Implants et édentement complet mandibulaire - Implant n° 1 du 01/02/2015
 

Implant n° 1 du 01/02/2015

 

DOSSIER CLINIQUE

Enguerran Lyautey  

Docteur en chirurgie dentaire
Diplômé de la faculté d’odontologie de Reims
Exercice privé à la Motte Servolex (Savoie, 73)
enguerranlyautey@yahoo.fr

Le traitement de l’édenté complet mandibulaire a connu de nombreuses évolutions au cours des dernières décennies et les possibilités actuelles de traitement vont de la simple stabilisation par deux implants d’une prothèse amovible à la réalisation de prothèses fixes ostéo-ancrées.

Si, dans la majorité des cas, la symphyse mentonnière offre un volume osseux compatible avec la mise en place d’implants dentaires, il est parfois nécessaire, dans certains cas d’atrophie sévère, de réaliser des augmentations osseuses.

Le cas clinique présenté dans cet article montre qu’il peut parfois exister des solutions simples pour réaliser des greffes osseuses autogènes volumineuses sans obligatoirement avoir recours aux prélèvements extra-oraux.

Les premiers travaux de Brånemark (1965) ont été entrepris dans le but de restaurer la mandibule avec une prothèse fixe implanto-portée [1].

Depuis, les praticiens implantologistes n’ont cessé de chercher des solutions plus ou moins complexes pour permettre à chaque patient de retrouver une fonction masticatoire avec une prothèse soit fixe, soit mobile. Seule la quantité d’os résiduel limitait alors la mise en place d’implants.

La prothèse implantaire de Brånemark, souvent fixée sur l’os bASAl, présentait l’inconvénient de laisser de grands espaces libres dans lesquels restait bloqué le bol alimentaire.

Depuis, l’implantologie a cherché des solutions pour des cas moins extrêmes, notamment en augmentant le volume osseux en hauteur et/ou en épaisseur pour permettre la mise en place soit d’une prothèse de type brånemarkien avec des dents en extension, soit la mise en place d’implants avec attachements, ou encore une barre fraisée sur laquelle vient se fixer une prothèse amovible.

Cette évolution depuis Brånemark réside aussi dans la possibilité de mettre en charge immédiatement ces prothèses, sous certaines conditions.

CAS CLINIQUE

Un patient âgé de 63 ans souhaite une restauration prothétique au niveau de la mandibule. Il se plaint de douleurs lorsque sa prothèse amovible partielle appuie sur l’émergence crestale des foramens mentonniers ainsi que de l’esthétique de cette prothèse (Fig. 1).

Les dents résiduelles ne peuvent pas être conservées et la radiographie panoramique laisse entrevoir un volume osseux symphysaire favorable à une mise en charge immédiate (Fig. 2). Mais l’examen du scanner révèle une atrophie sévère de la crête alvéolaire incompatible avec la mise en place d’implants dentaires (Fig.  3).

Le remodelage, par soustraction de la crête alvéolaire, ne peut être envisagé car il ne permettrait pas de retrouver un volume osseux suffisant pour la mise en place d’implants. Des prélèvements extra-oraux auraient pu être envisagés mais ils n’étaient pas souhaités par le patient. Une solution thérapeutique plus simple est alors proposée : à l’aide de la piezochirurgie, prélèvement de la partie supérieure de la symphyse mandibulaire sur une hauteur de 1 cm entre les 2 foramens mentonniers (Fig. 4 à 9) et positionnement vestibulaire et à distance dans la partie plus basale de la mandibule pour réaliser une régénération osseuse guidée selon la technique de greffe biologique décrite par Khoury [2].

Le prélèvement est ensuite préparé pour obtenir une lamelle osseuse de 1 mm d’épaisseur environ (Fig.  10).

La préparation du site symphysaire (Fig. 11) destiné à recevoir la partie basale de la lamelle permet non seulement de créer un « rail » de stabilisation pour cette lamelle mais aussi de collecter de l’os particulé qui vient s’ajouter à l’os récupéré lors de la préparation de la lamelle osseuse. Celle-ci est ensuite fixée à l’aide de 7 vis d’ostéosynthèse (Fig.  12) et l’os particulé est alors soigneusement compacté dans l’espace recréé (Fig.  13).

Les tissus mous sont ensuite repositionnés et suturés sans aucune tension et sans avoir recours à une incision périostée en raison du gain obtenu grâce à la réduction osseuse de la partie crestale de la mandibule.

La prothèse du patient est conservée au cabinet pour éviter son port, même pour un temps très réduit, et éviter ainsi toute mobilisation du greffon.

Après 4 mois de cicatrisation (Fig.  14), les vis sont déposées (Fig.  15 et 16) et 5 implants In-Kone® (GLOBAL D) sont mis en place (Fig.  17 et 18).

Trois mois après, temps nécessaire à l’ostéo-intégration, des piliers coniques sont connectés aux implants et recouverts par des coiffes de pilier (Fig.  19).

La prothèse provisoire est rebasée à l’aide d’une résine à prise retard (Fig.  20) et portée durant 2 mois avant la réalisation de la prothèse définitive.

Compte tenu des attentes du patient et de sa classe III squelettique, le choix prothétique se porte sur une barre en titane usinée avec 4 attachements type Equator® et une prothèse en résine amovible avec contre-plaque en titane usinée.

