La première consultation en parodontie - Cahiers de Prothèse n° 1 du 01/09/2014
 

Les cahiers de prothèse n° 1 du 01/09/2014

 

Bibliographie

J. Charon*   K. Denys**   F. Joachim***   N. Augusto****   O. Cottencin*****  

Les Cahiers de prothèse vous proposent en exclusivité les « bonnes feuilles » de la dernière parution en parodontie.

Découvrez le chapitre 4 de « Relation humaine et communication au cabinet dentaire » !

Ce Mémento est destiné à aider les chirurgiens-dentistes et leurs équipes à pratiquer la parodontie avec efficacité, plaisir et sérénité.

Ouvrage disponible sur

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Préambule

La quasi-totalité des sondages menés auprès des Français indiquent que nos concitoyens demandent en priorité plus d'informations de la part des professionnels de santé. Quoi de plus légitime mais, également, quoi de plus difficile ? Or, ce n'est qu'au cours de l'entretien que ces informations peuvent être délivrées avec efficacité (c'est-à-dire par un échange verbal entre deux protagonistes). Évidemment, des informations peuvent être également délivrées dans des brochures mises à la disposition des patients dans la salle d'attente ou sur un site Web mais cela ne remplace pas le dialogue qui a lieu au cours d'un entretien face à face.

Il est facile de comprendre que les informations délivrées par le praticien ne peuvent pas être écoutées, entendues et intégrées si le patient est assis devant l'aveuglant scialytique, avec les mains plus ou moins crispées sur les accoudoirs du fauteuil dentaire (fig. 1). Il est préférable que l'entretien ait lieu autour ou de chaque côté d'un bureau, où ce n'est pas l'habileté manuelle du clinicien qui est évaluée mais ses qualités humaines, telles que sa capacité d'écoute et celle à répondre, dans un langage compréhensible et sans hésitations, aux questions que le patient osera lui poser. Par ailleurs, il est indispensable que cet entretien ait lieu dans une certaine intimité pour que le « colloque singulier » puisse s'installer.

Si l'entretien de première consultation est important, c'est qu'il mène souvent au diagnostic et permet de réunir les conditions de l'alliance thérapeutique. En effet, une étude californienne a montré que les médecins formés à l'entretien médical parvenaient au bon diagnostic trois fois sur quatre alors que ceux qui se fiaient uniquement à l'examen clinique et aux examens complémentaires se trompaient une fois sur deux (ou avaient raison une fois sur deux). Par ailleurs, il est probable que davantage de patients soient perdus à cause de la mauvaise qualité de cet entretien plutôt qu'à la suite de gestes thérapeutiques inadéquats.

Le discours du praticien a besoin d'être adapté à la personnalité du patient, à ses disponibilités économiques, à son état de santé physique ou psychique du moment. Lorsque le praticien est en position d'écoute, le patient peut, par exemple, exposer librement son avis sur les étiologies. Celui-ci dépendra des informations antérieures – valides ou non – recueillies au cours d'autres consultations, fournies par d'autres malades, retenues après la lecture de la presse grand public, l'écoute d'émissions radiophoniques ou télévisées ou la consultation de sites Web. Quant au praticien, il répondra aux attentes des malades en fonction de ses connaissances et de leur intégration (d'où l'intérêt majeur d'une formation continue tout au long de sa carrière).

La nécessité d'un entretien avant de « passer à l'acte » pourrait être illustrée par la situation suivante. Après un détartrage « profond », certains patients disent : « Docteur, on ne m'a jamais détartré comme ça ! » (fig. 2). On serait tenté d'interpréter cette affirmation comme étant un aimable compliment sur la capacité du praticien à « bien » détartrer. En réalité, il semble qu'il existe une autre lecture de cette phrase. En effet, il n'est pas exclu que, devant les manœuvres plus ou moins brutales où les spicules de tartre sont éliminés avec une certaine vigueur, lorsque le patient a vu les compresses sanglantes être jetées au bac, a constaté que ses dents sont encore plus mobiles et plus sensibles, a senti le bruit des instruments sur ses dents, qu'il ne pose en réalité la question suivante : « Docteur, dites-moi que toute cette brutalité est pour mon bien ! » Il est donc nécessaire, avant de commencer la séance d'élimination du tartre, de fournir au patient les informations sur ce qu'elle va comporter. Alternativement, il est possible de lui expliquer qu'il existe une technique d'élimination du tartre (la lithotritie parodontale) qui vise à éliminer le tartre de la surface des dents sans douleur, sans « abîmer » la dent, en lui indiquant les bénéfices qu'il va en retirer. Dans ce cas, il y a de fortes chances pour que le patient ne se sente plus agressé durant l'élimination du tartre.

