Et si l’on traitait l’onychophagie ? - Clinic n° 03 du 01/03/2018
 

Clinic n° 03 du 01/03/2018

 

PARAFONCTION

Malek GHORBEL*   Anice NECIBI**   Meriem NAHDI***   Omar MAROUANE****   Nabiha DOUKI*****  


*Résident en prothèse partielle amovible
Faculté de médecine dentaire
Faculté de médecine dentaire de Monastir (Tunisie)
**Résident en orthopédie dento-faciale
Faculté de médecine dentaire
Faculté de médecine dentaire de Monastir (Tunisie)
***Résident en orthopédie dento-faciale
Faculté de médecine dentaire
Faculté de médecine dentaire de Monastir (Tunisie)
**** Assistant en odontologie conservatrice
et restauratrice
Service de médecine dentaire
Centre hospitalo-universitaire Sahloul, Sousse (Tunisie)
*****Professeur en odontologie conservatrice
et restauratrice
******Chef du Service de médecine dentaire
Centre hospitalo-universitaire Sahloul,
Sousse (Tunisie)

L’onychophagie est définie comme l’acte de se ronger les ongles, le plus souvent observée chez l’adolescent et l’adulte jeune. Cette habitude peut entraîner de nombreux problèmes médicaux et dentaires. Malheureusement, elle reste de nos jours un problème non résolu aussi bien sur le plan médical que dentaire.

Dans cet article, un appareillage fixe non punitif utilisant un fil rond torsadé en acier inoxydable collé de canine à canine à l’arcade mandibulaire est proposé comme traitement de l’onychophagie. Il a été utilisé avec succès sur une patiente et qui l’a porté durant 1 mois et qui, après sa dépose et avec un recul de 9 mois, en a été entièrement satisfaite.

L’onychophagie est l’acte de se ronger les ongles. Bien que peu d’études renseignent sur la fréquence de cette habitude, certaines généralités existent [1].

L’onychophagie est rarement observée avant l’âge de 3 ans et elle touche surtout les adolescents (45 %). Cette manie a tendance à se résoudre spontanément avec l’âge mais peut cependant persister chez certains adultes [2-7]. Si plusieurs facteurs (anxiété, stress, dépression, comportement par imitation) ont été incriminés pour en expliquer l’origine, son étiologie et son mécanisme restent encore non élucidés [8, 9].

L’onychophagie est associée à de nombreux troubles. Outre l’aspect inesthétique et socialement indésirable, elle est responsable de plusieurs pathologies dermatologiques telles que la paronychie chronique, les infections sous-unguéales et l’onychomycose [1, 10]. Par ailleurs, elle est responsable de nombreuses pathologies bucco-dentaires, ce qui, chez le chirurgien-dentiste, doit susciter un intérêt particulier :

• comme toute parafonction, elle peut être responsable de désordres temporo-mandibulaires [11] ;

• par un mécanisme d’abrasion, elle cause fêlures et microfractures incisales ;

• enfin, les forces continues et non physiologiques qui lui sont inhérentes se transmettent aux dents, au parodonte et à l’ensemble des arcades, entraînant des résorptions apicales et alvéolaires pouvant induire encombrements, rotations et malocclusions [2, 6].

De nos jours, il existe un large éventail de thérapeutiques pour traiter l’onychophagie. Ces thérapeutiques visent l’aspect psychologique ou dermatologique afin d’obtenir une modification comportementale, on peut citer : la pharmacothérapie, l’hypnose, l’utilisation de vernis amer et la pose de faux ongles [2, 12].

Malgré la diversité des traitements proposés, aucun n’a permis de traiter efficacement cette pathologie. La communauté scientifique s’accorde à dire qu’elle demeure un problème insoluble tant sur le plan médical que dentaire. Par conséquent, d’autres solutions doivent être envisagées afin de la traiter.

Le but de cet article est de proposer un appareillage fixe utilisant un fil en acier inoxydable collé sur les dents antéro-inférieures pour traiter l’onychophagie.

Technique

Une patiente âgée de 17 ans, en bon état de santé général est adressée au Service de médecine dentaire pour le traitement de son onychophagie (du fait de l’aspect disgracieux de ses doigts).

L’anamnèse révèle des antécédents de panaris ayant nécessité une prise en charge dermatologique. Par ailleurs, la patiente rapporte que cette manie a débuté au cours de son enfance et que plusieurs tentatives non concluantes ont été menées pour y mettre fin.