Les empreintes sont réalisées au plâtre avec un porte-empreinte individuel « télescopique » (Fig. 21 à 23). Après validation de l’empreinte grâce à une clef en plâtre (Fig.  24), et du montage directeur (Fig.  25). La réalisation prothétique est confiée à la société canadienne Panthera Dental (Fig.  26 à 29).

Un an plus tard, après une légère résorption initiale, l’os est parfaitement stabilisé autour des implants (Fig.  30 et 31).

DISCUSSION

La mise en place d’implants dans le traitement de l’édenté complet mandibulaire a constitué un tournant décisif pour la stabilité des prothèses totales. En effet, il a été montré que la résorption osseuse mandibulaire diminuait de 8 à 1 mm en 5 ans lorsque la prothèse mandibulaire était reliée à des implants [3, 4], entraînant également une diminution de la résorption du maxillaire antagoniste (divisée par 4 en volume pour un maxillaire édenté) [5].

C’est pour cette raison que le traitement de l’édenté complet à l’aide d’une prothèse amovible complète conventionnelle est considéré depuis peu, à la suite d’un consensus, comme une faute thérapeutique [6]. Récemment, en France, des plaintes de patients ont été enregistrées, qui reprochaient à leur dentiste la mise en place de prothèse totale amovible sans proposition de mise en place d’au moins 2 implants pour la stabiliser.

Pourquoi avoir fait le choix d’une prothèse amovible alors que 5 implants mandibulaires sont considérés comme suffisants pour une prothèse fixe ?

Tout d’abord, le patient du cas clinique présenté plus haut s’inquiétait des difficultés de nettoyage et de l’accumulation éventuelle de nourriture sous cette prothèse.

La reconstruction osseuse aurait pu s’effectuer à partir d’un greffon pariétal, iliaque ou d’un os allogénique, ce que le patient ne souhaitait pas et qui explique le choix du prélèvement effectué.

La longueur du greffon empêchant la reconstruction jusqu’aux foramens, il aurait été possible, bien évidemment, de couper ce greffon en deux parties et de les positionner plus distalement. Mais, en raison des attentes du patient, des risques de paresthésies et du décalage de classe III squelettique, le choix s’est porté sur une prothèse amovible stabilisée sur une barre.

La réalisation d’une barre fraisée présente l’avantage d’offrir une stabilité proche de celle d’une prothèse fixe, de peu solliciter les attachements, de permettre de corriger la classe III malgré son augmentation engendrée par la greffe osseuse et, enfin, de faciliter l’entretien au quotidien, ce qui diminue grandement le risque de péri-implantite au fil du temps.

Il est souvent question de mise en charge immédiate à la mandibule, ce qui permet notamment d’éviter le port de la prothèse amovible durant la phase de cicatrisation. Cependant, lorsqu’une augmentation osseuse a été réalisée, il est préférable de différer la mise en charge des implants [7].

CONCLUSION

Lorsque la résorption osseuse est importante à la mandibule, il est nécessaire de réaliser une reconstruction osseuse pour permettre la mise en place d’implants. L’utilisation d’os allogénique est intéressante mais les résultats semblent très limités à la mandibule. Actuellement, l’os autogène demeure le gold standard mais reste une intervention lourde lorsqu’il est prélevé au niveau pariétal ou iliaque.

Pour cette raison, dès que cela est possible, il est intéressant d’utiliser de l’os autogène prélevé principalement dans les zones rétromolaires ou mentonnières, intervention moins invasive avec un taux de réussite plus élevé que le prélèvement pariétal ou iliaque.

À l’aide de ce cas clinique, nous avons voulu montrer qu’il existait des possibilités relativement simples pour reconstruire l’os en épaisseur et permettre la mise en place d’implants. !

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Adell R, Lekholm U, Rockler B, Brånemark PI. A 15-year study of osseointegrated implants in the treatment of the edentulous jaw. Int J Oral Surg 1981;10:387-416.
  • 2. Khoury F. Greffe osseuse en implantologie. Berlin : Quintessence International, 2011.
  • 3. Adell R, Lekholm U, Rockler B, Brånemark PI, Lindhe J, Eriksson B et al. Marginal tissue reactions at osseointegrated titanium fixtures (I). A 3-year longitudinal prospective study. Int J Oral Maxillofac Surg 1986;15:39-52.
  • 4. Lindquist LW, Carlsson GE, Jemt T. A prospective 15-year follow-up study of mandibular fixed prostheses supported by osseointegrated implants. Clinical results and marginal bone loss. Clin Oral Implants Res 1996;7:329-336.
  • 5. Jacobs R, Van Steenberghe D, Nys M, Naert I. Maxillary bone resorption in patients with mandibular implant-supported overdentures or fixed prostheses. J Prosthet Dent 1993;70:135-140.
  • 6. Thomason JM. The McGill consensus statement on overdentures. Mandibular 2-implant overdentures as first choise standard of care for edentulous patients. Eur J Prothodont Restor Dent 2002;10:95-96.
  • 7. Wismeijer D, Casentini P, Galluci G, Chiapasco M. ITI treatment guide volume 4. Protocoles de mise en charge en implantologie dentaire. Patients édentés. Berlin : Quintessence international, 2010.

Remerciements : À mon maître et ami Bernard Chapotat (Vienne, 38) pour son aide dans la réalisation de cet article.