faciale,
Pitié-Salpétrière

André CHAINE,
PH, service de chirurgie maxillo-faciale,
Pitié-Salpétrière

Vianney DESCROIX,
PU-PH, chef de service odontologie,
Pitié Salpétrière

Patrick GOUDOT,
PU-PH, chef de service chirurgie maxillo-faciale,
Pitié-Salpétrière

Didier MAURICE,
MCU-PH prothèse
Service odontologie,
Pitié Salpétrière