François Duret : l'entretien
 
François Duret : l'entretien

19/02/2013

François Duret : l'entretien

Quarante ans après l’invention de la CAO/CFAO en dentisterie, son découvreur François Duret savoure enfin le temps venu de la diffusion de cette nouvelle technologie dans la profession. Rencontre avec ce chirurgien-dentiste, chercheur et président d’honneur du prochain congrès Imagina Dental à Monaco qui ouvre ses portes le 21 février prochain.

Quarante ans après l’invention de la CAO/CFAO en dentisterie, son découvreur François Duret savoure enfin le temps venu de la diffusion de cette nouvelle technologie dans la profession. Rencontre avec ce chirurgien-dentiste, chercheur et président d’honneur du prochain congrès Imagina Dental à Monaco qui ouvre ses portes le 21 février prochain.

 

Après une longue période d’ajustements, les avantages de l’empreinte optique dépassent aujourd’hui nettement ceux de l’empreinte classique et le coût de cet outil ne sera bientôt plus un facteur limitatif, explique François Duret. Cet ancien assistant des universités et praticien libéral en France, puis professeur et chef de service pendant 10 ans aux États-Unis et 5 ans au Japon, qui a mené parallèlement ses activités de recherche, se passionne pour les nouvelles technologies qui vont apporter au praticien une assistance importante pour son acte clinique.

 

Pourquoi consacrer une manifestation comme Imagina Dental exclusivement aux nouvelles technologies de la dentisterie ?

Il est fondamental pour des praticiens qui exercent déjà depuis de nombreuses années de s’intéresser à ces nouvelles méthodes, de voir si elles sont éprouvées techniquement et si elles sont accessibles dans le cadre de leur exercice. Quant aux jeunes praticiens, ce congrès offre la possibilité d’enrichir leurs connaissances à la sortie de l’université et de s’adapter immédiatement à des technologies qui correspondent à leur savoir-faire informatique. Cela est d’autant plus facile pour eux qu’elles mélangent des techniques de haut niveau à des procédés auxquels ils sont habitués depuis leur plus jeune âge.

 

Le cone beam, le laser et l’empreinte optique sont particulièrement mis en avant lors de ce congrès. Quelles sont les avancées majeures dans ces trois domaines ?

Pour le cone beam, c’est sa vulgarisation. Ce système radiologique complexe a gagné en pureté d’image et est devenu un outil essentiel, pour ne pas dire indispensable, à l’implantologie. Son utilisation est simple et donne des résultats bien supérieurs aux autres techniques de radiologie tout en délivrant un dosage de rayons très raisonnable au regard de la masse d’informations délivrée.

Le laser est une technologie assez ancienne qui fait des réapparitions régulières. Lancé en France par le Pr Melcer dans les années 1970, il était utilisé au départ pour les interventions sur tissus mous. Le rapport coût/résultat apparaissant très discutable, l’intérêt pour cette technique a ensuite diminué. Seule une certaine élite, intéressée par la finesse de la section lors des opérations et l’état postopératoire beaucoup plus confortable, a continué de l’utiliser. La commercialisation de lasers pour des interventions sur tissus durs a provoqué un deuxième regain d’intérêt au milieu des années 1990. Mais l’intérêt a diminué à nouveau car le résultat escompté n’a pas été atteint. La technique est assez compliquée et l’opération est trop lente. La sortie récente de petits lasers peu coûteux a relancé le marché en l’ouvrant à la pratique généraliste pour les petites chirurgies. On est passé d’appareils dont le coût oscillait entre 30 000 et 50 000 euros à une nouvelle génération de produits accessibles pour 3 000 euros seulement.

 

S’agissant de l’empreinte optique, le marché est-il prêt à démarrer ?

Nous allons indiscutablement vers une virtualisation croissante de l’empreinte. Avec les jeux vidéo, la nouvelle génération de dentistes habitués à observer et à manipuler des objets 3D à l’écran va s’y mettre tout naturellement. Il faut surtout noter que si l’intérêt de l’empreinte optique a pu être discutable dans le passé, aujourd’hui son apport clinique dépasse celui de l’empreinte traditionnelle.

En particulier l’apparition récente des empreintes en couleur a fourni un outil supplémentaire fondamental d’aide pour la détermination des limites et de la teinte de la prothèse. L’empreinte optique est aussi plus précise. Elle permet en outre de réaliser une surempreinte. Le rêve du chirurgien-dentiste devient réalité ! En effet, en cas de manque ou d’erreur, il n’est plus nécessaire de refaire une empreinte avec le risque d’avoir le même manque si le sang monte ou si la pâte n’a pas pris régulièrement. La dématérialisation de l’empreinte permet d’effacer l’erreur et de reprendre le travail uniquement dans cette zone. Autre avantage encore, la possibilité pour le chirurgien-dentiste de voir apparaître son travail en temps réel à l’écran et, donc, de le contrôler au fur et à mesure de la saisie des informations.