En conclusion, le principe général consiste à respecter la séquence suivante : « Je dis ce que je vais faire, je fais ce que j'ai dit et je dis ce que j'ai fait. »

Que se joue-t-il au cours de la première consultation ?

Grâce à la connaissance des styles de comportements sociaux, le praticien a un accès direct à la partie visible de l'être humain. Il est maintenant possible de porter un autre regard sur la relation traitant-traité en tentant de réfléchir sur les mécanismes inconscients (la partie cachée de l'iceberg) qui régissent la relation patient-praticien au cours de la première consultation.

Chacun sait que le premier contact patient-praticien est déterminant. S'il est réussi, chacun aura le juste sentiment de progrès. Une confiance réciproque sera alors génératrice de satisfactions pour les deux parties de la relation. Si, en revanche, la première consultation se solde par un échec, c'est la certitude qu'il n'y aura pas de seconde consultation, avec les inévitables conséquences sur l'humeur de tous les membres de l'équipe ainsi que sur celle du patient (sauf s'il y a eu un travail d'élaboration). Qui n'a pas connu ce sentiment désagréable lorsqu'un patient déclare à la fin d'une première consultation : « Je n'ai pas mon agenda avec moi, je vous rappelle… » Dans ce cas, le message pourrait très bien être le suivant : « Après notre entretien, je ne suis pas capable de prendre une décision. Je vais réfléchir et demander un second avis. »

Par ailleurs, la qualité de la première consultation peut avoir des effets à distance sur la vie familiale des deux membres de la relation, selon qu'elle est réussie ou ratée. Par exemple, parler de parodontite contagieuse peut avoir des effets désastreux sur la vie conjugale et la paix des ménages si l'on ne prend pas quelques précautions préliminaires. Ce risque est si grand qu'un conjoint pourrait dire : « Où as-tu attrapé ça ? » Ou qu'une mère dise à son enfant : « N'embrasse pas maman, tu risques d'être malade. » Il est ainsi conseillé de ne pas aborder d'emblée le sujet de la « contagion » et de rassurer le patient en lui expliquant que la présence d'un agent infectieux n'équivaut pas automatiquement à être malade (ce qui est scientifiquement valide). Au total, il faut éviter de prendre le risque de rendre les patients « microphobes ». Par ailleurs, l'exercice professionnel peut avoir une influence sur l'humeur du praticien. En effet, il peut rentrer à la maison de mauvaise humeur si une ou plusieurs consultations ont été frustrantes et/ou ratées.

Il paraît qu'une personne satisfaite le fera savoir à trois autres personnes mais qu'en revanche un client mécontent ira le crier avec véhémence et souvent avec déformation à onze personnes. Il est vrai que les patients ne sont pas – eux – soumis au Code de déontologie. Donc rien ni personne ne leur interdit de « dire du mal » d'un confrère. On s'aperçoit donc qu'un ct de perdu n'équivaut pas à dix de retrouvés. Finalement, qu'un client ait raison ou tort d'être insatisfait, il n'y a pas de différence en termes de résultat net : on a perdu au moins un patient.

C'est parce que la première consultation représente un événement initial primordial qu'il est important d'en analyser les éléments, les obstacles au contact et à la confiance, les dangers et les pièges cachés.

La perception intuitive de l'enjeu considérable intensément présent lors de la première rencontre clinique a amené les auteurs à travailler cette question et à prendre l'initiative de réunir, avec l'aide de deux animateurs, un groupe « Balint » (du nom du médecin spécialiste de la relation médecin-malade) de chirurgiens-dentistes qui partageaient le même intérêt. Ce qui va suivre peut donc être considéré comme une des conséquences spontanées et naturelles des douze mois de travail du groupe.

