Chirurgie mini-invasive en parodontologie : minimum de décollement, maximum de bénéfice - Clinic n° 01 du 01/01/2016
 

Clinic n° 01 du 01/01/2016

 

CHIRURGIE

Maxime GHIGHI*   Alice GUYON**  


*Post-graduate européen
de parodontologie, Paris VII
Doctorant 3e année, Paris V
Pratique privée, parodontologie-implantologie,
Paris
**AHU chirurgie orale,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
Ancienne interne de l’AP-HP

La chirurgie mini-invasive a pour but de réduire l’accès chirurgical. Elle fait partie de la médecine en pratique courante, permettant d’améliorer le rétablissement des patients et les résultats esthétiques. Aujourd’hui, l’évolution des chirurgies parodontales s’inscrit dans cette démarche de réduction de la morbidité, mais les techniques mini-invasives restent encore trop peu utilisées alors qu’elles présentent, selon la littérature scientifique, un certain nombre d’intérêts. Quels sont ces techniques, leurs indications et leurs atouts ?

Chirurgie parodontale conventionnelle

La décision de la réalisation d’un traitement chirurgical en parodontie prend place lors de la réévaluation qui fait suite à une thérapeutique initiale (amélioration du contrôle de plaque, prise en charge des facteurs de risque, détartrage et surfaçage radiculaire). Le but de ce traitement est de :

• permettre un accès aux surfaces radiculaires et osseuses atteintes ;

• donner une architecture osseuse et gingivale compatible avec l’application des règles d’hygiène par le patient ;

• réduire la profondeur de poche ;

• éventuellement permettre la mise en place de techniques de régénération parodontale.

Les techniques conventionnelles actuelles consistent en des lambeaux de pleine épaisseur, décollés au-delà du niveau osseux sur quelques millimètres, en vestibulaire et en lingual, et intéressant plusieurs dents pour permettre la laxité et une bonne visibilité des tissus durs atteints (fig. 1). Elles permettent de répondre aux objectifs cités précédemment et participent donc au traitement de la maladie parodontale. Toutefois, elles présentent plusieurs inconvénients :

• induction de récessions gingivales postopératoires ;

• douleur et inconfort postopératoires ;

•  sensibilités radiculaires possibles (liées à la récession).

Ainsi, elles peuvent donc être un succès sur le plan de la gestion de la maladie tout en étant un échec pour le patient, du point de vue du confort et de l’esthétique.

Des techniques ont donc été mises en place afin de réduire ces effets indésirables, notamment toutes les techniques de préservation papillaire. Genon et Bender [1] décrivent le lambeau esthétique d’accès avec un report en palatin des incisions papillaires, Takei [2] le décline avec des incisions arciformes. Cortellini décrit, en 1995 [3], la technique de préservation papillaire modifiée (modified papilla preservation technique, MPPT), qui consiste en une incision horizontale de la papille en vestibulaire (à réserver aux papilles larges), puis, en 1999 [4], le lambeau de préservation papillaire simplifié (simplified papilla preservation flap, SPPF), qui est une incision angulée de la papille en vestibulaire (pour les papilles plus étroites).

Ces techniques de préservation papillaire ont apporté une amélioration concernant la récession postopératoire. Cela est dû à une réduction de la fragilisation de la papille interdentaire pendant et après l’intervention. Plus la surface de la papille est importante, meilleure est sa vascularisation et, donc, sa cicatrisation. De plus, la préservation papillaire permet de déporter le nœud du point de suture sur un tissu osseux et, ainsi, de limiter l’écrasement de la papille (incision à l’opposé du défaut). Mais ces techniques ne sont en aucun cas mini-invasives, l’accès chirurgical bien que minutieux, n’est nullement réduit par la préservation papillaire et c’est bien la réduction du tracé d’incision qui définit le caractère mini-invasif d’une intervention. Peut-on encore améliorer ces résultats sans compromettre l’efficacité thérapeutique par un abord mini-invasif ?

Chirurgie mini-invasive

La chirurgie mini-invasive voit le jour en 1990 en chirurgie générale [5]. Elle a pour but de réduire l’accès chirurgical sans changer la finalité de l’acte. Cette approche est largement utilisée en médecine et l’exemple le plus parlant est celui de l’appendicectomie qui est effectuée chaque fois que c’est possible par abord mini-invasif (laparoscopie). Le bénéfice rapporté est un meilleur rétablissement et un meilleur résultat esthétique.

C’est en 1995 qu’est décrite la première adaptation de la chirurgie mini-invasive à la chirurgie parodontale et à la chirurgie dentaire de façon générale [6]. Elle vise à traiter des lésions intra-osseuses avec un accès chirurgical réduit.