 

Que dites-vous au praticien qui hésite à s’équiper ? L’argument du coût souvent avancé est-il encore valable ?

Non, le coût ne sera bientôt plus un argument limitatif. Une véritable révolution va avoir lieu dans les 3 à 4 mois à venir. Aujourd’hui, le marché est partagé entre de très grands acteurs, tels que 3M, Sirona, Straumann ou 3Shape […], qui vont s’affronter et proposer de nouvelles formes d’achat. Les prix vont sans doute diminuer. L’IDS à Cologne sera sur ce plan un rendez-vous incontournable.

 

Que recommandez-vous au chirurgien-dentiste qui décide de s’équiper ?

D’essayer toutes les marques, comme lorsque l’on achète une nouvelle voiture, et de participer aux séances de préformation proposées par les sociétés savantes. De ne pas hésiter à contacter les différents fabricants pour manipuler le matériel et se rendre compte par soi-même de l’intérêt qu’il peut avoir dans le cadre de son exercice. Je recommande aussi aux chirurgiens-dentistes de travailler sur leurs propres empreintes. Une bonne méthode est d’utiliser le matériel en dépôt dans son cabinet pendant une quinzaine de jours, avec une assistance et un encadrement sérieux. Cela permet de voir si l’appareil s’intègre bien dans l’exercice quotidien. Je leur conseille aussi de faire un calcul de rentabilité par rapport au nombre de prothèses qu’ils réalisent dans leur cabinet. Contrairement à un cone beam qui apporte un confort et une qualité de travail, la CFAO produit de la prothèse. C’est un système qui se substitue à une dépense déjà existante. On peut donc parler de rentabilité. Certes il existe toujours des passionnés qui utilisent ce matériel même s’ils ne réalisent que peu de prothèses. Les praticiens qui hésitent sont souvent ceux qui n’ont pas fait ce calcul. De toute façon, l’empreinte optique deviendra un système incontournable car les laboratoires s’équipent de plus en plus.

 

Le choix d’un appareil implique une dépendance pour une marque…

Oui et je pense que ce sera le cas pendant encore quelques années. De même que lorsqu’on achète une Renault, on roule avec un moteur et les accessoires de la marque… C’est la raison pour laquelle le choix du modèle est important.

 

Que va devenir le métier de prothésiste ? Pensez-vous qu’il pourrait disparaître ?

Absolument pas. J’expliquais dès mes premiers écrits en 1973 que les deux métiers sont inséparables. Chacun son travail. La disparition du prothésiste a été l’argument des détracteurs de la prothèse par CFAO. Mais penser que le prothésiste pourrait être remplacé par une machine est une vue de l’esprit étroite et fausse.

Les fabricants de certains appareils d’empreinte ont essayé de bâtir leur réputation sur le fait que l’on peut réaliser des travaux dans le cabinet sans faire appel à un prothésiste. Ces travaux se limitent aux inlays et aux couronnes provisoires qui n’enlèvent pas ou très peu de travail au prothésiste. Ces appareils « chair side » suppriment aussi les composites puisque les inlays en céramique sont simples à réaliser. Mais là encore, le prothésiste intervenait peu. Les chirurgiens-dentistes peuvent aussi réaliser des facettes en céramique ou de petits bridges mais je pense sincèrement que l’exécution est nettement moins réussie qu’au laboratoire. Un praticien « clinico-conscient » ne se laissera pas tenter.

En réalité, le chirurgien-dentiste et le prothésiste conservent chacun leurs tâches particulières. Le praticien utilisera l’empreinte optique comme il utilisait le porte-empreinte. Il la donnera au laboratoire qui réalisera le reste du travail. La question est de savoir où sera installé l’outil de production, qui peut être un appareil travaillant par soustraction (fraiseuse) ou par addition (fusion laser ou stéréolithographie). Dans le cabinet ou au laboratoire ? Sans doute dans ces deux endroits mais dans tous les cas, le praticien suivra les directives et les informations venant du laboratoire. Dans ce processus dual, la prothèse pourra être réalisée quasiment en temps réel, alors que le patient est encore dans le fauteuil !

 

Cela suppose tout de même un bouleversement du métier de prothésiste…

Oui, mais il sera toujours prothésiste. Les nouveaux logiciels n’exigent pas que ce professionnel se transforme en informaticien mais qu’il soit un bon prothésiste.

