Péri-implantites et sites osseux augmentés - Implant n° 4 du 01/11/2016
 

Implant n° 4 du 01/11/2016

 

CHIRURGIE

N. Strube / G. Khoury  

Résumé

La péri-implantite est devenue en peu de temps un sujet de préoccupation majeur au même titre que la parodontite. Sa vitesse de progression dans les milieux augmentés est peu documentée dans la littérature scientifique et pose la question de sa similitude ou différence de rapport à celle observée dans l'os natif.

Ce travail a été réalisé sous l'égide du Study Group PEERS.

Summary

Peri-implatitis and increased bone sites

Peri-implantitis has become in a short time a major concern as well as periodontitis. However, the disease progression in regenerated bone is not well documented in the literature. Could it be similar or more agressive than the one observed in pristine bone ?

Key words

peri-implantitis, bone grafting, bone augmentation

Au cours des dernières décennies, l'utilisation d'implants dentaires est devenue un moyen fiable pour remplacer les dents absentes. Chez le patient sain, le taux de survie implantaire à 15 ans est de 91,5 % si l'implant est posé dans des conditions favorables []. Mais quelles sont ces conditions favorables ? Ainsi, dans les situations cliniques présentant un déficit osseux, l'augmentation du volume préalable à la pose d'un implant rend-elle systématiquement les conditions plus favorables ?

Les deux cas cliniques présentés (figs. 1 à 10 et figs. 11 à 17) illustrent une situation de péri-implantite en site greffé.

Premier cas clinique

Le premier cas clinique (fig. 1) concerne une patiente traitée en 2005 pour une augmentation osseuse pré-implantaire bilatérale au niveau mandibulaire. Une reconstitution osseuse par tunnélisation de greffon autologue (prélèvement mentonnier) pour le secteur droit (fig. 2) et par greffon cortico-spongieux allogénique pour le secteur gauche (fig. 3) a été réalisée.

Le scanner 4 mois plus tard montre une intégration similaire des deux sites greffés (fig. 4 et 5) et la pose des implants est réalisée avec une sensation clinique et un saignement similaires au niveau des deux sites (fig. 6 à 8). Parallèlement, les deux sinus ont été greffés (os allogénique particulé) et implantés.

En 2014, après une longue absence en raison d'un déménagement, la patiente consulte à nouveau pour parodontite et péri-implantite généralisée. Le site mandibulaire gauche est le plus touché des 4 sites, avec des poches suppurantes supérieures à 6 mm (fig. 9).

Lors de la thérapeutique parodontale, le secteur mandibulaire gauche a été régénéré par biomatériau xénogénique et membrane.

Le suivi au bout de 1 an (fig. 10) montre une stabilisation de la péri-implantite avec une cicatrisation osseuse horizontale, signe de la bonne maintenance.

Second cas clinique

Le second cas clinique concerne une patiente âgée de 52 ans, non fumeuse et en bonne santé sur le plan général. Elle se plaint de sa prothèse supra-implantaire plurale située dans le secteur 1, réalisée 8 années auparavant (fig. 11).

L'examen clinique et radiographique montre un biotype gingival épais et des implants en situation 15-16-17 insérés dans un site greffé (greffe sous-sinusienne en 16-17 et vestibulaire en 15).

L'image radiographique (fig. 12) est caractéristique d'une péri-implantite sévère localisée aux implants 15 et 16 et ces deux implants sont déposés (fig. 13 à 15). L'examen des implants retirés met en évidence un biomatériau colonisé par du tissu de granulation (fig. 16).

Après curetage, quelques granules de biomatériau intégrés dans la masse osseuse sont visibles radiologiquement (fig. 17).

La réflexion sur les causes d'un échec permet généralement de désigner rétrospectivement un ou plusieurs facteurs potentiels habituels tels que le nombre d'implants mis en place, leur proximité, l'hygiène défaillante ou l'absence de séances de maintenance... Cliniquement, dans ce dernier cas, il apparaît ici qu'aucun défaut majeur de conception tant en matière prothétique que dans le positionnement tridimensionnel des implants ne peut être retenu.

En complément de la thérapeutique à mettre en place, l'analyse de cette situation d'échec entraîne un certain nombre d'interrogations : cette péri-implantite aurait-elle le même aspect dans un os natif ? Pourquoi l'implant postérieur n'est-il pas touché alors que son positionnement ne rend pas le contrôle de plaque et la maintenance plus aisés que pour les deux autres implants ? L'os natif de la région distale au niveau crestal, qui n'était pas recouvert de biomatériau car en dehors du site de greffe vestibulaire, a-t-il limité la progression bactérienne ? L'utilisation de biomatériau a-t-elle modifié ou aggravé la situation ?

La pertinence clinique de ces interrogations a été évaluée simplement en interrogeant un groupe de 32 confrères et en leur posant une simple question : « Trouvez-vous qu'il existe cliniquement une différence (forme, rapidité...) entre le développement d'une péri-implantite dans un site greffé et celui se produisant dans un os natif ? » Ces confrères ont tous répondu et 84,38 % d'entre eux soulignent une forme plus agressive et dévastatrice du développement des péri-implantites en milieu greffé.

La péri-implantite est définie comme étant une inflammation de la muqueuse péri-implantaire avec saignement et/ou suppuration au sondage, perte d'attache avec approfondissement des poches et résorption osseuse péri-implantaire []. Sa prévalence au bout de 10 ans est de l'ordre de 10 % autour des implants et chez environ 20 % des patients implantés [, ]. Aujourd'hui, il est admis que l'hygiène orale défaillante est en corrélation directe avec sa présence [, ]. De plus, son étiologie infectieuse est clairement établie, avec probablement une flore complexe polymicrobienne anaérobie légèrement différente de celle retrouvée dans les lésions parodontales [-].