Lorsque l'on est habitué à coller au terrain et à rester pratique, en quelque sorte, peut-être ne prend-on pas assez la mesure de l'extraordinaire émotion qui préside à « l'instant du premier rendez-vous ». Il serait intéressant de revoir autrement, d'une autre place, sur une autre scène, les unes après les autres, les quatre étapes de la première rencontre clinique avec le consultant : entretien, examen clinique, examens complémentaires et délivrance des informations. En effet, chacun des moments de ce premier contact aura nécessairement des effets palpables sur l'avenir et le devenir à la fois du traitement, du traité et du traitant.

Lors de ce premier rendez-vous, un savoir, un savoir-faire et un faire-savoir vont se mettre en mouvement et s'échanger entre le malade et le praticien.

Pour ce qui est du passage de « notre » savoir, le patient attend, le plus souvent avec anxiété, de sa rencontre avec les professionnels – détenteurs d'expériences et de savoirs techniques – soins et soulagement.

Rappelons que le savoir ne circule pas seulement du praticien vers le patient. Un autre savoir, plus ou moins confus et plus ou moins conscient, venant cette fois du patient pour aller vers le praticien, va bientôt se mettre en marche et devenir évident.

La mise en mouvement de ces deux registres du savoir sera plus ou moins aisée. Elle déclenchera des effets favorables ou défavorables au traitement. Le plus souvent, ce dernier ne pourra avoir lieu que lorsque le praticien aura utilisé auparavant et avec pertinence son faire-savoir.

Notons, pour illustration, la fréquence de ce bref échange du triptyque praticien/patient/praticien :

Praticien : « – Que puis-je faire pour vous ?

Patient : – Je ne sais pas, c'est vous qui allez me le dire !

Praticien : – Hum, hum… »

Cette anecdote manifeste avec une relative clarté que le praticien est vécu d'emblée par le patient comme celui qui sait tout, qui peut tout, pour son plus grand bien. Le praticien est donc ici immédiatement mis en lieu et place du « Tout-Puissant ». Dans certains cas, les patients utilisent un vocabulaire de type religieux : « Vous êtes mon sauveur… », « On m'a dit que vous faisiez des miracles… », « Tout ce que vous dites est parole d'évangile… », « Je ferai aveuglément tout ce que vous me direz de faire… » Enfin, lorsque les suites du traitement ont été douloureuses, ils sanctifient le praticien avec un : « Je vous ai béni ! » Le clinicien doit rester conscient et relativiser ce type de relation en évitant de croire que Sainte Thérèse de la Parodontie lui est apparue.

On est donc d'entrée de jeu dans une relation duelle où l'un suppose chez l'autre un savoir et donc un pouvoir sur lui. Est-il besoin de dire que l'existence de cette tentative de mise en place et de cette distribution des « rôles » respectifs va perdurer tout au long du traitement, agissant tour à tour en frein ou moteur, en outil ou obstacle ? De cette première rencontre peuvent surgir des modifications progressives conduisant, plus ou moins insidieusement, vers une rencontre du type :

– médecin-malade ;

– parodontologue-parodontopathe ;

– soignant-soigné ;

– impatient-patient ;

– traitant-traité ;

– bien portant-infirme parodontal ;

– sachant-ignorant ;

– technicien-profane ;

– détenteur du pouvoir-démuni de pouvoir.

À partir de ces couples, plus ou moins antagonistes, nous verrons comment éviter de se laisser enfermer dans une situation pouvant favoriser le conflit en reprenant les différents temps de la première consultation avec l'éclairage de la relation traitant-traité.

Il est donc maintenant possible de mettre en application les principes généraux exposés jusqu'ici. Nous verrons ainsi comment une première consultation en parodontie peut être menée afin d'éviter les écueils décrits plus haut.

