Le flux numérique en implantologie. Application à la mise en charge et/ou à l’esthétique immédiate - Implant n° 2 du 01/05/2014
 

Implant n° 2 du 01/05/2014

 

CHIRURGIE

Bernard Cannas*   Nicolas Boutin**   Mai Lan Tran***  


*Cofondateur Sapo Implant
Attaché université Paris Descartes
Exercice Implantologie exclusif
b.cannas@sapoimplant.net
**Sapo implant
Exercice Implantologie exclusif
***Exercice implantologie exclusif
attachée à la consultation biomimétique
Hôpital Charles Foix, Trilport

Résumé

Le flux numérique en implantologie est en plein essor. Son évolution et les nouveaux outils mis à notre disposition, à la fois dans les cabinets et les laboratoires de prothèse (empreinte optique, logiciels de simulation de traitement, interface entre laboratoires et cabinets via Internet, usinage de prothèse provisoire en CFAO) nous ont permis de proposer de nouveaux protocoles de traitements implantaires appliqués à la mise en charge ou à l’esthétique immédiate. Ces protocoles permettent de réduire les transferts physiques entre le cabinet et le laboratoire de prothèses et de « dématérialiser » les supports.

Nous décrivons, dans cet article, notre protocole du flux numérique complet de la mise en charge immédiate en le comparant à la méthode standard.

Summary

Digital impression and CAD/CAM provisional on immediately loaded implants: A new protocol.

Interest in digital workflow in implantology has increased tremendously in the past 5 years. New digital tools are today available both in private practice and dental laboratories. Digital impression, planification softwares, communication tools between the laboratory technician and the practitioner as well as CAD/CAM technology become more and more sophisticated. This allows new approaches in implant dentistry and more specifically in immediate loading protocol. Less physical pick-up/delivery between the dental office and the laboratory is needed and most of the treatment becomes digital. The aim of this article is to report a digital protocol for immediate loading and compare it with the actual standard protocol.

Key words

digital workflow, digital impression, implantology, immediate occlusal and non-occlusal loading, CAD/CAM technology

Dans l’ensemble des traitements prothétiques, le flux numérique est en constante évolution tant dans les étapes cliniques que dans celles du laboratoire de prothèse.

L’initiateur de ces technologies est un Français, le Pr François Duret, associé aux Pr Mörmann à Zurich et Rekow en Suède. Très tôt, le Pr Duret a imaginé puis conceptualisé la digitalisation des étapes allant de l’empreinte jusqu’à l’usinage au laboratoire de prothèse [1].

L’évolution constante du matériel informatique : ordinateurs, logiciels, machines-outils numériques (loi de Moore) nous permet aujourd’hui de pouvoir mettre en application ce flux numérique ou digital workflow (DW).

Le système de Conception et Fabrication Assistée par Ordinateur (CFAO) a été une véritable révolution dans l’industrie en général et dans la dentisterie en particulier.

ÉVOLUTION DE LA TECHNOLOGIE APPLIQUÉE AUX TRAITEMENTS IMPLANTAIRES

Depuis le début des années 2000, un nouveau tournant a été pris notamment grâce à la CFAO et le développement des usineuses. Elles étaient, soit « internalisées » dans les cabinets dentaires ou les laboratoires de prothèse, soit « externalisées » dans de grands centres d’usinage, du type Procera© de chez Nobel Biocare [2].

L’évolution des méthodes d’enregistrement en bouche grâce aux empreintes optiques a été longtemps limitée au Système Cerec© (CEramic REConstruction), commercialisé dès 1988. Il proposait un ensemble compact de l’empreinte et à l’usinage dans le cabinet dentaire.

La mise au point des transferts intra-oraux dits Scan Abutments (SA), dès 2011, a permis le transfert de la position de l’implant, ou du pilier, enregistré en intra-oral, sur un modèle virtuel. De nombreuses sociétés proposent aujourd’hui la prise d’empreintes optiques intra-orales : iTéro de Cadent, Lava de 3M, Trios 3Shape® [3] (Fig. 1)

Il est possible au laboratoire de prothèse, à partir d’un modèle issu d’une empreinte classique puis enregistré en 3D grâce à un scanner de laboratoire, de modéliser le projet prothétique. Mais aujourd’hui, nous pouvons modéliser directement et virtuellement le design de la prothèse implantaire. L’étape de laboratoire avec les Scan Bodies est donc remplacée par la prise d’empreinte optique avec les Scan Abutments (Fig. 2).

La fabrication d’infrastructures prothétiques implanto-portées, de piliers implantaires sur mesure au laboratoire est maintenant parfaitement maîtrisée. Les laboratoires de prothèses vont aujourd’hui à grand pas vers le « tout numérique ». La CFAO a supplanté la métallurgie, la coulée du métal est reléguée au musée de la prothèse dentaire.

Le SA fait donc le lien entre la technique CFAO et la clinique grâce à l’empreinte optique. Il constitue la passerelle entre le cabinet dentaire et le laboratoire de prothèse.

