Les fêlures et l’obturation canalaire - Clinic n° 12 du 01/12/2018
 

Clinic n° 12 du 01/12/2018

 

WHAT’S UP EN ENDO ?

Sarah ATTAL STYM-POPPER  

Ancienne AHU en odontologie
conservatrice et endodontie
Directrice d’EndoSophie, concept de
transmission du savoir en endodontie
Paris

Le jeu du What’s up d’EndoSophie est de mettre en lumière la réflexion clinique du praticien pendant tout le déroulé d’un cas clinique.

Le but est d’apprendre à jouer avec les données historiques, cliniques et radiographiques que présente le patient.

Un cas, un diagnostic, une décision thérapeutique adaptée.

Le traitement de la fêlure verticale s’est longtemps soldé par une indication d’extraction. Le diagnostic est difficile à poser et la décision d’extraire vient très vite car, en fait, il est impossible de fermer la brèche qui s’est ouverte ou de contrôler sa propagation. À attendre trop, la fêlure devient fracture, l’os disparaît verticalement en regard du trait de fracture et des douleurs odontogéniques peuvent apparaître.

L’apparition des obturations canalaires aux ciments endodontiques biocéramiques pourraient changer la donne.

Jusqu’à présent, toute tentative de colmatage de la fracture échouait. Tout ce qu’il était possible de faire était de sertir la dent par une prothèse de recouvrement cuspidien (overlet, couronne périphérique) [1].

Aujourd’hui, compte tenu des propriétés biologiques des ciments d’obturation endodontiques canalaires et notamment de leur grande valeur d’adhérence à la dentine, il devient possible de prolonger la survie de la dent.

Reste à poser la bonne indication et à ne pas décider que toute fêlure est traitable par ce biais là. Il faut utiliser les propriétés de ces ciments pour améliorer le taux de survie des dents concernées dans la limite du raisonnable.

Ce que rapporte le patient. Le patient a présenté de très fortes douleurs spontanées sur la 46. Quand il arrive au cabinet, les douleurs ont cessé mais il ne peut pas mâcher. La dent portait un amalgame qu’un confrère a enlevé. Sous cet amalgame, il n’y avait pas de lésion carieuse. Ce confrère nous adresse ce patient parce qu’il a vu une fêlure en commençant le traitement endodontique et qu’il se demande s’il est possible de traiter et conserver cette dent.

→ Ce que déduit le praticien. La dent ne portait pas de lésion carieuse mais elle s’est nécrosée sous un amalgame. C’est probablement la présence d’un amalgame de gros volume qui a induit une ou plusieurs fêlures. De plus, la fêlure a induit la nécrose pulpaire, ce qui signifie qu’elle est entrée dans la pulpe. Ceci constitue le plus mauvais pronostic de bonne conservation de la dent. À partir du moment où la fêlure entre dans la pulpe, elle est difficile à délimiter et le traitement endodontique va favoriser sa propagation.

Diagnostic clinique et pré-orientation thérapeutique

Ce que rapporte le patient. Le test à pression cuspide par cuspide révèle une douleur sur les cuspides guides.

• Les cuspides d’appui sont relativement peu sensibles à la pression ou à la percussion.

• Le test au froid est négatif, de même que le test électrique.

• Il n’y a pas de sondage parodontal profond ou ponctuel.

• L’image clinique de la cavité d’accès montre bien une fêlure dans le sens mésio-distal et un stripping de la paroi mésiale du canal distal.

→ Ce que déduit le praticien. Il est important de solliciter la dent cuspide par cuspide. Des petits bâtonnets, dans lesquels on trouve une lunule où placer la pointe cuspidienne, sont très utiles (c’est le Tooth Slooth test).

Dans les cas de fêlures, les cuspides guides, qui sont sollicitées dans les mouvements non travaillants, vont être les plus sensibles à la pression : c’est un bon révélateur de fêlure avant même que les pulpes ne soient atteintes. Dans ces cas là, il est recommandé d’anticiper, de déposer les restaurations anciennes et de recouvrir les dents d’une restauration qui viendra englober toutes les cuspides.

Dans notre cas, c’est trop tard. Il va falloir faire le traitement endodontique de la dent si on veut la conserver et évaluer ses chances de survie sur l’arcade [2]. Il n’y a pas de sondage parodontal profond ponctuel, ce qui arrive souvent. En fait, un sondage parodontal ponctuel profond est le signe d’une fracture (sauf fistule intra-ligamentaire) mais le fait de ne pas avoir de sondage parodontal profond ne signifie pas qu’il n’y a pas de fêlure. C’est ce qui rend le diagnostic de fêlure complexe.