L'entretien

Les premières minutes de l'entretien sont déterminantes pour le reste de la rencontre. En effet, c'est dès le début de l'entretien que le patient émet d'emblée les raisons qui l'amène à consulter. Il ne manquera jamais de rappeler le motif de sa consultation si par mégarde le praticien avait tendance à l'oublier. La raison pour laquelle le patient consulte (voilà la vraie définition du mot motivation) sera en général exprimée clairement dans les premières minutes de l'entretien : « J'ai les dents qui bougent… », « J'ai mal quand je me brosse les dents… », « Mes dents paraissent plus grandes… », « J'ai l'impression que je vieillis… », « Il paraît que mes dents se déchaussent… », « J'ai peur de perdre mes dents… », « J'ai un jeune amant qui ne supportera pas que je porte un dentier… » Pour que le patient puisse confier ce qui l'inquiète ou le fait souffrir, toutes les conditions de calme et de détente doivent être réunies. Sauf en cas d'extrême urgence, aucune interruption ne doit être tolérée pendant ces dix à vingt premières minutes d'entretien (appels téléphoniques ou va-et-vient de l'assistante, par exemple).

La première phrase classique : « Asseyez-vous, où est-ce que ça fait mal ? », peut être remplacée par d'autres qui induisent de meilleures conditions de contact et permettent au patient de se « plaindre ». De même, peut-être faut-il éviter de commencer l'entretien par : « Qui vous a conseillé notre cabinet ? », ou : « Avez-vous rempli le questionnaire ? »

Il est donc conseillé de commencer l'entretien par les phrases suivantes :

– « Que puis-je faire pour vous ? »

– puis : « À votre avis, cette histoire a commencé quand ? »

– puis : « Que souhaitez-vous voir changer ? »

En première approximation, il pourrait apparaître que prendre un temps dévolu à écouter les doléances, les plaintes ou les attentes des patients soit un trop long moment, perdu ou sans intérêt puisqu'il faudra bien en venir, à un moment ou un autre, au « concret ». Pourtant, il s'agit au contraire d'un moment clé où, spontanément, émergent de la « bouche » du patient des informations, des hypothèses personnelles, des angoisses, la place de la maladie ou de l'organe dans sa vie ou celle de son entourage. Encore faut-il que le patient ne se sente pas paralysé par un dispositif inhibant. L'entretien tournerait court si l'on introduisait d'emblée sans permission un miroir et une sonde dans sa bouche ouverte.

Pour illustration, un épisode difficile lors d'une première consultation a permis une remise en question sur la teneur d'un entretien. Une patiente (infirmière) ne cessait de minimiser ses symptômes en répondant à chaque question posée de la façon suivante : « Oui, ça saigne mais ce n'est pas grave », « Oui, mes dents bougent mais ce n'est pas grave ». Injustement excédés et pour retrouver un hypothétique pouvoir médical, nous avons argumenté en disant que le saignement des gencives pouvait être le signe d'une banale gingivite ou d'une leucémie. La patiente s'est alors levée et a quitté le bureau. Elle est allée dire à la secrétaire : « Vous direz à votre patron que lorsque l'on parle de leucémie, on s'assure que l'on a pas perdu récemment un jeune fils de cette maladie. » Nous ne sommes pas encore remis de cet épisode pénible.

De même, l'exemple suivant permet d'illustrer l'importance de l'écoute au cours de l'entretien : lors d'une formation en parodontie, un chirurgien-dentiste sourd profond, et du même coup presque muet, demandait s'il pouvait se mettre au premier rang car il lisait sur les lèvres. Or, de tout l'auditoire, celui qui « écoutait » avec le plus d'attention était justement le plus sourd d'entre eux ! Ainsi, pour mieux écouter, il faudrait peut-être se mettre dans l'état d'esprit de ce confrère. À défaut d'être sourd, il est possible de se comporter comme les anthropologues, qui regardent, observent, écoutent, notent et ne jugent pas.

Dans le même ordre d'idées, se mettre dans la position d'ignorant peut également être une solution efficace pour mieux approcher l'autre. En effet, il peut paraître a priori surprenant de constater que plus le célèbre lieutenant Colombo se comporte comme celui qui ne sait pas, plus le suspect lui en dit et se coupe. De la même façon, dans le registre médical, moins le praticien donne à croire qu'il est « le médecin qui sait tout » et plus le patient explique son problème, donnant ainsi des informations pour mieux le soigner. Enfin, lorsque l'on ne parle pas bien une langue étrangère, on écoute l'interlocuteur avec plus d'attention. En d'autres termes, moins on parle et mieux on écoute.