Depuis ces deux dernières années, nous avons observé une importante évolution des empreintes optiques : vitesse de la prise d’empreinte par la puissance de calcul (moins de 2 minutes pour une arcade complète), absence de poudrage des surfaces dentaires, grande capacité de calcul des ordinateurs pour la gestion des fichiers.

ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS IMPLANTAIRES VERS LA CHAÎNE NUMÉRIQUE

En parallèle de l’évolution technique de fabrication, d’enregistrement, de simulation numériques au laboratoire, les traitements implantaires ont, eux aussi, connu une véritable révolution.

Jusqu’à la fin des années 1990, les traitements implantaires demandaient un temps d’ostéo-intégration de 4 à 6 mois avant la mise en place des piliers puis des prothèses d’usage [4].

Depuis le début des années 2000, la Mise en Esthétique Immédiate (MEI) et la Mise en Charge Immédiate (MCI) se sont développées dans toutes les indications de traitement : la prothèse unitaire, partielle et complète. Ces nouveaux protocoles ont permis de réduire considérablement le temps de traitement avec des taux de succès équivalents [5].

L’extraction et implantation immédiate de l’implant (EII) réduit encore davantage le temps de traitement implantaire. Ce type de traitement, associé à une analyse précise des outils d’imagerie (CBCT, cone beam computed tomography) et à une sélection soigneuse des indications, aboutit à des taux de succès satisfaisants [6] (Fig. 3).

Ces protocoles thérapeutiques permettent l’implantation et la pose de la prothèse provisoire le jour même de l’extraction.

La réalisation au fauteuil de la prothèse provisoire immédiate en fin de chirurgie est souvent inconfortable pour le patient, nécessite un temps au fauteuil supplémentaire ainsi qu’une étape de manipulation de matériau irritant (résine polyacrylique) au contact direct des plaies et des sutures.

Des protocoles d’enregistrement de la position des implants en fin de chirurgie vers le laboratoire de prothèse ont été proposés [7, 8, 9] (Fig. 4). Ces techniques, bien que simplifiées, présentent également des limites : l’ajout d’une étape d’empreinte conventionnelle postopératoire, une mise en contact de la zone opérée avec des matériaux (silicone…) ou la mise en place d’une digue, les contraintes de transport et de livraison des prothèses…

L’ensemble de ces aléas peut être aujourd’hui supprimé grâce à la mise en place de la chaîne numérique dans la MEI/MCI en implantologie.

À la lumière de ces différentes évolutions, nous proposons le protocole de la chaîne numérique appliquée à la mise en charge ou à l’esthétique immédiate ou Digital Workflow (DW) and Immediate Loading (IL).

Les principales étapes du protocole numérique sont les suivantes :

1) Lors d’un premier rendez-vous de consultation, en plus de l’examen clinique et radiologique classique, une empreinte numérique est enregistrée. Le fichier d’empreinte initial est dit « empreinte d’étude » et restera intact comme empreinte de référence.

2) Le fichier est transféré au laboratoire en environ 10 minutes. Ainsi, praticien et prothésiste valident au préalable la forme des couronnes, les profils d’émergence et le choix des piliers prothétiques. Le prothésiste peut même modéliser si nécessaire un montage diagnostic virtuel (Fig. 5).

3) Ce montage diagnostic virtuel peut être transposé sur l’imagerie afin de guider la planification virtuelle et l’éventuel fabrication d’un guide chirurgical.

4) Sur une copie du fichier d’empreinte d’étude, la position des implants est marquée (Fig. 6).

5) À la fin de la chirurgie, les Scan Abutments (SA) sont vissés sur les implants. L’adaptation est contrôlée radiographiquement (Fig. 7 et 8).

6) L’étape d’enregistrement des SA est simple et rapide. En fin d’intervention, le fichier est transféré au laboratoire.

7) Dès réception, le laboratoire transfère le projet prothétique élaboré initialement, l’adapte sur la position des implants et peaufine le design de la prothèse définitive (Fig. 9). Le praticien valide alors la pièce prothétique avant l’usinage via Internet. Cette étape peut être rapide et dépend du nombre d’éléments.

8) La partie usinée de la prothèse provisoire est collée sur des composants en titane que l’on appelle embases titane. Dans les cas où les contraintes mécaniques sont faibles et plutôt axiales que latérales, la prothèse provisoire ne comprend pas de composant en titane (Fig. 10).

9) Après polissage, l’élément prothétique est renvoyé au cabinet pour la pose le jour même de l’intervention (Fig. 11).

Les étapes cliniques et de laboratoires des protocoles conventionnel et numérique sont illustrées dans les Fig. 12 et 13.

On peut y noter la chronologie des temps de traitement et de laboratoire ainsi que leurs connexions. Le nombre d’étapes et de rendez-vous nécessitant la présence du patient et le transfert des empreintes, cires, porte empreintes… vers le laboratoire ou vers le cabinet sont précisées.

