L’ÉCLAIRCISSEMENT AMBULATOIRE DES DENTS VITALES EN OMNIPRATIQUE ILLUSTRATION À L’AIDE D’UN CAS CLINIQUE - Clinic n° 07 du 01/07/2022
 

Clinic n° 07 du 01/07/2022

 

Dentisterie

Esthétique

Mélanie GIALLO*   Jean-Pierre ATTAL**  


*Présidente de la Bioteam Sud-Ouest. Exercice libéral, Biarritz.
**MCU-PH, Université Paris Cité, Directeur de l’URB2i (UR 4462). Responsable de la consultation de traitement des dyschromies, Hôpital Charles Foix, Ivry-sur-Seine.

L’éclaircissement dentaire est une thérapeutique encore trop peu utilisée dans nos cabinets, malgré le nombre élevé d’indications et la demande en augmentation des patients. Cet article propose aux praticiens un protocole fiable, simple et reproductible afin de leur permettre sa mise en place immédiate au sein de leur cabinet. Un cas clinique détaille les différentes étapes de ce protocole et nous permet de répondre au mieux aux questions communément posées.

L’éclaircissement dentaire est probablement le traitement le plus conservateur du gradient thérapeutique [1]. Les indications sont nombreuses [2], la demande des patients ne cesse d’augmenter [3] et les études confirment régulièrement la mauvaise perception sociétale des dents colorées [4]. Face à la nécessité de maîtriser cette technique, le praticien peut se sentir un peu perdu devant les multiples propositions commerciales qui s’offrent à lui avec, pour certaines d’entre elles, d’éventuels effets délétères [5]. Le protocole qui fait consensus aujourd’hui, et qui est bien documenté, est l’éclaircissement ambulatoire au PC 10 % (peroxyde de carbamide à 10 %) [6]. C’est ce protocole, à destination des dentistes qui ont un exercice omnipratique, que nous allons détailler grâce à un cas clinique qui nous servira de fil rouge pour illustrer l’ensemble de ces étapes.

PROTOCOLE D’ÉCLAIRCISSEMENT SUR DENTS VITALES, ÉTAPE PAR ÉTAPE, AU CABINET DENTAIRE

Notre patiente a 18 ans (figure 1). Elle est venue en consultation car elle était complexée par la couleur de ses dents. Cette jeune femme n’aime pas non plus la forme de ses incisives. Comme, généralement, la demande de blancheur des dents est plus importante que la demande concernant les formes, on estime que l’éclaircissement a de bonnes chances de satisfaire la patiente qui pourrait ainsi oublier le léger problème des formes. On explique à la patiente cette hiérarchie inconsciente et elle l’accepte volontiers. La patiente est jeune, les dents semblent effectivement assez jaunes, le pronostic est donc très bon [7]. L’indication d’un éclaircissement dentaire sur dents vitales en ambulatoire est donc posée.

Un bilan bucco-dentaire est réalisé. Il valide le bon état dentaire et parodontal de la patiente. Le devis étant signé, nous pouvons commencer le protocole d’éclaircissement.

Premier rendez-vous (45 minutes environ)

Le détartrage et le polissage sont à réaliser lors de ce premier RDV. Il y a deux raisons à cela :

– tout d’abord éliminer le tartre et les colorations exogènes ;

– mais aussi nous permettre d’évaluer la sensibilité dentaire pendant la prophylaxie.

Si des sensibilités sont à redouter pendant l’éclaircissement dentaire, il existe plusieurs solutions (tableau 1) que nous pourrons appliquer dans cet ordre : prescription d’un dentifrice au nitrate de potassium 15 jours avant et pendant toute la durée de l’éclaircissement [8], temps personnalisé du port de la gouttière [9] et gel désensibilisant au nitrate de potassium à forte concentration en cas de douleurs plus fortes. La dernière proposition ne fait qu’atténuer la douleur [10] et, généralement, c’est un protocole surtout nécessaire lorsque l’éclaircissement se fait au fauteuil, ce que nous déconseillons car cela n’améliore pas le résultat [11] et nécessite, pour une certaine efficacité, des concentrations aujourd’hui interdites en Europe.

Deux empreintes à l’alginate sont prises afin de préparer, pour le RDV suivant, des gouttières thermoformées. Une empreinte optique est possible mais nécessite encore une impression des modèles. En effet, les matériaux permettant l’impression de la gouttière ne sont pas encore assez bien évalués ni sur le plan pratique ni sur le plan de la biocompatibilité.

L’empreinte devra bien enregistrer les tissus mous, et pas uniquement les dents (figure 2), car la gouttière va s’appuyer sur la gencive marginale. Une enduction digitale de la gencive marginale permet de s’assurer cet enregistrement.

