« Fumer tue », parlons-en !
 

Les cahiers de prothèse n° 138 du 01/06/2007

 

ÉDITORIAL

éric robbiani  

rédacteur en chef adjoint

Depuis le 1er février 2007, il est interdit de fumer dans tous les lieux publics (décret du 15 novembre 2006).

Les conséquences du tabagisme sur la santé ont été formellement démontrées dès les années cinquante et sont maintenant bien connues. Le nombre de décès dus au tabac est estimé aujourd'hui à 548 000 par an dans l'Union européenne et à 60 000 en France, soit plus d'un décès sur neuf [1].

Une...


Depuis le 1er février 2007, il est interdit de fumer dans tous les lieux publics (décret du 15 novembre 2006).

Les conséquences du tabagisme sur la santé ont été formellement démontrées dès les années cinquante et sont maintenant bien connues. Le nombre de décès dus au tabac est estimé aujourd'hui à 548 000 par an dans l'Union européenne et à 60 000 en France, soit plus d'un décès sur neuf [1].

Une Francilienne sur cinq et un Francilien sur trois fument quotidiennement. Le tabac et la consommation excessive d'alcool sont les deux premières causes de décès évitables en France [2]. Ces deux facteurs représentent un coût important des dépenses de santé directement ou indirectement.

La prise en compte de la nocivité du tabac a débuté en 1976 avec la loi Veil. Depuis la loi Évin de 1991, le prix du tabac a été augmenté à plusieurs reprises et les achats à prix constants ont baissé de 3,4 % par an en moyenne [3]. Le budget estimé de dépense en tabac d'un fumeur est de 1 020 euros par an. Depuis quelques années, les comportements ont évolué et tiennent davantage compte des non-fumeurs. Une enquête réalisée par l'Office français de prévention du tabagisme (OFT) et l'Alliance contre le tabac en Ile-de-France (Actif) en mars, auprès de 200 foyers où vivait au moins un fumeur, montre que 69 % des familles « s'imposent volontairement des règles concernant le tabagisme à la maison, qu'il y ait ou non des enfants ».

Dans la synthèse finale du forum « Fumer dans les lieux publics : pour ou contre ? » [4] ouvert le 30 mai 2006, le principal argument énoncé contre l'interdiction de fumer dans les lieux publics est le principe de la liberté individuelle. Les fumeurs veulent préserver leur liberté de fumer et avancent aussi les conséquences fâcheuses de cette interdiction pour les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration. Mais ce principe de liberté individuelle résiste mal au droit de chacun de respirer librement dans les lieux publics ou aux coûts des pathologies liées aux consommations excessives de tabac pour la société.

Cette interdiction s'accompagne aussi de mesures d'incitation à l'arrêt du tabac et d'accompagnement au sevrage. L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) propose, depuis le 31 mai 2005, un site Internet « pour soutenir les fumeurs dans leur démarche d'arrêt ». Conçu avec des experts en tabacologie, www.tabac-info-service.fr propose aux internautes des informations et des outils adaptés à leur profil. À partir du 1er février 2007, l'Assurance maladie accompagne l'arrêt du tabac. Elle rembourse, pour un montant maximal de 50 ? par an et par bénéficiaire, les traitements par substituts nicotiniques (patch, gomme, pastille, etc.) (www.ameli.fr). Selon le tableau de bord mensuel de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), les ventes de traitements d'aide au sevrage tabagique ont présenté une hausse de 127 % entre février 2006 et février 2007 tandis que les ventes de cigarettes ont stagné, avec une légère baisse de 1,2 % par rapport à février 2006 [5]. De plus, le nombre moyen de nouveaux patients dans les consultations hospitalières de tabacologie est aussi en hausse, de 24 %.

Néanmoins, avant février 2007, parmi les ex-fumeurs quotidiens franciliens, 15 % seulement avaient eu recours à une aide pour arrêter de fumer (contre 19 % en province). Les deux aides les plus utilisées étaient le recours à un patch anti-tabac (9 %) ou à l'acupuncture ou l'hypnose (4 %). Cependant, 85 % de ces anciens fumeurs n'avaient utilisé aucune aide.

Il est très important de garder à l'esprit que le simple fait de s'intéresser à la consommation de tabac du patient peut déjà avoir un effet sur la réduction de sa consommation. Cette technique simple, qui consiste à demander systématiquement à chaque patient s'il est fumeur et s'il a l'intention d'arrêter de fumer, est très efficace : elle conduit à 2 à 5 % d'arrêts durables du tabagisme. Si tous les médecins mettaient en pratique cette technique, 200 000 fumeurs de plus arrêteraient de fumer chaque année en France [6].

Une enquête menée auprès des chirurgiens-dentistes sur le sevrage tabagique (GSK/UFSBD) montre que 13 % des dentistes estiment que leur rôle est de proposer un traitement d'arrêt à leurs patients fumeurs et que, pour 55 %, leur rôle est de motiver le patient à l'arrêt durant la période de soins dentaires. Il faut insister sur les effets bénéfiques très rapides de l'arrêt du tabac : 48 heures après la dernière cigarette, le goût et l'odorat s'améliorent, les terminaisons nerveuses gustatives commencent à repousser. Un an après la dernière cigarette, le risque d'infarctus du myocarde diminue de moitié et le risque d'accident vasculaire cérébral rejoint celui d'un non-fumeur. Dix à 15 ans après la dernière cigarette, l'espérance de vie redevient identique à celle des personnes n'ayant jamais fumé.

Toutefois, il est important de ne pas culpabiliser ou discriminer les fumeurs pour pouvoir les amener plus facilement à arrêter. Un rapport du Bureau international du travail (BIT), « L'égalité au travail : relever les défis », souligne que, dans les pays industrialisés, la discrimination frappe de nouvelles catégories comme les obèses ou les fumeurs. En décembre 2005, l'OMS à Genève a annoncé qu'elle ne recruterait plus de fumeurs. Le 1er janvier 2007, le Texas a voté l'interdiction de fumer chez soi ou en voiture si un enfant est présent. Diminuer la consommation de tabac est un « objectif légitime de santé publique » qui ne doit cependant pas consister en une discrimination ou une atteinte à la vie privée.

  • 1 Haut Comité de la santé publique.La santé en France 1994-1998. Paris : La Documentation française, 1998:167-77.
  • 2 Insee Ile-de-France 2007.Regards... sur la santé des Franciliens.
  • 3 Insee.Première n° 1110, décembre 2006.
  • 4  www.forums.gouv.fr.
  • 5  Dépêche de l'Agence de presse médicale du 21 mars 2007 (www.apmnews.com).
  • 6 Slama K, Carpentry S, Hirsch A.French general practitioners' attitudes and reported practices in relation to their participation and effectiveness in a minimal smoking cessation programme for patients. Addiction 1999;94:125-132.