D’après l’image clinique de la cavité d’accès, il est impossible de prédire la propagation de la fêlure dans le canal distal.

Conclusion

La technique d’obturation choisie dans ce cas clinique a été objectivée par le diagnostic d’une fêlure et le souhait de voir se prolonger la survie de la dent sur arcade.

D’un point de vue pronostic, il n’est pas vraiment possible de dire que l’on prolonge la survie de la dent. Le temps le dira. Tout comme le temps dira ce que valent ces méthodes d’obturation et ces matériaux biologiques et bioactifs en termes de succès de traitement et donc de non-apparition de lésion apicale.

Dans ce cas précis, pour le patient, il semble qu’elles constituent un plus.

Il n’est pas facile pour ce dernier de comprendre pourquoi une dent qui ne portait pas de lésion carieuse se trouve atteinte d’une fêlure qui indique l’extraction de la dent. Le fait de pouvoir surseoir est un atout.

Le fait de ne pouvoir réellement ré-intervenir sur ce type d’obturation ne constitue pas un problème car, dès le début le patient a été informé qu’il ne s’agissait que d’une prolongation de la durée de vie de la dent. Il est d’ores et déjà prêt pour l’étape suivante qui sera l’extraction [6].

Bibliographie

  • [1] Banerji S, Mehta SB, Millar BJ. The management of cracked tooth syndrome in dental practice. Br Dent J 2017;222:659-666.
  • [2] Alkhalifah S, Alkandari H, Sharma PN, Moule AJ. Treatment of cracked teeth. J Endod 2017;43:1579-1586.
  • [3] Jeong JW, DeGraft-Johnson A, Dorn SO, Di Fiore PM. Dentinal tubule penetration of a calcium silicate-based root cabal sealer with different obturation methods. J Endod 2017;43:633-637.
  • [4] Camilleri J. Will bioceramics be the future root canal filling materials? Current Oral Health Reports 2017;1-11.
  • [5] Moinzadeh AT, Zerbst W, Boutsioukis C, Shemesh H, Zaslansky P. Porosity distribution in root canals filled with gutta percha and calcium silicate cement. Dent Mater 2015;31:1100-1108.
  • [6] Hess D, Solomon E, Spears R, he J. Retreatability of a bioceramic root canal sealing material. J Endod.2011;37 (11):1547-9

DIAGNOSTIC RADIOLOGIQUE ET STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

La radiographie pré-opératoire montre une restauration provisoire peu étanche qui laisse passer les bactéries et qui ensemence en permanence la pulpe via la fêlure. Pour autant, il n’y a pas de lésion apicale. Les canaux sont fins mais l’anatomie est simple. C’est un point important.

Le canal distal est également un peu endommagé par la première manœuvre d’accès aux canaux. La fêlure est sous la reconstitution pré-endodontique. Sous microscope, il est difficile d’évaluer son étendue.

Dans ce cas, pour conserver la dent le plus longtemps possible sur arcade, il faut que le traitement endodontique soit conservateur. Le ménagement de la zone péri-cervicale dentinaire et du tissu dentinaire dans cette zone peut éviter d’ajouter un facteur défavorable en termes de conservation de la dent sur arcade. L’absence de courbures difficiles suggère que l’accès à la longueur de travail devrait être aisé et qu’il ne faudra pas dégager les trajectoires en vue de faciliter l’accès à la zone apicale.

Par contre, il faudrait éviter de solliciter en pression la dent lors des manœuvres d’obturation canalaire. Une solution d’obturation intéressante serait d’utiliser une méthode de compaction hydraulique et des ciments d’obturation endodontiques biocéramiques. Ces ciments pénètrent le mur dentinaire sans qu’aucune pression ne soit exercée sur eux [3].

La réaction d’hydration de ces ciments sur la surface dentinaire crée un cristal intimement lié à la dentine, au point qu’il devient difficile de différencier la dentine du ciment. Une zone dite intermédiaire se crée. Elle pourrait être tout à fait idéale dans les zones de fêlure [4].

TRAITEMENT ENDODONTIQUE DE LA 46

La préparation canalaire. L’objectif est d’éviter d’exercer trop de contrainte lors de la préparation, pour ne pas faire se propager les fêlures, mais aussi de conserver le plus possible de tissu dentinaire tout en désinfectant le réseau canalaire.

