Françoise Ponticq, chirurgien-dentiste à Port-au-Prince
 
Françoise Ponticq, chirurgien-dentiste à Port-au-Prince

30/03/2010

Françoise Ponticq, chirurgien-dentiste à Port-au-Prince

Arrivée en Haïti en 1986, Françoise Ponticq exerce dans une clinique dentaire de ville tenue par l’ONG haïtienne Service œcuménique d’entraide (SOE) et mène parallèlement diverses actions pour Aide odontologique internationale (AOI). Après le terrible séisme du 12 janvier dernier, la clinique dentaire miraculeusement restée debout a été utilisée pour traiter des urgences. Aujourd’hui, Françoise Ponticq témoigne pour les Editions CdP de la vie qui essaie de reprendre depuis quelques semaines à Port-au-Prince.

CdP : La clinique dentaire est miraculeusement restée debout à la suite du tremblement de terre. Mais quelle peut être votre action aujourd’hui ?
F. P. : Après avoir participé à la gestion des urgences à la clinique en ouvrant des consultations médicales en collaboration avec une autre ONG haïtienne, et en distribuant médicaments et pansements, je suis retournée aux soins dentaires… avec ma collègue. Pendant les 15 jours qui ont suivi le séisme, les patients venaient surtout des quartiers les plus touchés et des « camps » de fortune où s’entassent jusqu’à présent des milliers de personnes. On estime à 500 000 le nombre des sans-abri à Port-au-Prince, auxquels il faut ajouter les 500 000 personnes parties en province mais que l’on doit s’attendre à voir revenir. Les soins dentaires ne sont pas la priorité dans l’urgence, à part des blessures ou des fractures au niveau de la bouche. Dans certains cas, des médecins m’ont demandé de les aider. Pendant cette période, l’ambiance était assez différente d la normale car les locaux étaient utilisés par des médecins, des infirmières et des psychologues. Puis nous avons repris le service et rappelé les patients, malgré un environnement immédiat parfois insalubre parce que 10 000 personnes vivent dans une promiscuité aberrante à deux pas de la clinique. Nous travaillons avec aussi plus d’urgences.
Nous avons révisé le matériel dentaire et remplacé des instruments rotatifs, qui avaient eux aussi subi quelques secousses !
Depuis 3 semaines, nous repartons de zéro pour ainsi dire : cette clinique, de type communautaire (prix moyens, soins de bonne qualité et très bonne fréquentation) est implantée au même endroit depuis 1993.
En l’espace de 35 secondes, nous avons perdu tous les patients : certains sont morts, d’autres sont partis à l’étranger ou en province pour un temps indéterminé, d’autres encore n’ont plus de moyens financiers ou des problèmes plus graves à résoudre…
Tout est plus compliqué qu’avant ! Les personnes qui peuvent entretenir les équipements ne sont pas toutes à disposition et nos 4 prothésistes ne travaillent pas encore. Nous avons dû chercher un circuit par Saint-Domingue. Beaucoup d’énergie à dépenser !

CdP : Que prévoyez-vous dans les semaines et mois à venir ?
F. P. : Je ne prévois pas grand-chose… Je crois que personne ici ne peut le faire ! Quant à ce vers quoi tendra le pays et comment seront pris en charge ces milliers de personnes qui encombrent tous les espaces de la capitale, c’est encore une question sans réponse, avec des ébauches de théories.
Il y a tant de problèmes à gérer, et des conséquences dont on ne connaît encore pas la portée, que cela paraît parfois insurmontable. Par ailleurs, le manque d’autorité de l’État et sa faiblesse permettent à tout le monde, aussi bien organismes internationaux qu’ONG et individus, de fonctionner à sa guise ou presque !