 

Comment imaginez-vous le cabinet idéal de demain ?

La question est très complexe. Dans les très grandes lignes, je pense que l’acte manuel sera dominant. Le chirurgien-dentiste sera entouré de machines extrêmement sophistiquées et bénéficiera d’une assistance très importante pour la réalisation de son acte clinique mais, in fine, c’est lui qui opérera.

Cette assistance sera « virtualisée » et imagée sous forme de guide. Le praticien va profiter de la réalité augmentée. Cela existe déjà dans l’automobile où un conducteur peut voir apparaître sur son pare-brise des informations lui indiquant s’il y a du verglas et où il se trouve. Autour du fauteuil, des systèmes diront au praticien si sa préparation est correcte. Différentes méthodes existent déjà. Elles ont été testées, en particulier au Japon.

La définition et l’intérêt des images apporteront une grande aide pour le traitement radiculaire, pour les actes implantaires… Cela commence déjà mais ces vues seront données en temps plus réel et elles seront documentées.

Toute la chaîne de l’acte prothétique sera quasiment virtuelle. Je l’ai dit il y a 40 ans. Ils étaient peu à me croire. Aujourd’hui, c’est la réalité. J’avoue que cela me fait plaisir car j’aurais pu me tromper. Utiliser un plâtre me paraît complètement désuet et dépassé. Et puis, le plâtre limite considérablement les possibilités alors que l’on peut manipuler à l’infini les modèles virtuels, les couper, repérer des axes d’insertion, les compléter… En même temps, l’objet ne bouge pas, ne casse pas et reste pérenne dans le temps. Une couronne cassée pourra être reproduite par n’importe quel chirurgien-dentiste dans le monde, il lui suffira d’être équipé.

Un système de gestion organisera tout le cabinet. Il y a 30 ans, dans mon laboratoire, on pensait aux cartes laser. Aujourd’hui, ce sont des cartes à puce. Chaque patient en aura une avec ses empreintes, ses rendez-vous… Il se fera reconnaître à la porte du cabinet dentaire. Automatiquement, sa fiche extraite du fichier activera les empreintes et préparera les plateaux…

 

Vous êtes intervenu lors du dernier congrès de l’ADF. Vous êtes pour la seconde fois président d’honneur d’Imagina Dental. On a du mal à vous croire lorsque vous annoncez votre départ à la retraite...

C’est l’aboutissement d’une vie professionnelle bien remplie que j’ai beaucoup aimée. Je remercie tous mes confrères qui m’ont soutenu, je pense souvent à tel ou tel visage… C’est le démarrage d’une nouvelle vie que je vais consacrer à l’écriture d’ouvrages et à l’encadrement d’une équipe de recherche composée d’ingénieurs. Je veux entrer dans une recherche fondamentale clinique plus poussée.

 

Dans quels domaines ?

Jusqu’à présent, j’ai inventé dans des domaines très variés. Je construis une invention comme j’écris un poème. Je n’ai aucun axe précis et laisse vaguer mes réflexions. Lorsque j’étais assistant, j’ai été renvoyé de l’école dentaire de Lyon pour dispersion « dans mon travail ». En fait, c’était la passion de mon métier qui s’exprimait ainsi. Je ne me sens encadré par aucune spécialité, je suis un homme libre. Je pourrais très bien faire de l’orthodontie demain si une idée me plaisait. Cela dit, l’axe fondamental de mes recherches est le numérique et la perception du monde au sens large du terme. Je porte beaucoup d’intérêt à l’aspect quantique de l’image. C’est un monde inexploré et riche de promesses.

J’aimerais aussi écrire un ensemble d’ouvrages sur l’empreinte optique, la modélisation et la méthode d’usinage. J’ai rédigé beaucoup d’essais depuis 30 ans sans jamais les publier ; écrire un traité fondamental dans le domaine de la CFAO dentaire m’intéresserait.

 

Que retenez-vous de vos expériences aux États-Unis et au Japon ?

Aux États-Unis, j’ai appris le respect du « timing » et la rigueur. J’ai appris par exemple que la préparation d'1 H de conférence ne se résumait pas à l’assemblage de quelques diapositives mais était le résultat d’un long travail de présentation et plusieurs jours de réflexion. Le Japon m’a appris la patience, le respect et à finir proprement ce que l’on commence : c’est la rigueur de l’industriel japonais. En revanche, l’imagination, la folie constructive et l’art de vivre, c’est la France.

 

Propos recueillis par Anne-Chantal de DIVONNE

Retrouvez l'entretien de François Duret dans le numéro de Clinic, février 2013, Cahier 2, p.5-8


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