Dans les premiers moments de l'entretien, on peut se demander si c'est vraiment l'avenir de son parodonte qui préoccupe le patient et le motive à venir consulter. Ne serait-ce pas plutôt et seulement l'existence de ces dents soutenues par ce simple accessoire – certes indispensable – qu'est le parodonte qui préoccupe le patient ? Dans ce cas, à l'insu du praticien, le centre d'intérêt a pu logiquement se déplacer de la dent vers le parodonte. Ce danger est plus grand encore pour le spécialiste. Ce dernier, attiré instinctivement et/ou par éducation par l'organe de sa spécialité, peut privilégier le parodontiste en lui au détriment du médecin-dentiste. Préoccupé seulement par le parodonte, on serait alors installé dans un quiproquo accompagné de son long cortège de pièges. On remarque en effet que les patients consultent rarement avec un livre de parodontie en main en disant : « Docteur, je voudrais un parodonte comme ça… » Ils expriment au contraire le plus souvent leur demande en disant : « Docteur, j'ai les dents qui se déchaussent… » Ainsi, la forme, la couleur, la texture des tissus parodontaux ne préoccupent que peu les patients s'ils bénéficient de dents fermement ancrées dans leur mâchoire. C'est le cas, par exemple, pour les gingivites stables. En résumé, le parodonte ne sert que la dent. Il n'est donc pas utile de trop s'appesantir sur celui-ci.

Il s'agira donc de transformer un interrogatoire en un entretien ayant sa dynamique propre et sa propre dynamique. En effet, il peut apparaître que, guidé par le légitime souci de n'oublier aucune des questions thérapeutiques, le clinicien ne soit en train de soumettre le patient à la Question ! C'est donc à la fin de la première consultation (et non au début dans la salle d'attente avant même d'avoir rencontré le praticien) que se situe le meilleur moment pour donner le questionnaire médical que la loi oblige à remettre au patient, qu'il renverra au praticien par La Poste ou par courriel. Ajoutons que ce dernier ne révèle pas toujours les informations pertinentes et qu'il ne remplace pas l'entretien.

Si l'interrogatoire se transforme progressivement en un entretien non directif, avec ses inévitables ponctuations de silences et de mimiques, alors le contexte émotionnel (ce qui souvent sous-tend et motive la démarche du patient) pourra s'exprimer et être entendu : « Tant pis si je dois perdre mes dents, au moins je n'aurai plus mal… », ou encore : « Je voulais simplement savoir si c'était un cancer… » À travers ces phrases à l'apparence médicale, deux êtres parlants chargés à leur insu de leur histoire se questionnent et questionnent le clinicien sur des thèmes tels que la mutilation, la vie, la mort, l'amour, la douleur.

Pour illustration, une patiente modeste nous consulte adressée par un confrère parce qu'elle refusait d'effectuer plus d'un brossage par jour. Après 15 minutes d'entretien, la patiente se sentant en confiance demande si l'on est « docteur ». Devant une réponse affirmative, elle demande alors si elle peut « dire des choses » (sic). Elle confie alors qu'elle mâche les aliments de son frère tétraplégique avant de les lui mettre dans la bouche et qu'elle a le devoir impérieux de le faire car son frère refuse de manger autrement. Elle ajoute qu'elle « fait ça » depuis quelques mois parce que sa mère est décédée et que c'était elle qui mâchait les aliments de son fils depuis plusieurs dizaines d'années. On ne s'étonne pas que la bouche de cette patiente ne soit pas vécue comme celle de tout à chacun. L'introduction d'un instrument dans sa bouche, et bien entendu une brosse à dents, qui rythme les repas, revêt pour cette patiente une signification particulière. On peut imaginer que le conseil de brosser ses dents après chaque repas ne résonne pas chez elle de la même façon que chez un patient « ordinaire ».

Ainsi, à la faveur de cette courte réflexion, il semble que la dent habillée de son parodonte n'apparaisse plus comme un organe silencieux. Le parodonte n'a alors de signification que par – et pour – l'être parlant et sexué qui l'entoure.