Fabrication des gouttières

Les gouttières peuvent être fabriquées au laboratoire de prothèse ou directement au cabinet dentaire. Dans le cadre d’un exercice d’omnipratique, nous conseillons de les fabriquer au cabinet, ce qui donne plus de souplesse pour les RDV. Cette étape peut également être réalisée par notre assistante qui maîtrisera rapidement toutes les étapes de fabrication de ces gouttières. Notre expérience montre que c’est un élément qui contribue à la valorisation de son exercice professionnel.

Les modèles sont coulés sans socle et sans palais pour faciliter le thermoformage (figure 3). Les éventuelles bulles sont comblées avec du composite et les excès sont grattés avec une fraise sur pièce à main ou un simple CK6 (figure 4).

Il est inutile de prévoir un réservoir [12]. En effet, la viscosité des produits actuels est bien adaptée à un étalement d’une petite goutte de gel sur la dent avec une gouttière bien adaptée.

Des plaques en EVA (éthylène acétate de vinyle) de 0,5 à 1,5 mm d’épaisseur vont être thermoformées sur les modèles en plâtre (figure 5). En fonction de la situation clinique, nous pouvons jouer un peu sur la souplesse de ces gouttières en sélectionnant différentes plaques commercialisées. On gardera en tête le principe suivant : si des dents sont manquantes ou en malposition, on choisira des plaques souples afin d’en faciliter l’insertion et la désinsertion. Sinon, des plaques un peu plus rigides sont généralement plus confortables.

Les gouttières sont coupées à 2 à 3 mm du collet des dents, sans feston au niveau de la gencive et de manière rectiligne. On utilise pour cela des ciseaux droits et courbes ou une lame de bistouri (figure 6). On pensera à décharger les insertions des freins. Ces gouttières sans réservoir ont le double avantage : elles sont simples et rapides à réaliser et économes en PC. Elles vont servir de barrière étanche au produit [13] même si la gencive tolère bien le PC à 10 %,

Deuxième rendez-vous (30 minutes environ)

Photos et prise de teinte

Elles sont réalisées lors du deuxième RDV, à distance de la prophylaxie, afin de ne pas être perturbé par la déshydratation des dents et d’éventuels saignements qui peuvent modifier notre perception de la teinte. Pour cela nous utilisons un teintier Vita 3D Master ou Vita Bleached Guide. D’autres méthodes de prise de teinte ont été décrites mais elles sont réservées à un exercice plus spécialisé [7].

• Une photo du visage de face (figure 1) : cette photo est très importante car nous allons y trouver plusieurs informations. L’étude du visage nous permettra d’objectiver le contraste entre la couleur des dents et celle de la peau, des cheveux, des lèvres. Il faudra ensuite comparer le blanc des yeux (la sclérotique) avec la couleur des dents [14]. Le blanc de la sclérotique contraste avec la couleur des dents. Un accord blanc des yeux/blanc des dents contribue toujours à une meilleure harmonie du visage. Nous sommes donc très confiants sur l’amélioration de l’harmonie du visage après éclaircissement.

• Une photo du sourire (figure 7) : cette photo nous fait apprécier la ligne du sourire et la façon dont le patient découvre les dents. L’enjeu ne sera pas le même si le patient a un sourire gingival.

• Une photo endobuccale frontale avec écarteurs (figure 8) : cette photo permet de détailler chaque dent.

• Une photo endobuccale frontale avec écarteurs et teintier (figure 9) : cette photo enregistre avec une référence la couleur initiale des dents, en prenant soin de prendre la couleur de plusieurs dents si nécessaire. En effet, chaque dent a sa propre couleur qui dépend, entre autres, d’un ratio émail/dentine qui lui est propre [15]. Les canines sont en général plus saturées, et les latérales le sont moins. Il faudra alors prendre autant de photos que de teintes relevées. Cette prise de teinte se réalise le plus rapidement possible pour éviter toute déshydratation parasite des dents qui viendrait perturber ce relevé.

Les photos prises à cette étape vont nous permettre de suivre l’évolution de l’éclaircissement en les comparant avec celles des RDV suivants. Ces références sont d’autant plus importantes qu’il est très courant que le patient ne se souvienne plus de la teinte de ses dents préalablement au traitement.

Essayage des gouttières

Elles doivent être rétentives mais ne pas blesser le patient. Les bords doivent être lisses et réguliers. S’il existe une gêne ressentie par le patient, elles peuvent être découpées par des ciseaux courbes. Elles s’arrêtent à 2 à 3 mm au-delà du collet des dents (figure 10).

Démonstration

Cette démonstration est obligatoirement faite au patient, « la première application de tels produits doit être effectuée uniquement par des praticiens de l’art dentaire ou sous leur supervision directe si un niveau de sécurité équivalent est assuré » [16]. Notre assistante peut donc réaliser cette démonstration même si nous conseillons au chirurgien-dentiste de la conduire afin de davantage médicaliser la procédure.