Ici il a été choisi une instrumentation en mouvement réciproque (Wave One Gold®), avec le passage de seulement 3 limes :

• La Lime K10 (Denstply Sirona) de cathétérisme : le passage d’une lime manuelle doit toujours précéder le passage d’une lime mécanisée. En manuel, l’anatomie canalaire est mieux appréhendée. Les instruments mécanisés ne peuvent pas résoudre un problème que la lime manuelle n’a pas franchi ;

• Wave One Gold Glyder (Dentsply Sirona) : lime de cathétérisme aussi, mais mécanisée. Elle fait le lien entre la lime manuelle et la lime de préparation. Elle travaille en mouvement réciproque, est extrèmement flexible et bien souple. Elle est de conicité variable, (2 % à la pointe) et de diamètre très fin ;

• 0,170 à la pointe, le Wave One Gold® (Dentsply Sirona), qui mènera la préparation apicale à 25 centièmes de diamètre pour une conicité de 8 %. Instrument unique de préparation canalaire en mouvement réciproque, il s’appuie sur les parois pour progresser. Il ne nécessite pas de pré-élargir mais de passer la lime en plusieurs étapes, de nettoyer les flutes et d ‘irriguer le canal entre chaque passage. Il doit atteindre la longueur de travail.

Le passage d’un instrument en mouvement réciproque exerce une certaine contrainte sur les parois car il s’appuie sur elles pour rester centré sur la trajectoire canalaire. Mais il permet de rester conservateur, de préserver le plus possible le tissu dentinaire tout en donnant accès à la zone apicale et en favorisant la désinfection du réseau canalaire. L’anatomie simple de la dent laisse espérer que l’exercice des contraintes sera relatif.

OBTURATION CANALAIRE

Obturation du canal distal avec des ciments endodontiques biocéramiques. Un cône de gutta calibré est inséré dans le canal au préalable rempli de ciments endodontique biocéramiques (ici BioRoot®). On a utilisé une Capillary Tip® Ultradent Products 0,014, coupée au bout et insérée dans le canal dans la zone apicale avant mise en place du maître cône, sur une seringue à adrénaline.

Le cône de gutta ne peut pas être chauffé. Il n’est pas possible de faire une condensation verticale à chaud car les ciments perdraient leurs propriétés et la réaction d’hydration du ciment sur la paroi dentinaire serait compromise.

La viscosité du ciment fait que la surface dentinaire est bien mouillée et que l’espace laissé entre le maître cône et la paroi dentinaireest rempli par le ciment quel que soit la forme du canal (allongée ou en isthmes) [5].

La pression exercée par le maître cône, mis à longueur de travail et au diamètre foraminal 25/100, permet d’exercer une pression dite hydraulique : le ciment pénètre bien la paroi dentinaire. Un deuxième cône de gutta a été ajouté pour aider à la compaction hydraulique.

Le canal est de section ovale et aplatie, un peu plus étroit au milieu. Il y a deux cônes mais un maître cône car une seule sortie foraminale.

Le ciment va infiltrer la zone de fêlure et la réaction d’hydration va créer une zone intermédiaire qui pourrait suffire à colmater la brèche, à éviter la propagation de la fêlure et à maintenir la dent le plus longtemps possible sur arcade.

OBTURATION DES CANAUX MÉSIAUX

Le canal a été maintenu légèrement humide avant obturation pour permettre la réaction d’hydratation. Obturation des canaux mésiaux en technique d’obturation verticale à chaud, après séchage complet des canaux.

Ici, l’option choisie est une option de puriste sans doute exagérée. Le parti pris est le suivant.

Dans le canal distal, il n’est d’autre choix possible que de faire une obturation aux ciments biocéramiques. En revanche, dans les canaux mésiaux, rien ne l’indique. L’utilisation de ces matériaux est faite en cas d’exposition aux tissus fluides mais, dans les canaux mésiaux, il n’y en pas.

De fait, pour l’opérateur, il n’y a pas d’indication particulière pour une obturation biologique.

Aucune étude n’a jusqu’à présent prouvé sur le plan clinique que l’on peut définitivement remplacer les obturations verticales à chaud par les obturations aux ciments endodontiques biocéramiques.

Post-opératoire : la compaction hydraulique qui pousse les ciments dans la zone péri-apicale sera éliminée au fur et à mesure du temps. Les obturations aux ciments endodontiques biocéramiques ne sont pas très denses radiologiquement.