L’attrait de la Roumanie - Clinic n° 09 du 01/10/2013
 

Clinic n° 09 du 01/10/2013

 

ENQUÊTE

La relève

ANNE CHANTAL DE DIVONNE  

La première promotion d’étudiants français en faculté dentaire en Roumanie validera son diplôme européen de chirurgien-dentiste d’ici à la fin de l’année. Cette promotion mais surtout celles, beaucoup plus nombreuses, qui suivent vont venir grossir le contingent de diplômés en France limité par le numerus clausus.

« Le numerus clausus vole-t-il en éclats ? » interrogeait l’Ordre dans La Lettre du mois de décembre alors que, au grand dam de toutes les organisations représentatives de la profession, une formation privée portugaise de chirurgien-dentiste ouvrait ses portes à La Garde près de Toulon. On sait, depuis lors, que malgré le vote d’une loi qui encadre les nouveaux établissements privés dispensant des formations de santé (obligation de conclure une convention avec un établissement public de santé soumise à l’approbation des ministères de la Santé et de l’Enseignement), une seconde antenne a ouvert à Béziers.

Cette nouvelle tentative de contournement du numerus clausus s’ajoute à d’autres qui ont déjà un effet concret. En 2011, 22 % des nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre, soit 269 praticiens, étaient de nationalité étrangère. La moitié étaient des Roumains et le quart des Espagnols en surnombre dans leur pays. À ces praticiens étrangers vont aussi s’ajouter, dès cette année, les premiers Français diplômés dans des universités en Roumanie. Les autres promotions, plus nombreuses, suivront. Recalés en première année d’études de santé ou même arrivés directement après le bac, de jeunes Français choisissent depuis 6 ans de s’expatrier dans ce pays pour la durée de leurs études, essentiellement à Cluj Napoca (université de médecine et de pharmacie Iuliu Hatieganu) et à Iasi (UMF Grigore T. Popa).

À Cluj en particulier, quelque 550 Français se préparent à devenir médecins, pharmaciens, « médecins dentaires » ou encore vétérinaires. En dentaire en particulier, ils n’étaient qu’une petite poignée en 2007, 17 en 2008, une trentaine en 2009 et 70 en 2010. Depuis, la sélection est plus forte à l’entrée. Et le nombre d’étudiants en dentaire a été réduit à 60 en 2011 et à une cinquantaine en 2012, bien que celui des dossiers de candidature progresse. Cette année, sur 600 demandes reçues en médecine, dentaire et pharmacie, seuls 130 dossiers ont été retenus.

Une vraie chance !

Recalés deux fois en première année des études de santé dans une fac française, François Alonso et Marwan Menial désespéraient de devenir un jour chirurgiens-dentistes, la profession qu’ils rêvent d’exercer depuis toujours, quand ils découvrent la possibilité de faire leurs études en Roumanie. « Une vraie chance », reconnaît Marwan Menial. « Quand j’ai entendu parler de la possibilité de faire ses études en Roumanie, j’ai décidé de partir », explique François Alonso qui, enfant, prenait plaisir à rôder dans le cabinet dentaire de son père parodontiste et implantologiste dans le Lot-et-Garonne. Les deux étudiants retrouvent 15 autres Français à Cluj à la rentrée 2008.

« Au début, nous ne savions pas trop où nous mettions les pieds. Mais les trois premières années ont été excellentes » se félicite François Alonso. Ils suivent alors leurs cours en français aux côtés de 80 étudiants d’Afrique du Nord, essentiellement Tunisiens. La promotion compte aussi 60 Anglais et une petite trentaine de Roumains. Le nombre d’Anglais a diminué les années suivantes lorsqu’une école enseignant en langue anglaise a ouvert à Valence, en Espagne.

La difficulté linguistique

« Les professeurs parlent le français pour la plupart et ont suivi des années de formation en France. » Mais en plus du cursus dentaire, les étudiants étrangers suivent des cours de roumain, 4 heures de cours particuliers par semaine dès la première année, afin d’atteindre un niveau suffisant pour l’entrée en 4e année à partir de laquelle tous les cours et les examens sont dans cette langue. À partir de la 4e année, « c’est plus difficile à suivre », reconnaît François Alonso, « nous sommes obligés de traduire, cela prend du temps. Les professeurs ont plutôt été formés dans d’autres pays, aux États-Unis notamment. Certains facilitent notre travail en donnant des supports de cours en français ».

Dans le domaine dentaire, les cours sont « assez proches » de ceux donnés en France, estime François Alonso. « Certains sont plus approfondis. En parallèle des cours dentaires, de prothèse, de morphologie et d’implantologie, nous avons des matières médicales. L’an dernier, j’ai eu des cours de dermatologie, d’épidémiologie, de chirurgie et de médecine interne. »

Au niveau de la pratique, « les traitements en parodontologie et en implantologie sont rares », explique François Alonso. D’une manière générale, il n’est pas facile d’avoir des patients. Les Roumains n’ont pas l’habitude, comme les Français, de venir se faire soigner gratuitement par des étudiants à l’hôpital public. Il faut donc aller les chercher. « Nous informons les gens dans la rue que nous effectuons des soins gratuits et qu’ils peuvent venir. Pour certains examens, pour être sûrs de réaliser 2 endodonties et 3 obturations, nous sommes parfois obligés de racoler. »

Le coût de ces études expatriées atteint 3 000 euros par an pour la formation. L’inscription annuelle est passée à 5 000 euros pour les promotions suivantes. Il faut aussi se loger. Une maison partagée à trois revient à 650 euros par mois, sans les charges de chauffage.

François Alonso n’hésite pas à recommander cette filière de formation aux étudiants qui ont échoué à la première année en France. À condition toutefois, prévient-il, « d’avoir vraiment la vocation de chirurgien-dentiste ».

Un avenir en France

Les deux étudiants envisagent sereinement leur avenir en France. Munis de leur diplôme européen dans 1 an, ils reviendront. « Je compte rentrer à Perpignan, ma ville d’origine, pour exercer dans un cabinet libéral ou dans un centre de soins dentaires, prévoit Marwan Menial. Je suis attaché à la France car ma famille y vit. Mais la région m’importe assez peu. Je suis prêt à aller là où il y aura du travail. Mais avant de m’installer, j’ai besoin d’acquérir un peu d’expérience. J’en ai discuté avec mon chirurgien­dentiste : il accepte d’envisager une collaboration avec moi. »

De son côté, François Alonso projette une « tournée des cabinets pour se former et découvrir différentes techniques et méthodes de travail ». Il prévoit de passer des diplômes de parodontologie et d’implantologie avant de prendre la relève dans le cabinet paternel.