Le praticien montre la procédure sur une arcade en disposant une goutte de produit à l’intérieur de la gouttière en regard de la face vestibulaire de chaque dent (figure 11). Puis il demande au patient de le faire sur l’autre arcade. Pour aider le patient lors des premières utilisations, il est possible de marquer d’un point l’emplacement du produit à mettre (figures 12 et 13). Ce point représente non seulement l’emplacement mais aussi la quantité de produit à mettre. Il faut mettre très peu de produit car celui-ci va ensuite s’étaler telle une goutte d’eau entre 2 feuilles de verre. Notre expérience montre que ce marquage est utile pour guider les patients. Par exemple, dans le cas où il y aurait des prothèses dentaires, on ne met pas de point sur ces dents ni sur celles qui ont une hauteur coronaire insuffisante, comme c’est parfois le cas pour les dernières molaires.

Le patient va repartir avec les gouttières en bouche ou dans leur boîte après les avoir rincées à l’eau froide.

Recommandations principales

• Le port personnalisé de la gouttière. L’éclaircissement dentaire peut provoquer des sensibilités pendant le traitement [17]. On sait que la sensibilité est fonction du temps de contact PC/dent. L’idée est donc de laisser le patient choisir sa durée de port de gouttière en fonction de sa propre sensibilité [9]. Ainsi, il faudra conseiller au patient de garder la gouttière 1 heure lors de la première application, puis 2 heures le lendemain si la sensibilité le permet. Le troisième jour, le patient pourra passer à 3 heures de port de gouttière ou même toute la nuit. En revanche, si les dents sont trop sensibles, il arrête le traitement pendant 1 journée puis repasse à la durée qui ne provoque pas de douleur (figure 14).

• Les habitudes alimentaires. Le patient peut continuer à consommer des aliments à fort pouvoir colorant [18], il peut aussi continuer à fumer [19]. On pourra toutefois conseiller un temps d’attente de 30 minutes environ après retrait de la gouttière avant de prendre un aliment très coloré.

Troisième rendez-vous (15 minutes environ)

C’est un RDV court qui a lieu 2 ou 3 semaines après le début du traitement. Plutôt à 2 semaines, dans le cas de patients jeunes (car on anticipe un éclaircissement d’environ 4 semaines) ; plutôt à 3 semaines lorsque le patient est plus âgé (car on anticipe un éclaircissement d’environ 6 semaines). Ce sera un RDV de contrôle afin de faire un point avec le patient :

– sur la sensibilité ressentie et son temps de port de la gouttière ;

– sur l’efficacité du traitement ;

– sur l’estimation de la durée du traitement, que nous pouvons à ce stade évoquer.

Une photo intra-buccale est prise avec le teintier initial afin de visualiser, par comparaison avec la photo du deuxième RDV, l’efficacité du traitement à mi-traitement (figures 15 et 16).

Un dernier RDV est fixé pour valider la fin de cet éclaircissement.

Quatrième rendez-vous (15 minutes environ)

C’est le dernier rendez-vous. Il permet la validation de la fin de l’éclaircissement dont la date a été définie lors du troisième RDV.

Plusieurs photos sont prises.

• Photo du visage de face (figure 17) : on apprécie l’équilibre regard/sourire et l’harmonie du visage.

• Photo du sourire (figure 18) : elle permet de visualiser si toutes les zones exposées ont bien été éclaircies. Notons que cela ne sera pas toujours le cas.

• Photos avec écarteurs (figures 19 à 21) : plan frontal, puis avec le teintier montrant la teinte de référence avant traitement Ces photos vont nous servir à objectiver le résultat obtenu et à valider la fin du traitement.

Le protocole d’éclaircissement chez notre patiente a duré 4 semaines en ambulatoire au PC 10 % : le résultat est satisfaisant (figure 22).

CONCLUSION

Si l’éclaircissement dentaire est le traitement le plus conservateur du gradient thérapeutique, c’est aussi un traitement simple, reproductible et bien codifié. Le protocole en ambulatoire présenté ici permet au praticien généraliste non expert de traiter chaque patient quels que soient l’étiologie et la demande ; seuls le temps d’application de la gouttière et la durée de traitement vont varier. Rappelons toutefois que, à ce jour, le traitement est à réserver aux patients de plus de 18 ans et qu’il est contre-indiqué aux femmes enceintes et allaitantes [20].

BIBLIOGRAPHIE

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  • 20. Directive du Conseil 2011/84/UE du 20 septembre 2011 modifiant la directive 76/768/CEE relative aux produits cosmétiques en vue d’adapter son annexe III au progrès technique. Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE. JO Union Européenne 2011.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

Remerciements

Mélanie Giallo remercie Bisico pour la fourniture gracieuse du PC à 10 % et des plaques à thermoformer.