C'est à la fin de cet entretien qu'il est nécessaire de reformuler (e.g. feed-back) et valider les informations dentaires, parodontales et médicales recueillies puis ensuite de rassurer le patient en lui indiquant qu'il s'agit d'une infection bénigne et que le premier traitement de désinfection locale (avec ou sans antibiotiques) va stopper en quelques semaines l'évolution de la maladie avec un confort buccal retrouvé. C'est également à ce moment qu'il est indispensable d'indiquer clairement que l'observance assure le succès du traitement. On peut formuler cette notion en adoptant le discours suivant:

« Tout ça se dirige vers une banale infection de votre parodonte. Je ne veux pas vous faire de cours sinon vous vous endormiriez mais le parodonte, c'est ce qui soutient vos dents dans la mâchoire. Si ça [un crayon fait l'affaire] c'est votre dent, le parodonte c'est l'os qui entoure la racine et la gencive qui recouvre cet os ; entre la racine et l'os il y a un petit ligament qui fait amortisseur en quelque sorte, et enfin pour être tout à fait complet il y a le cément qui permet au ligament de s'accrocher sur la racine. L'ensemble de tout ça, l'os, le ligament, la gencive et le cément, s'appelle le parodonte. Lorsque que ça s'infecte, ça s'appelle une parodontite, et ça se traduit par les symptômes que vous avez évoqués au cours de l'entretien [citer les symptômes].

C'est très facile à arrêter et suppose trois contraintes :

– la première contrainte, c'est que je vais vous demander de faire des soins spéciaux dans la bouche sur lesquels je ne pourrai pas négocier. Il en va du succès de votre traitement et de l'avenir de vos dents à long terme ;

– la deuxième contrainte, c'est que votre histoire a commencé il y a X années et que je ne pourrais pas consolider votre parodonte en moins de X séances, à raison d'une séance par mois, étalées sur un an. Il faut donc que vous acceptiez de vous asseoir sur ce fauteuil une fois par mois pendant une heure, et vous n'avez pas que ça à faire dans la vie ;

– la troisième contrainte, c'est que ce traitement est peu pris en charge par les compagnies d'assurances.

Ce que je vous propose aujourd'hui c'est de faire un examen complet détaillé de votre bouche afin de déterminer la nature précise et l'étendue de cette infection. Je pourrais alors vous donner un diagnostic et donc un traitement efficace adapté qui va stopper l'évolution de votre déchaussement. Ensuite je pourrais éliminer le tartre qui se trouve sur vos racines et qui entretient cette infection et empêche votre parodonte de cicatriser. »

L'examen clinique

Au risque d'être trivial, on peut dire que, passant du bureau au fauteuil dentaire, le clinicien va donc passer d'une bouche s'ouvrant pour dire les mots vers une bouche maintenue ouverte, explorée avec force, à la recherche des maux.

Dès les premiers moments de l'examen clinique, l'inéluctable, l'inévitable est, pour le chirurgien-dentiste, d'être face à une bouche ouverte. On ne pourra rien voir, rien entreprendre, si la bouche est – et reste – fermée. En paraphrasant Alfred de Musset, on pourrait dire en somme qu'il faut qu'une bouche soit ouverte ou fermée. On ne peut évidemment que très difficilement juger de l'état parodontal d'un sujet consultant à travers une bouche fermement et résolument fermée. Pourtant, qui n'a pas vécu l'expérience de ce patient refusant l'accès à… ses dents, ses muqueuses, son intérieur… à son dedans ?

À ce stade de la première consultation, la fonction professionnelle oblige à aborder inéluctablement cette bouche offerte, ce qui peut quelquefois être vécu par les deux protagonistes comme un corps-à-corps conduisant inexorablement à ce contact peau-muqueuse dont on connaît, consciemment ou non, l'exceptionnelle nature. En parodontie, la bouche et les dents, vécues comme vieillies et dégoûtantes par la maladie, sont soudainement offertes au regard du praticien, ce qui est pour le moins inconfortable pour le malade.

Quand arrive le moment de l'examen clinique, la froide dimension de la technique médicale revient donc inévitablement avec insistance. C'est à ce moment que le patient place (ou replace) le praticien dans ses habits et son « costume » de poseur de diagnostic et de pronostic. Tout se passe comme si le patient attendait, prévoyait, redoutait une sentence déterminant l'avenir d'un lieu de son corps à l'investissement – conscient ou inconscient – déjà d'emblée très important.

