Large consensus après 7 ans… sans ordonnance ! - Clinic n° 09 du 01/10/2013
 

Clinic n° 09 du 01/10/2013

 

STAGES ACTIFS

ENQUÊTE

La relève

SERGE TROUILLET  

Depuis la création des stages actifs il y a 7 ans, jamais la profession ne s’était réunie pour en examiner les pratiques dans chacune des unités de formation et de recherche (UFR) ainsi que les évolutions possibles. Les Journées nationales des stages actifs de Clermont-Ferrand, les 27 et 28 juin derniers, ont permis pour la première fois de lever le voile, très librement, sur une situation pour le moins hétérogène et de faire émerger, dans un large consensus, un corpus de bonnes pratiques pour tous.

Si personne ne remet en cause le principe du stage actif pour les étudiants de 6e année, les modalités de sa mise en œuvre dans les facultés sont pour le moins hétérogènes ! Les Journées de Clermont-Ferrand, qui ont rassemblé une centaine de participants, ont été l’occasion d’en étudier, pour la première fois, les multiples aspects sur l’ensemble du territoire. Certaines facultés étaient directement représentées (Clermont-Ferrand, Montpellier, Lille, Paris VII-Garancière) ou par le biais d’un document qui a été lu en séance (Toulouse), la représentation estudiantine (UNECD, Union nationale des étudiants chirurgiens-dentistes) ayant exposé les résultats d’une enquête auprès des 16 UFR de France. En règle générale, le stage se déroule en 200 heures réparties tout au long de l’année (demi-journées ou journées) ; l’étudiant choisit son lieu de stage, qui est validé par la faculté après avis de l’Ordre départemental ; une certaine forme d’autonomie est autorisée par la faculté ; le suivi des patients ainsi qu’un dédommagement sont possibles ; l’administration de la faculté organise ces stages ; ceux-ci ne font pas souvent l’objet d’un suivi réel mais d’un rapport dont la validation est nécessaire pour assurer la 6e année. Chacune des facultés, néanmoins, cultive sa spécificité.

Un stage pas toujours ressenti comme une priorité par les étudiants

À cette aune, Bordeaux (98 étudiants) ne se distingue pas vraiment. À Brest (25 étudiants), les stages sont possibles chez plusieurs praticiens ; surtout, les étudiants tempêtent contre leur fac qui leur a fourni une liste de praticiens dont les trois quarts n’avaient pas donné leur accord pour les accueillir en stage ! À Lille (99 étudiants), le stage est validé par le doyen, à l’issue d’une évaluation qualitative, après avis du maître de stage et examen du carnet de stage ; le stage apparaît long pour ceux qui ne travaillent pas… Lyon (82 étudiants) dispose d’une unité consacrée à l’organisation.

Montpellier (65 étudiants) affiche un avis très satisfait des étudiants qui sont cependant parfois en demande de facilités pour le transport et l’hébergement. Les maîtres de stage, également très satisfaits, soulignent de leur côté des points d’amélioration concernant l’autonomie des étudiants, leurs compétences en thérapeutique, en diagnostic et en gestion. « L’étudiant a souvent une vision saccadée de la prise en charge du patient liée à la multiplicité des services ; l’intégration polyclinique dans les centres de soins est perfectible et l’un des points forts du stage doit être de compléter cette vision transversale », remarque le doyen Jean Valcarcel. À Nancy (60 étudiants), par défaut d’information, le stage n’est pas ressenti par les étudiants comme une priorité. À Nantes (64 étudiants), l’organisation est assurée par un enseignant de la faculté, sans rôle strict. Les étudiants rapportent que les maîtres de stage manquent d’informations sur le rôle qu’ils ont à tenir.

« Chacun fait sa petite cuisine »