Différentes techniques mini-invasives ont été décrites dans la littérature scientifique (tableau 1).

Chirurgie mini-invasive (minimally invasive surgery, MIS) [6]

Indications :

• défaut intra-osseux isolé, interproximal le plus souvent ;

• peu ou pas d’extension vestibulaire ou linguale du défaut ;

• étendue moyenne du défaut (les défauts trop importants ou trop étroits peuvent nécessiter un accès plus large pour améliorer la visibilité).

Technique (fig. 2) :

• incision intrasulculaire des dents adjacentes au défaut ;

•  incision (linguale) reliant les incisions intrasulculaires (préservation papillaire) ;

• décollement de pleine épaisseur de la papille ;

• décollement minimum pour permettre la dégranulation et la visualisation du défaut osseux ;

• suture : points de matelassier verticaux.

Intérêt :

• résultats comparables à ceux des techniques traditionnelles ;

• pourrait favoriser le soutien du biomatériau ;

• pourrait réduire la récession gingivale post-chirurgicale ;

• pourrait favoriser l’accord des patients (minichirurgie).

Remarque : cet article [6] décrit pour la première fois cette approche mini-invasive et soulève déjà des pistes quant à l’intérêt d’une telle chirurgie en parodontologie.

MIST [7, 8]

Indications :

• défaut intra-osseux isolé ≥ 2 mm de profondeur ;

• avec ou sans extension vestibulaire ou linguale du défaut.

Technique (fig. 2 et 3) :

Pour un défaut à 3 parois :

• incision intrasulculaire au niveau des 2 dents adjacentes à la lésion intra-osseuse, du milieu de la face vestibulaire au milieu de la face palatine/linguale, en recherchant le contact osseux ;

• incision selon la technique MPPT ou SPPF pour décoller en préservant au maximum l’épaisseur et la vascularisation de la papille.

Le choix de l’une ou l’autre des techniques se fera en fonction de la largeur de la papille :

• pour une papille large (> 2 mm), on optera pour la technique MPPT ;

• pour une papille étroite (≥ 2 mm) on optera pour la technique de SPPF.

Remarque : en présence d’une crête édentée adjacente au défaut, c’est une incision crestale qui sera réalisée.

Pour un défaut à 1 ou 2 murs :

• le défaut s’étend désormais à la table vestibulaire ou linguale, ce qui va modifier l’abord chirurgical ;

• dans ce cas, l’incision intrasulculaire va être étendue du côté du défaut mais pas du côté opposé, et ce afin d’être le moins traumatique possible ;

• ensuite, le décollement est réalisé et s’arrête sans exposer les surfaces osseuses vestibulaires et/ou linguales, la dégranulation se fait sous microscope à l’aide de minicurettes ;

• la technique est décrite en combinaison avec l’utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire.

• suture : point de matelassier interne horizontal e-PTFE 6.0

Intérêt :

• efficacité clinique (réduction significative de la profondeur de poche de 5 mm en moyenne) ;

• faible récession postopératoire ;

• réduction du temps opératoire moyen (55 min) ;

• réduction des douleurs peropératoires et postopératoires (70 % des patients n’en ressentent pas après l’intervention) ;

• sensibilité radiculaire réduite (de 2,5 % au bout de 6 semaines).

Résultats à long terme

Les études précédentes avaient un suivi de 1 an, Harrel et Rees [9] proposent ici un suivi de la technique MIS avec 6 ans de recul sur 142 sites opérés. Leur étude révèle une stabilité des résultats au bout de ce laps de temps (profondeur au sondage, récession et niveau d’attache), avec une récession postopératoire moyenne de 0,11 mm.

Forts de leurs résultats, ces auteurs ont cherché à faire évoluer la technique en réduisant encore un peu l’accès chirurgical. En effet, pourquoi venir décoller en vestibulaire et lingual/palatin quand l’anatomie du défaut permet une dégranulation parfaite et un accès au défaut intra-osseux par simple abord vestibulaire ? Des lambeaux avec décollement unilatéral ont alors été décrits.

Lambeaux unilatéraux

MIST modifié (M-MIST) [10]

Il s’agit ici d’une technique dérivée de la MIST qui consistera à ne décoller la papille que par un abord vestibulaire quand l’anatomie du défaut s’y prête afin de :

• réduire encore la morbidité de l’intervention ;

• réduire la récession postopératoire des papilles ;

• améliorer la stabilité des tissus dans le temps.

Indications :

• lésion intra-osseuse intéressant jusqu’à un tiers des faces radiculaires et pouvant être traitée par abord vestibulaire ;

• dans le cas de lésions impliquant les trois quarts des faces radiculaires, de lésions particulièrement profondes ou non accessibles par un abord uniquement vestibulaire, il faudra se tourner vers la technique de MIST conventionnelle. Une attention particulière devra donc être portée en préopératoire afin de bien cerner l’anatomie du défaut et prévoir un abord chirurgical adapté permettant l’obtention de bons résultats.

