L’enquête de juin
 
Intelligence artificielle

13/06/2018

L’enquête de juin

La santé bucco-dentaire à l'épreuve de l'intelligence artificielle

La France vient de se doter d'un plan pour l'intelligence artificielle. Le gouvernement entend ainsi officialiser l'entrée du pays dans une nouvelle ère du numérique. Celle qui permet d'enrichir en données [...]

La France vient de se doter d'un plan pour l'intelligence artificielle. Le gouvernement entend ainsi officialiser l'entrée du pays dans une nouvelle ère du numérique. Celle qui permet d'enrichir en données les technologies afin de les rendre plus performantes. Dans le cadre d’un dossier sur l’intelligence artificielle paru dans le numéro du mois de juin de Clinic, Nicolas Giraudeau nous donne son point de vue sur ce sujet dans le domaine dentaire.


Quel signal le plan national sur l'intelligence artificiel émet-il en direction des praticiens qui, comme vous, sont investis depuis près de cinq ans, dans la e-santé ?

Nicolas Giraudeau : Ce plan démontre que le numérique prend désormais toute sa place dans la prise en charge des soins, y compris dans les aspects cliniques puisque l'intelligence artificielle contribuera à améliorer le diagnostic en permettant de l'établir plus précocement. L'intelligence artificielle apporte donc une innovation organisationnelle dans la mesure où il sera possible non seulement de déclencher la prise en charge sur la base de l'analyse d'une radio pour calculer par exemple la place et l'orientation d'un implant, mais aussi de dépister plus prématurément des lésions cancéreuses. L'intelligence artificielle permet d'envisager de nombreuses pistes. Au niveau international, on peut ainsi s'imaginer qu'à partir d'une simple image, on puisse détecter un noma en phase initiale, ce qui pourrait épargner de nombreuses atteintes traumatiques, sans parler des décès qui surviennent dans 90% des cas.


Jusqu'à présent, l'application de l'intelligence artificielle dans le domaine bucco-dentaire était avant tout connue dans la prévention, notamment dans l'utilisation des brosses à dents connectées. Comment dépasser ce stade ?

Nicolas Giraudeau : Cette application n'est pas à négliger puisqu'elle pourrait permettre de détecter des caries, des inflammations gingivales ou de la plaque dentaire. Bien entendu, l'intelligence artificielle pourra être étendue à la chirurgie. Tout dépendra de la capacité qu'auront les praticiens à alimenter les bases en données. À cette condition, il sera alors possible de croiser les données du patient avec les résultats de recherche et l'ensemble des autres données collectées afin de pouvoir améliorer la prise en charge du patient. Ainsi dans le cas d'une dent de sagesse incluse et mal positionnée, on sera en mesure d'établir des pronostics au regard de toutes ces données. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.


L'intelligence artificielle suscite l'enthousiasme de certains professionnels de santé, mais aussi des réticences chez d'autres praticiens, notamment en ce qui concerne l'avenir de leurs fonctions et la protection des données. Comprenez-vous ces craintes ?

Nicolas Giraudeau : Tout d'abord, il faudra toujours des humains, des cliniciens impliqués, pour alimenter et contrôler les banques de données. Tous les grands principes devront être, par ailleurs, validés par les sociétés savantes, en adéquation avec les acquis de la science. Il n'est donc aucunement question de remplacer les chirurgiens-dentistes. Le système numérique ne sera là que pour les accompagner pour les rendre plus performants, plus pertinents dans la prise en charge du patient. Si l'Homme n'est pas infaillible, la machine, bien programmée, bien validée, devrait l'être. Les algorithmes seront là pour assister le praticien afin d'augmenter ses capacités dans le seul objectif d'améliorer les soins ou de détecter des besoins en soins qui ne sont pas visibles par l'humain.
Il s'agira bien entendu de vérifier que les transferts de données soient bien sécurisés et qu'ils soient effectués avec le consentement du patient. Nous sommes cependant d'ores et déjà soumis, en France, à des obligations réglementaires répondant à ces contraintes, notamment par le biais des hébergeurs en données de santé, et ce dans le respect de la réglementation européenne. J'estime qu'au contraire des réticences exprimées par certains praticiens, des avancées vont être effectuées, grâce aux progrès de l'intelligence artificielle, en termes de clarification et de structuration. Car il n'est pas rare que ce soit les mêmes praticiens qui hurlent au scandale au sujet de supposées dérives dans l'utilisation des données et qui en même temps, envoient à leur prothésiste, les photos de leurs patients par leur boîte mail yahoo ou gmail !




Les objets connectés déjà bien installés dans le domaine de la prévention vont se doter d’une intelligence qui leur permettra d’être plus performants, plus réactifs, voire plus prédictifs. Ils ne remplaceront cependant jamais les praticiens qui continueront à quantifier et à coder ces données. Du reste, le monde de la santé bucco-dentaire n’a pas attendu le Plan national pour l’intelligence artificielle, lancé le mois dernier par le gouvernement, pour exploiter la formidable ressource que constitue le croisement des données patients avec le big data dans le développement de nouvelles solutions, diagnostiques et thérapeutiques. La pratique dans le quotidien du cabinet libéral produit en effet une richesse inépuisable en données cliniques qu’il convient toutefois d’appréhender avec tous les moyens éthiques et déontologiques requis et que seuls les praticiens qui auront sondé ses diverses dimensions pourront mettre réellement à profit. Il y va de l’optimisation de la prise en charge de leurs patients et in fine de leur exercice professionnel.



*Nicolas Giraudeau est MCU-PH santé publique odontologie au CHU de Montpellier, docteur en droit, spécialiste de la télémédecine bucco-dentaire.

Propos recueillis par Marie Luginsland


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