À Nice (36 étudiants), le stage se décline par demi-journées hebdomadaires. Sans réelle possibilité de suivre des patients, ce stage actif se résume, pour la grande majorité des étudiants, à un stage passif ! Paris Descartes (99 étudiants) se distingue assurément : avec 100 heures obligatoires par an selon l’UNECD, au lieu de 200, la faculté s’affranchit tout simplement des textes de loi… À Paris VII-Garancière (80 étudiants), le stage actif, de 1 à 2 journées par semaine tout au long de l’année, est effectué en même temps que le stage clinique. Beaucoup d’étudiants, indique l’UNECD, font des remplacements dès le début de la T1. À Reims (55 étudiants), « chacun fait sa petite cuisine pour arriver aux 200 heures sans contrôle de la faculté », rapporte Pierre-Yves Brustel, vice­président de l’UNECD en charge de la communication et des questions professionnelles. À Rennes (55 étudiants), les stages se déroulent en une année tandis que les expatriés au centre de soins de Caen les concentrent sur un semestre. L’organisation de ces stages est coordonnée par un enseignant qui en est le responsable pédagogique. Strasbourg (56 étudiants) assure un suivi ponctuel du stagiaire par des appels téléphoniques de la faculté et des visites. À Toulouse (66 étudiants), le stage est validé à partir de la grille d’évaluation remplie par le maître de stage et du rapport de stage remis par l’étudiant. À noter que parmi les maîtres de stage, 8 sont enseignants de la faculté, choix que n’a pas fait par exemple Clermont-Ferrand : « Nous avons pris le parti de nous autoexclure de la maîtrise de stage afin d’éviter d’être juge et partie. Pour la même raison, les stagiaires ne peuvent non plus faire leur stage dans leur propre famille », précise Bernard Chaumeil, responsable des stages en milieu professionnel à l’UFR d’odontologie de Clermont-Ferrand et cheville ouvrière de l’organisation de ces Journées.

Stage actif : mots choisis

Pour Maurice Morenas, « l’immersion répond au mieux à un grand nombre de problématiques : elle permet un suivi plus pertinent du stagiaire ; elle lui est d’un grand bénéfice dans le registre de l’insertion professionnelle ; elle présente l’avantage d’éviter toute confusion avec les remplacements ; elle autorise de plus la possibilité de sortir de la proximité de la faculté et contribue ainsi à la lutte contre la désertification de certains territoires ». L’évocation du coût du déplacement et de l’hébergement a conduit l’assistance à s’interroger sur les éventuelles aides à solliciter auprès des Unions régionales des professionnels de santé (URPS), sachant par exemple qu’un département comme la Lozère paie les frais de déplacement des stagiaires, allant même jusqu’à y ajouter un dédommagement. Alain Gillier, maître de stage à Troyes, met en exergue la difficulté pour lui de s’adapter parfois aux modalités disparates de formation, pour des stagiaires venant d’horizons différents. Pour de nombreux étudiants, ce stage actif semblerait plus efficace s’il était effectué en début de T1, avant de faire la clinique. Radhouane Dallel, vice-doyen de l’UFR de Clermont-Ferrand, voit dans ce stage « un formidable outil pour évaluer la qualité de la formation des universités. Sur le terrain, les lacunes apparaissent. Les retours sont intéressants. C’est une occasion d’un vrai dialogue entre l’hôpital et le monde libéral ».

Jacques Le Voyer, vice-président de l’UJCD (Union des jeunes chirurgiens-dentistes), s’étonne qu’à Paris Descartes on ne respecte pas les textes prévoyant 200 heures obligatoires pour ces stages ! Il raille également les pratiques de certains sites comme Nice où, avec une demi-journée par semaine, on ne propose rien d’autre aux étudiants que du tourisme universitaire ! Bernard Chaumeil insiste sur la nécessité, pour tout enseignement, d’être évalué par les étudiants eux-mêmes « afin de récupérer l’effet en retour de la population à qui l’on enseigne ». Anne Depreux, praticien libéral et maître de stage, propose quant à elle que l’étudiant remplisse une grille anonyme qui permette de faire évoluer ces stages. Thierry Orliaguet souhaite « qu’à l’inverse du stage, les assistants dentaires viennent se former avec les étudiants dans les hôpitaux, pour apprendre à travailler ensemble. Il faut pouvoir mixer les types d’activités. Dans le même temps, j’appelle à un retour massif des praticiens libéraux dans le cadre de la formation continue ; qu’on parvienne à trouver un équilibre entre l’activité hospitalo-universitaire et l’activité libérale, avec un flux de va-et-vient constant entre ces deux milieux. »

Quant à Alain Moutarde, secrétaire général du Conseil national de l’Ordre, il regrette l’évolution récente (avril 2013) des textes, qui précisent que dorénavant, le stage sera effectué non plus chez un chirurgien-dentiste mais auprès d’un chirurgien-dentiste « et donc plus nécessairement dans un cabinet libéral, pourtant réalité à 93 % sur le territoire ».