Technique (fig. 4 et 5) :

• incision de préservation papillaire MPPT ou SPPF selon l’anatomie de la papille ;

• extension intrasulculaire sur la face vestibulaire des 2 dents adjacentes le plus limitée possible (idéalement jusqu’au milieu de la face vestibulaire) ;

• conservation du plus d’épaisseur de tissu possible ;

• dissection de la papille en la séparant de la partie associée au défaut ;

• dégranulation mini-invasive et application d’Emdogain(r) ;

• sutures sans tension 6.0 ou 7.0, point de matelassier horizontal interne.

Intérêt : les résultats cliniques au bout de 1 an de cette cohorte prospective de 20 patients [10] sont proches de ceux obtenus pour la technique avec double décollement (MIST) : réduction moyenne de profondeur de poche de 4,5 mm et récession postopératoire non significative.

Ainsi est-il possible d’obtenir, dans la limite des indications et de la compétence clinique, les mêmes résultats avec cet abord qu’avec un abord plus invasif.

Approche par lambeau seul (single flap approach, SFA)

La technique SFA, décrite par une équipe italienne encore une fois [11], consiste à ne récliner un lambeau mini-invasif que dans sa partie vestibulaire.

Indications : ce sont les mêmes que pour la M-MIST.

Technique :

• incision intrasulculaire de part et d’autre du défaut, extension mésio-distale le plus possible limitée ;

• incision papillaire angulée suivant le contour ?osseux (environ 1 mm au-dessus du niveau osseux) ;

• décollement de pleine épaisseur puis d’épaisseur partielle pour donner de la laxité ;

• dégranulation et mise en place d’hydroxyapatite et d’une membrane résorbable ;

• sutures : point de matelassier interne horizontal à la base de la papille et un autre au sommet de la papille.

Intérêts :

Cette cohorte prospective de 10 patients [11] montre des résultats comparables à ceux de Cortellini pour la M-MIST [10] : réduction moyenne de profondeur de poche de 5,2 mm et récession postopératoire non significative.

Le tableau 2 récapitule les résultats des techniques M-MIST ET SFA.

Discussion

Ainsi, toutes les études réalisées jusqu’ici ont montré une efficacité clinique de ces techniques mini-invasives, avec une réduction des phénomènes de récession, du temps opératoire et de l’inconfort des patients.

Cette efficacité clinique et la réduction de ces effets indésirables sont dues en partie à la stabilité des tissus mous. En effet, la réduction du tracé d’incision et du décollement garantit cette stabilité qui est, nous le savons, un point essentiel du principe de régénération parodontale.

Cette stabilité facilite également la réalisation des sutures et participe ainsi à la diminution du temps opératoire.

On peut donc se demander si, dans ces conditions d’optimisation de la régénération parodontale, les substituts osseux ou les protéines dérivées de la matrice amélaire apportent encore un bénéfice.

Chirurgie mini-invasive et matériaux de régénération parodontale

M-MIST versus M-MIST + Emdogain(r) versus M-MIST + xénogreffe

Il s’agit d’un essai clinique randomisé de 45 patients avec suivi de 12 mois comparant M-MIST seul à M-MIST + Emdogain(r) et à M-MIST + xénogreffe, dans le traitement des défauts intra-osseux interdentaires isolés [12].

Résultats : les trois techniques permettent d’améliorer significativement les paramètres cliniques, mais aucune différence significative n’est mise en évidence entre elles en matière de réduction de profondeur au sondage, de gain d’attache ou de récession.

Il y a donc un avantage pour la M-MIST seule, concernant le temps opératoire et le coût de l’intervention.

SFA avec ou sans matériaux

Il s’agit d’un essai clinique randomisé de 24 patients suivis pendant 6 mois comparant la technique SFA avec ou sans adjonction d’hydroxyapatite et d’une membrane résorbable [13].

Résultats : comme dans l’étude précédente, si les deux techniques répondent efficacement aux objectifs du traitement, l’adjonction de matériau de comblement n’a pas montré de bénéfice pendant la période de suivi.

Une troisième étude [14] montre que les protéines dérivées de la matrice amélaire, utilisées avec un lambeau mini-invasif de type MIST, n’apportent aucun bénéfice.

Discussion

Ainsi, au vu des études présentes dans la littérature scientifique, en gardant à l’esprit leurs limites (faible nombre d’inclusions, faible nombre d’auteurs ?publiant sur le sujet, validité externe des résultats, critères de sélection des défauts…), il semblerait que lors de la réalisation d’un abord mini-invasif en chirurgie parodontale de régénération, les biomatériaux, quel qu’en soit le type, n’améliorent pas les résultats cliniques.

