Classification des espèces : intérêt des critères morphologiques - Clinic n° 03 du 01/03/2018
 

Clinic n° 03 du 01/03/2018

 

PALÉOANTHROPOLOGIE

Marie-Agathe THIERRY*   Christophe AZÉVÉDO**  


*Chirurgien-dentiste
Provins
**DDS phD MCU-PH
Paris

En paléoanthropologie, les dents et les éléments crâniens constituent un matériel essentiel pour aider à la classification des hominidés fossiles. Homo sapiens ne diffèrant du chimpanzé que par 1,4 % de son matériel génétique, la séparation de ces deux groupes est donc assez récente à l’échelle du temps évolutif (environ 7 millions d’années). Les mises en évidence récentes des croisements génétiques entre Homo sapiens et Homo neanderthaenslis augmentent les difficultés d’attribution à une lignée sur la seule base des critères génétiques extrapolés. Si les hominidés et les panidés se ressemblent, il existe cependant des critères permettant de classer des individus fossiles parmi l’une des deux lignées. Ce travail présente quatre des principaux critères de discrimination.

Canine et complexe CP3

Le complexe CP3 décrit les relations occlusales particulières intervenant entre la canine supérieure (C) et la première prémolaire inférieure (P3) chez les primates. Deux schémas fonctionnels existent :

• CP3 aiguisoir. La crête distale de la canine supérieure s’aiguise contre la surface mésio-vestibulaire de la couronne de la première prémolaire inférieure. On retrouve, sur la P3 inférieure, une facette d’usure (fig. 1) ;

• CP3 broyeur. La morphologie de la canine change, la crête distale ne s’use plus sur la première prémolaire inférieure. La canine s’use par la pointe et non plus par la partie distale.

Le schéma fonctionnel de ce complexe est un critère très discriminant en paléoanthropologie. En effet, un complexe CP3 aiguisoir est présent chez tous les singes actuels et fossiles mais est absent chez les représentants de la lignée humaine.

Épaisseur de l’émail

Chez les hominidés, l’émail est épais tandis que chez les panidés, il est fin. Cette différence d’épaisseur est valable pour les dents aussi bien antérieures que postérieures (fig. 2).

Cette variation semble être corrélée au régime alimentaire. Un régime folivore est associé à un émail fin tandis qu’un régime alimentaire à base d’aliments plus coriaces telles que des noix oriente vers un émail plus épais.

La morphologie occlusale est déterminée par une combinaison de la topographie de la jonction émail-dentine et de la quantité d’émail déposée sur celle-ci :

• une faible quantité d’émail enveloppe précisément la forme de la dentine sous-jacente, créant une morphologie occlusale effilée et très marquée, propice à la section des feuilles ;

• une quantité d’émail importante « efface » la morphologie dentinaire pour créer une forme occlusale plus bulbeuse et bombée, plus propice à la fracturation des nourritures coriaces.

Ce critère pris isolément n’est pas suffisant pour classer un fossile parmi les hominidés. En effet, au cours de l’évolution, plusieurs espèces ont développé un émail épais en réponse à leur régime alimentaire. Cependant, en association avec d’autres éléments dentaires et crâniens, il constitue une confirmation.

Forme de l’arcade dentaire

L’arcade dentaire primitive est carrée. On retrouve cette forme jusqu’aux Australopithèques. Puis l’arcade se parabolise pour arriver à la forme dérivée que nous connaissons chez Homo sapiens (fig. 3 à 6).

Chez le singe, on retrouve des diastèmes au maxillaire, entre l’incisive latérale et la canine, et à la mandibule, entre la canine et la première prémolaire. Ils sont absents chez l’homme en denture permanente et ont disparu dès l’Homo habilis.

Flexion de la base du crâne

La base du crâne est la structure composée de l’ethmoïde, du sphénoïde, de l’occipital et d’une partie du frontal et du temporal. La face est appendue à celle-ci. Chez les chimpanzés, la base du crâne est moins fléchie que chez les hominidés actuels ou fossiles (fig. 7 et 8).

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’évolution de la flexion basicrânienne : l’augmentation du volume céphalique, la station bipède, les forces exercées par les tissus mous. Il semble que l’explication tienne dans un mélange de ces différentes influences.

Une flexion plus importante de la base du crâne entraîne une réduction du prognathisme maxillaire et mandibulaire.

Conclusion

Aujourd’hui encore, le dernier ancêtre commun entre la lignée des hominidés et des panidés reste un élément fantasmé. Les techniques de recherche génétiques progressent et mettent en avant des découvertes qui complexifient encore notre arbre généalogique.

L’étude de la morphologie dentaire et crânienne nous est donc encore utile afin de classer avec spécificité et sensibilité les fossiles parmi les hominidés ou les panidés.

Pour aller plus loin

Bassigny F. Manuel d’orthopédie dento-faciale. Paris : Masson, 1991.

Brondeau F de. La morphologie de la base du crâne et ses relations avec le maxillaire et la mandibule : variations et auxologie. Thèse d’anthropologie biologique. Bordeaux : université Bordeaux 1, 2008.

Haile-Sélassié Y, Suwa G, White TD. Late Miocene teeth from Middle Awash, Ethiopia, and early hominid dental evolution. Science 2004;303:1503-1505.

Kono RT. Molar enamel thickness and distribution patterns in extant great apes and humans : new insights based on a 3-dimensional whole crown perspective. Anthropol Sci 2004;112:121-146.

Lecieux L. Étude des relations entre flexion basicrânienne et rapports maxillo-mandibulaires. Orthod Fr 2004;75:269-269.

Puech PF, Warembourg P. Évolution de la denture permanente des Homininés. Encycl Med Chir Medecine buccale 2001; 22-003-S-10.

Schwartz GT. Taxonomic and functional aspects of the patterning of enamel thickness distribution in extant large-bodied hominoids. Am J Phys Anthropol 2000;111:221-244.