CdP : Et dans le domaine dentaire ?
F. P. : Les besoins de la population restent les mêmes, mais ses revenus ont souvent diminué ou ses priorités ont changé. On estime à environ 25/250 le nombre des dentistes qui ont perdu leur clinique dans la capitale.
La clinique où je travaille a l’avantage de drainer beaucoup de monde de toutes les classes sociales, et je pense que dans 4 à 6 mois, ou peut-être plus, nous retrouverons les patients. Mais la question est de savoir si tout le monde voudra se rendre dans ce quartier, pourtant situé au centre-ville, près de l’ex-palais national ! Car les « réfugiés » occupent l’espace et il y a pas mal de petite délinquance qui peut en effrayer certains.

CdP : À quoi servent et pourront servir les dons ?
F. P. : Les dons sont importants et utiles. Grâce au réseau, professionnel ou amical, établi au fil des années, nous avons pu récolter des fonds auprès de l’AOI. Ils ont servi, dans un premier temps, à remplacer du matériel de la clinique et à répondre aux besoins en nourriture, transport, vêtements des 30 employés du SOE car beaucoup ont tout ou partiellement perdu de leur maison et de leurs effets. Et l’on a toujours de la famille, des voisins ou des amis plus touchés à qui l’on donne aussi un coup de main.
Grâce à l’aide, nous avons aussi acheté des tentes et du carburant pour faire fonctionner les générateurs car l’électricité n’est pas rétablie partout, ainsi que des cartes de téléphone qui permettent de se rassurer en sachant où se trouvent ses proches.
Nous entrons dans une seconde étape, la phase post-urgence pendant laquelle cet aspect financier est toujours aussi crucial pour aider les employés du SOE, leur famille, leurs amis et leurs voisins. Car lorsqu’on dort dans la rue, même sous une bonne tente, la vie change.
Et puis il va falloir reloger les gens, provisoirement et/ou définitivement. On pourra aider financièrement ceux qui peuvent faire réparer leur maison. Pour ceux qui ont tout perdu, des personnes souvent déjà très vulnérables, les frais à engager sont élevés. De nombreux organismes commencent à proposer des modèles de construction antisismiques qui ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Les dons peuvent venir appuyer des financements internationaux pour la reconstruction.
Les petits projets parfois, les petites structures permettent souvent de mieux gérer les fonds et d’entretenir une certaine confiance entre donateurs et receveurs ! C’est ce qui se passe entre le SOE et l’AOI.

CdP : Dans un de vos messages, vous manifestez beaucoup d’inquiétude face à l’avenir…
F. P. : Oui ! Le gouvernement n’a pas encore de solution pour reloger, disons déplacer, les sans-abri. C’est inquiétant car sans entrer dans des considérations politiques, la saison cyclonique qui commence fin juin sera précédée, dès le mois d’avril, de pluies souvent torrentielles. Cette période est toujours synonyme de dégâts : une capitale en pente, des pentes raides et construites alors qu’elles ne devraient pas l’être, un manque de drainage et de curetage des canaux d’évacuation des eaux… cela risque de tourner à la catastrophe !
Et puis, les personnes déplacées dans des camps risquent d’y rester des années ! Comment ne pas perdre une année scolaire quand écoles et universités sont en grande partie détruites ? Comment redonner du travail aux actifs très touchés et les empêcher d’immigrer, ce qui ferait perdre au pays ses ressources humaines ? Ces questions restent sans réponse. Malgré l’aide internationale, les schémas classiques de la dépendance et du laisser-aller hantent nos esprits, sans toutefois nous retirer l’espoir que cette fois-ci, cela pourrait être différent.

CdP : Comment tient-on au quotidien ?
F. P. : Avec de l’adrénaline les premiers jours. Avec ses proches, ses amis et une grande solidarité pendant les 15 jours qui ont suivi. Ensuite, chacun retourne à ses affaires. C’est humain !
On tient en se disant que chacun doit retrouver son fonctionnement quotidien, comme prendre plaisir à soigner des dents (sans blague !), pour rendre la situation plus acceptable et retrouver de nouveaux repères. On tient en pensant que le temps atténue la peur d’autres secousses.
Et puis parfois on ne « tient » plus… Mais après s’être laissé aller, on se rend compte que l’on « détient » l’essentiel, introuvable par les moyens à notre portée : la vie ! Ce n’est pas rien quand on a vu ces débordements terriens…


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