On peut émettre l’hypothèse selon laquelle l’abord mini-invasif, par son maintien des tissus et du caillot, mais aussi par la conservation de la vascularisation améliore les résultats de telle façon que le bénéfice apporté par un traitement supplémentaire est alors réduit et n’est plus statistiquement significatif.

Conclusion

Les techniques mini-invasives se définissent par une volonté de réduire l’étendue des incisions et du décollement. Elles permettent d’obtenir des résultats similaires, voire supérieurs, à ceux des techniques conventionnelles en réduisant la morbidité pour le patient, la récession postopératoire et le temps d’intervention.

Cette approche peut également augmenter l’adhésion des patients réticents à un abord chirurgical en soulignant le caractère mini-invasif et les faibles suites postopératoires.

Ces techniques semblent présenter un autre avantage, celui de maximiser le potentiel de régénération et de réduire la nécessité d’utilisation d’un biomatériau. Cela se traduit par un gain financier pour le patient et de temps pour le praticien.

Si ces résultats sont très encourageants, il faut garder à l’esprit le champ d’application de cette approche et les indications des différentes techniques.

Il sera donc impératif de prévoir l’anatomie des défauts lors du sondage préopératoire, d’évaluer la qualité des tissus et l’anatomie de la papille interdentaire afin de réaliser les incisions adaptées.

De plus, l’ensemble de ces études a été réalisé par des praticiens expérimentés, la gestion des tissus demandant une très grande minutie ainsi que l’utilisation de matériel spécifique (aides optiques, mini-instruments, sutures extrafines : 6.0 pour le fil le plus gros).

Cette approche mini-invasive doit donc être réalisée systématiquement quand les conditions cliniques le permettent, tout comme c’est le cas en médecine.

Bibliographie

  • [1] Genon P, Bender JC. An esthetic periodontal access flap. Inf Dent 1984;66:1047-1055.
  • [2] Takei HH, Han TJ, Carranza FA, Kenney EB, Lekovic V. Flap technique for periodontal bone implants. Papilla preservation technique. J Periodontol 1985;56:204 -210.
  • [3] Cortellini P, Pini Prato GP, Tonetti MS. The modified papilla preservation technique. A new surgical approach for interproximal regenerative procedures. J Periodontol 1995;66:261-266.
  • [4] Cortellini P, Pini Prato GP, Tonetti MS. The simplified papilla preservation flap. A novel surgical approach for the management of soft tissues in regenerative procedures. Int J Periodontics Restorative Dent 1999;19:589-599.
  • [5] Wickham JE. The new surgery. Br Med J 1987;295:1581-1582.
  • [6] Harrel SK, Rees TD. Granulation tissue removal in routine and minimally invasive procedures. Compend Contin Educ Dent 1995;16:960-964.
  • [7] Cortellini P, Tonetti MS. A minimally invasive surgical technique with an enamel matrix derivative in the regenerative treatment of intra bony defects: a novel approach to limit morbidity. J Clin Periodontol 2007;34:87-93.
  • [8] Cortellini P, Tonetti MS. Minimally invasive surgical technique and enamel matrix derivative in intra bony defects. I. Clinical outcomes and morbidity. J Clin Periodontol 2007;34:1082-1088.
  • [9] Harrel SK, Wilson TG, Nunn ME. Prospective assessment of the use of enamel matrix derivative with minimally invasive surgery: 6-year results. J Periodontol 2010;81:435-441.
  • [10] Cortellini P, Tonetti MS. Improved wound stability with a modified minimally invasive surgical technique in the regenerative treatment of isolated interdental intrabony defects. J Clin Periodontol 2009;36:157-163.
  • [11] Trombelli L, Farina R, Franceschetti G, Calura G. Single-flap approach with buccal access in periodontal reconstructive procedures. J Periodontol 2009;80:353-360.
  • [12] Cortellini P, Tonetti MS. Clinical and radiographic outcomes of the modified minimally invasive surgical technique with and without regenerative materials: a randomized controlled trial in intra bony defects. J Clin Periodontol 2011;38:365-373.
  • [13] Trombelli L, Simonelli A, Pramstraller M, Wikesjö UM, Farina R. Single flap approach with and without guided tissue regeneration and a hydroxyapatite biomaterial in the management of intraosseous periodontal defects. J Periodontol 2010;81:1256-1263.
  • [14] Ribeiro FV, Casarin RCV, Júnior FHN, Sallum EA, Casati MZ. The Role of enamel matrix derivative protein in minimally invasive surgery in treating intrabony defects in single-rooted teeth: a randomized clinical trial. J Periodontol 2011;82:522-532.