Large consensus

La quasi-unanimité des participants* à ces journées s’est exprimée, dans un vote par acclamation, sur les propositions suivantes :

* UFR d’odontologie ou représentants, ONCD (Ordre national des chirurgiens-dentistes), UNECD (Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire), CNSD (Confédération nationale des syndicats dentaires), UJCD (Union des jeunes chirurgiens-dentistes), FSDL (Fédération des syndicats dentaires libéraux), étudiants stagiaires 2013 et praticiens ex-stagiaires, maîtres de stage.

La référence clermontoise

Organisés depuis 7 ans par une unité qui leur est consacrée, les stages actifs clermontois font figure de référence.

Leurs spécificités : l’immersion totale, les stagiaires faisant les mêmes horaires que leur maître de stage ; une durée de 2 mois à plein temps ; le choix du maître de stage par le stagiaire ; l’auto-exclusion des enseignants de l’UFR, un système d’évaluation évolué (grilles d’évaluation du stagiaire et du stage par le maître de stage ; grille d’évaluation du stage par le stagiaire ; grille de lecture pour le rapport de stage) ; le maintien du contact avec les stagiaires par une plate-forme d’enseignement en ligne (chat) ; des exercices en ligne en plus des activités de soins et un suivi.

« Pour nous, le stage actif est un apprentissage délocalisé », explique Bernard Chaumeil. « Sous notre contrôle distant, nous déléguons aux maîtres de stage, à destination desquels nous avons enregistré une formation sur un CD, ces 2 mois d’enseignement-apprentissage. Des exercices permettent de valider le C2i pro (certificat informatique Internet), qui deviendra obligatoire à partir de la rentrée 2013 ; s’il est un endroit où l’on peut voir un dossier patient informatique, où l’on peut faire un devis, une ordonnance ou une radio numérique, c’est bien le cabinet ! En résumé, l’étudiant stagiaire soigne ; il reste en contact avec son institution et répond à une série d’exercices annexes. »

Pour les étudiants, les échanges permanents avec les enseignants et leurs collègues s’avèrent extrêmement stimulants : « Cela nous permet de nous rassurer et, surtout, d’oser. »

HÉTÉROGÉNÉITÉ DES STAGES : LES RAISONS

« D’un point de vue universitaire, seule l’UFR de Clermont-Ferrand dispose d’un maître de conférences qui gère le stage actif avec son équipe. Cela a un coût et peu s’estiment prêts à l’assumer. Ce stage a donc du mal à exister », argumente le doyen Thierry Orliaguet (A). « Du point de vue hospitalier », poursuit-il avec sa casquette de chef du centre de soins, « tous mes collègues chefs de service sont très réticents au fait de voir partir leurs étudiants de 6e année pendant 1 ou 2 mois au moment où ils sont le plus performants ! Cela explique l’hétérogénéité de la prise en charge de ce stage au niveau national. » « À Paris VII-Garancière », ajoute Philippe Gateau (B) (MCU-PH), « sans les étudiants, nous fermons le service. » Pour Maurice Morenas (C), ex-doyen de l’UFR de Clermont-Ferrand, « il y a une schizophrénie de nos gouvernants à, d’un côté, vouloir maintenir la gratuité des études et, de l’autre, imposer une pression économique sur la faculté. La gratuité sans contrepartie, cela ne tiendra pas très longtemps ».

AILLEURS EN EUROPE

La formation minimale commune en Europe du chirurgien-dentiste exige une partie pratique et un stage qualifiant conditionnant l’accès à la profession. En Bulgarie, il est effectué pendant les études et dure 6 mois. En Finlande (9 mois : 6 en centre de soins et éventuellement 3 en cabinet), en Belgique, en Lituanie, en Pologne et en Slovénie (12 mois), ainsi qu’en Lettonie (24 mois), le stage est effectué à la fin des études et il est géré par l’autorité compétente qui donne le droit d’exercer. « Dans le cadre de la refonte de la directive européenne 2005-36, en l’état actuel des négociations, l’étudiant français devrait pouvoir effectuer son stage actif en Europe. L’autorité compétente (ministère, Ordre ?), devrait poser le cadre de ce stage et en préciser les conditions. De la même façon, les étudiants étrangers pourraient effectuer l’équivalent de leur stage actif en France. À l’horizon 2015 au mieux », indique Alain Moutarde.