Outre l’aspect disgrâcieux, l’inspection révèle une paronychie associée à une onycholyse (fig. 1).

La simulation par la patiente de la manière dont elle se ronge les ongles permet d’identifier la position occlusale d’incision (fig. 2). En prenant comme référence cette position occlusale spécifique, un fil de ligature torsadée est façonné afin de rendre impossible l’acte de se ronger les ongles. Après avoir obtenu le consentement éclairé de la patiente, l’appareillage est collé et un suivi bimensuel est instauré (fig. 3 à 6). Bien que la patiente rapporte une sensation d’inconfort durant la première semaine, le dispositif s’avère efficace : toutes les tentatives de se ronger les ongles se soldent par un échec. Un mois plus tard, la patiente admet s’être défaite de cette habitude.

Sur le plan dermatologique, les ongles ont repoussé avec la disparition de la paronychie. Au vu de ces résultats, l’appareillage est déposé et une consultation mensuelle de surveillance est programmée pour suivre l’évolution des résultats et déceler toute récidive. Neuf mois après la dépose de l’appareillage, la patiente déclare qu’elle est satisfaite du résultat esthétique de ses doigts (fig. 7 à 9).

Commentaires

L’onychophagie entraîne de nombreuses complications, notamment bucco-dentaires. Il est donc nécessaire pour le chirurgien-dentiste d’identifier ce trouble, d’en connaître les conséquences et de savoir le traiter.

L’onychophagie provoque l’établissement de conditions occlusales particulières. Classiquement, on distingue quatre phases distinctes. Le doigt est inspecté visuellement ou par palpation puis amené à la bouche. La mandibule est alors placée en bout à bout latéralisé pour être en position occlusale d’incision. Enfin, l’ongle est interposé entre les bords libres des incisives puis est rongé par cisaillement.

Le but de l’appareillage présenté ici est de rendre l’onychophagie mécaniquement impossible sur le plan occlusal. Jusqu’à présent, les thérapeutiques existantes traitaient indirectement l’onychophagie en agissant sur le plan psychologique ou dermatologique [2, 12]. A contrario, l’approche préconisée ici est radicalement différente car elle se propose d’agir directement sur le ciseau interincisif. Par analogie, elle est comparable à la grille anti-langue utilisée pour le traitement de la succion du pouce [13]. À cet égard, la modification transitoire de la position occlusale d’incision semble être l’approche la plus simple et la plus efficace. Son caractère fixe a pour avantage de nécessiter un minimum d’observance de la part du patient.

Outre l’action mécanique (rendre impossible l’action de se ronger les ongles), ce dispositif a également une action psychologique. En se fondant sur la thérapie aversive, le stimulus négatif infligé à chaque tentative infructueuse de se ronger les ongles rappelle constamment au patient d’éloigner sa main de sa bouche et d’arrêter ce comportement néfaste, ce qui induit à la longue une modification comportementale.

Bien que ce cas clinique montre des résultats probants après un traitement de 1 mois et un recul clinique de 9 mois, quelques inconvénients et problèmes subsistent :

• le dispositif n’est pas esthétique en raison de l’utilisation de l’acier pour sa confection. L’emploi d’autres types de matériaux doit être envisagé pour une meilleure intégration esthétique ;

• la durée du traitement (1 mois) est arbitraire, la compréhension du mécanisme psychologique à la base de cette thérapeutique est nécessaire pour proposer la période optimale du port de ce dispositif ;

• d’autres études doivent être réalisées pour valider l’efficacité de ce dispositif et déceler d’éventuels effets indésirables.

Conclusion

L’onychophagie est une manie répandue donnant lieu à des complications dermatologiques, esthétiques, dentaires et psychologiques. Bien que de nombreux traitements aient été proposés pour la traiter, il n’existe actuellement pas de traitement efficace contre elle.

Cet article décrit un appareil fixe façonné et collé par le chirurgien-dentiste destiné à rendre impossible l’action du ciseau interincisif. Le cas clinique qu’il rapporte donne un moyen simple et innovant plaçant le chirurgien-dentiste au centre de la prise en charge de ce trouble.

Remerciements : Laboratoire de recherche santé orale et réhabilitation bucco-faciale LR12ES11

Faculté de médecine dentaire de MonastirUniversité de Monastir

Bibliographie

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  • [3] Wechsler D. The incidences and significance of fingernail biting in children. Psychoanal Rev 1931; vol18:201.
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