DISCUSSION

Le protocole numérique comporte de nombreux avantages, notamment un gain en temps passé au fauteuil ainsi qu’une meilleure communication avec le laboratoire (Fig. 14).

Avec cette technique, une simulation, sur une empreinte optique réalisée avant l’intervention, est nécessaire afin de réduire le temps lors de la chirurgie. Le fichier est téléchargé au laboratoire en environ 10 minutes. La rapidité d’exécution post-chirurgicale est conditionnée par ces étapes initiales.

La localisation précise des implants est simulée avec des logiciels de planification implantaire du type NobelClinician® ou SimPlant® (Fig. 15).

Grâce à l’empreinte optique, aucun produit à empreinte ne vient souiller le site opératoire et la protection des lambeaux et des sutures n’est donc pas nécessaire. Par ailleurs, aucune force n’est exercée sur l’implant comme cela pourrait être le cas lors de la désinsertion d’une empreinte classique avec des transferts d’empreinte.

La qualité de l’usinage permet d’obtenir une prothèse provisoire en résine monobloc avec une surface polie, très peu retravaillée. Cela évite toute porosité des prothèses provisoires ainsi que le relargage de la résine après la pose et favoriserait la cicatrisation des tissus implantaires (Fig. 14).

La précision de l’empreinte optique lors de l’enregistrement du rapport intermaxillaire et des points de contact simplifie la pose de la prothèse provisoire ainsi que les réglages d’occlusion, faisant gagner au praticien un temps considérable.

La communication praticien/prothésiste est optimisée par les échanges numériques via Internet. Elle exige une connexion internet de haut débit et stable. La validation simultanée avant usinage de la pièce prothétique permet de diminuer le nombre d’erreurs et donc de transferts physiques entre laboratoire et cabinet.

La communication entre le cabinet et le laboratoire est donc un des éléments clés de la chaîne numérique. Cependant, un équipement matériel adapté est indispensable : caméra optique et logiciel de simulation en ce qui concerne le cabinet, et logiciel de modélisation, articulateur virtuel et poste d’usinage en ce qui concerne le laboratoire.

La parfaite maîtrise de ces outils demande une formation approfondie des différents utilisateurs.

CONCLUSION

La mise en place de ce nouveau protocole numérique de mise en charge immédiate exige une parfaite coordination entre le laboratoire de prothèse et la clinique comme dans tout traitement implantaire.

Une grande rigueur est nécessaire à toutes les étapes.

Les intérêts majeurs de ce protocole sont d’éviter le transfert des empreintes au laboratoire après la chirurgie, de diminuer les temps opératoires et de conception prothétique au laboratoire, d’éviter de souiller le site chirurgical durant de l’intervention et d’obtenir une prothèse provisoire mieux adaptée tant au niveau esthétique qu’au niveau de la biocompatibilité.

Tous ces avantages nous encouragent à utiliser ce protocole dans les cas d’extraction implantaire immédiate et de mise en esthétique immédiate/mise en charge immédiate et constituent une véritable révolution ouvrant des perspectives d’avenir intéressantes.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Duret F. Computers in dentistry. Part two. François Duret: a man with vision. J Can Dent Assoc 1988;54:664.
  • 2. Lang LA, Sierraalta M, Hoffensperger M, Wang RF. Evaluation of the precision of fit between the Procera custom abutment and various implant systems. Int J Oral Maxillofac Implants 2003;18:652-658.
  • 3. Andreiotelli M, Kamposiora P, Papavasiliou G. Digital data management for CAD/CAM technology. An update of current systems. Eur J Prosthodont Restorative Dent 2013;21:9-15.
  • 4. Albrektsson T, Brånemark PI, Hansson HA, Lindstrom J. Osseointegrated titanium implants. Requirements for ensuring a long-lasting, direct bone-to-implant anchorage in man. Acta Orthop Scand 1981;52:155-170.
  • 5. Esposito M, Grusovin MG, Maghaireh H, Worthington HV. Interventions for replacing missing teeth: different times for loading dental implants. Cochrane Database Syst Rev 2013;3:CD003878.
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  • 7. Gillot L, Cannas B, Buti J, Noharet R. A retrospective cohort study of 113 patients rehabilitated with immediately loaded maxillary cross-arch fixed dental prostheses in combination with immediate implant placement. Eur J Oral Implantol 2012;5:71-79.
  • 8. Gillot L, Noharet R, Buti J, Cannas B. A retrospective cohort study of 105 patients rehabilitated with immediately loaded mandibular cross-arch bridges in combination with immediate implant placement. Eur J Oral Implantol 2011;4:247-253.
  • 9. Noharet R, Cannas B, Gillot L. Transfert de la relation inter-maxillaire lors de la mise en fonction en implantologie. Implant 2009;15:121-129.

REMERCIEMENTS

Georges Bourelly

Laboratoire Franck Beaupère

Remerciements à la société Henri Schein pour la location du matériel (Trios 3 Shape) et l’aide technique.