L'analyse de la littérature scientifique montre de nombreuses publications rapportant l'apparition d'une péri-implantite en évoquant l'existence de facteurs de risque qui, par leur présence, augmenteraient la probabilité de pathologies péri-implantaires. Ainsi, l'historique de pathologie parodontale [], le jeune âge et le diabète non équilibré [] augmenteraient la possibilité de développement des péri-implantites. La consommation de tabac favoriserait également leur développement avec une fréquence d'apparition d'environ 36,3 % []. Le nombre de consultations de contrôle et la motivation individuelle auraient aussi leur importance [, ].

Plus localement, l'état de surface implantaire [, ], la facilité d'accès au contrôle de plaque [], la profondeur de poche péri-implantaire [, ] et la quantité de gencive kératinisée péri-implantaire [] auraient une influence sur le risque d'installation d'une pathologie péri-implantaire.

Concernant l'impact de l'architecture ou du matériau des piliers prothétiques sur le développement des péri-implantites, même s'il est reconnu que la qualité et l'étanchéité de la jonction pilier-implant sont essentielles, il s'avère délicat d'apporter des éléments de réponse définitifs. Ainsi, dans leur revue systématique et méta-analyse de 2015, Linkevicius et Vaitelis [] ne trouvent aucune différence significative entre un pilier en titane et un pilier en zircone en ce qui concerne la santé des tissus péri-implantaires.

En 2009, Wilson [] a établi la relation entre les excès de ciment et la pathologie péri-implantaire dans 81 % des cas ; fort heureusement, les signes cliniques disparaissent dans 74 % des cas après éliminations de ces excès. De même en 2013, Linkevicius [] montre que plus la limite est sous-gingivale, moins l'excès est détectable ; il insiste aussi sur l'absence d'efficacité de la radiographie pour détecter les excès de matériau d'assemblage.

À l'issue de cette brève analyse de la littérature scientifique disponible, il est bien difficile de dégager des informations pertinentes sur le comportement d'un os augmenté, par technique autogène ou non, en cas de péri-implantite. Cliniquement, chaque praticien a son opinion.

La question qu'il est possible de poser est la suivante : un os natif a-t-il un meilleur potentiel de défense et de cicatrisation qu'un os préalablement augmenté ?

Les recherches bibliographiques effectuées à l'aide des mots clés « peri-implantitis and bone augmentation » et « peri-implantitis and bone grafting » ne permettent de retrouver que peu d'articles (respectivement 65 et 99) qui sont en fait principalement en relation avec la restauration des défauts consécutifs à des péri-implantites par des techniques de régénération utilisant des biomatériaux. Sept articles ont été retenus, même si certains d'eux ne parlent que de facteurs de risque ou de stabilité du volume osseux.

En 2013, Atieh et al. [] ne rapportent aucune conclusion tirée de la synthèse des articles retenus, dans leur méta-analyse, sur la fréquence des péri-implantites développées au sein d'os natif et d'os augmenté.

Busenlechner et al. [], en 2014, ne considèrent pas l'augmentation du volume osseux préalable comme un facteur de risque. Là encore, seul le taux de survie au bout de 8 ans est rapporté sans plus de précision sur le potentiel de défense de l'os greffé.

En 2015, Pabst et al. [] ne trouvent aucune différence significative du taux de survie implantaire entre des implants posés dans de l'os natif par rapport à une implantation dans un os augmenté dans les sites sous-sinusiens. Mais il n'est rapporté que des taux de survie, pas de stabilité osseuse péri-implantaire ou de virulence de la progression d'éventuelles péri-implantites.

Daubert et al. [], en 2015, soulignent que le diabète, l'âge du patient et le moment de placement de l'implant auraient une influence sur la prévalence et les facteurs de risque des pathologies péri-implantaires.

Les articles retenus dans la revue systématique de Lutz et al. de 2015 [] concernant la stabilité à long terme des tissus mous et durs dans les sites augmentés ont montré une trop grande hétérogénéité pour qu'ils puissent mener à bien une méta-analyse.

Enfin, en 2015, Nisand et al. [] ne mettent pas en évidence de différence quant au taux de survie entre les implants courts placés dans de l'os natif et les implants conventionnels placés dans les sites augmentés verticalement. Seules les complications chirurgicales se révèlent plus importantes dans les milieux augmentés.

Toutefois, dans l'article de Sahrmann et al. (2016) [] les auteurs rapportent des poches d'une profondeur supérieure à 5 mm dans le groupe traité avec des implants courts (6 mm) au maxillaire postérieur (test) par rapport à un groupe témoin recevant des implants de 10 mm de longueur.

En conclusion, à la question posée concernant une différence dans la progression de la péri-implantite autour des implants situés dans un os greffé ou dans un os natif, le désert bibliographique actuel ne permet pas d'émettre un avis éclairé.

La réponse à cette question est essentielle car elle est l'une des clés pour la compréhension des problématiques cliniques actuelles en rapport avec la localisation des greffes, (apicale dans les sinus ou coronaire dans les augmentations verticales et/ou latérales,) ou avec la nature physico-chimique des biomatériaux utilisés.

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Nicolas Strube
Exercice exclusif en Chirurgie et Implantologie Orale
Praticien hospitalier attaché au DU d'implantologie de Nantes
34, rue Jules-Verne
44700 Orvault

Georges Khoury
Spécialiste qualifié en chirurgie orale
Responsable scientifique du DUCCPIA
Attaché au DUCICP Université Paris 7 Denis Diderot - Hôpital Rothschild
83, boulevard Exelmans
75016 Paris

les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

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