Il serait sans doute naïf de penser qu'il suffit d'avoir vécu un entretien positif pour que l'examen clinique soit automatiquement accepté. En effet, même si la qualité de l'entretien facilite l'examen clinique, il n'y a pas de relation entre celle-ci, où le patient a pu dire librement la représentation de sa bouche, et la façon dont il va intégrer le passage à l'acte technique par le praticien.

L'examen clinique doit donc être le plus rapide et le plus indolore possible. À cet égard, la prise de photographies permet de recueillir la plupart des informations cliniques utiles (à l'exception des mobilités et de l'halitose) et ne prend que quelques minutes (fig. 3). En revanche, si l'espace dentogingival de tissus inflammatoires est sondé d'emblée, alors l'examen clinique sera douloureux et mal vécu par le praticien et le patient (fig. 4).

Une fois l'examen clinique terminé, il est conseillé de confirmer le diagnostic d'infection du parodonte en tenant le discours suivant : « Je confirme, il s'agit bien d'un déchaussement d'origine infectieuse. Je vous propose donc de faire trois choses tout de suite :

– je vais vous prescrire des soins locaux à faire deux fois par jour afin de maîtriser cette infection ;

– on va faire des radios de chacune de vos dents pour vérifier le niveau osseux ;

– je vais vous prescrire un médicament antimicrobien [optionnel]. »

Il semble donc que l'indispensable examen clinique ne puisse plus être considéré par le couple patient-praticien comme un simple agencement de chiffres ou un recueil d'indices de plaque, d'indices gingivaux et de profondeur de poches archivés sur la « grille de loto » que représente le très classique anglo-saxon « charting ».

L'examen clinique représente la toute première véritable intrusion physique du praticien dans l'espace buccal du patient avec son cortège de significations. C'est un moment où les échanges se font de manière non verbale et peut-être alors plus intense encore.

Les examens complémentaires

À ce stade, le patient, écouté et entendu en tant que sujet, devient brutalement et immédiatement une sorte d'objet d'investigations strictement scientifiques. Ces dernières seront d'autant mieux vécues et intégrées par le patient que celui-ci aura eu, dans un premier temps, la perception que ses questions et ses souffrances ont été prises en considération. Autrement dit, le patient pourra d'autant supporter l'inévitable position d'objet vis-à-vis de ces examens techniques complémentaires qu'il aura été respecté, auparavant, en tant que sujet.

On se limitera ici seulement et volontairement aux examens radiologiques et bactériologiques pratiqués lors de la première consultation en parodontie.

La radiographie

Le souci légitime de vouloir étayer une démarche diagnostique, pronostique et thérapeutique sur des preuves objectives obéit à des déterminismes multiples. Tout concourt en quelque sorte à forcer la main du clinicien. Ce dernier a besoin de radiographier les dents et leur parodonte pour apprécier la distribution et la sévérité des pertes d'attache. Cependant, il utilise aussi l'imagerie médicale pour communiquer et fournir des informations au patient ainsi qu'aux organismes officiels, qui les réclament quelquefois avec force comme la seule preuve tangible et infalsifiable de l'existence de la maladie.

Les radiographies sont pour le patient et pour le praticien une photographie spéciale de zones de son corps. Cette image en noir et blanc est souvent révélée au patient sans qu'il y soit réellement préparé. Ce reflet d'une partie de son corps modifie du même coup la représentation de son image, mettant alors en avant le concept de l'articulation « dehors/dedans ». C'est la raison pour laquelle il est imprudent de prendre les radios d'emblée, avant l'entretien, dès l'entrée du patient au cabinet dentaire.

Les réflexes nauséeux au cours de la prise des radiographies n'auraient-ils pas valeur de signes ? Ne serait-ce pas l'expression d'un refus, plus ou moins conscient, de laisser le clinicien pénétrer sa bouche ? S'agit-il alors de simples nausées réduites au seul substrat anatomique ou plutôt l'expression, plus ou moins violente, d'une réaction à l'intrusion mal vécue ou impossible à vivre par le sujet ou pourquoi pas par le praticien ? Serait-ce parce que le patient n'y voit pas d'intérêt ? Se peut-il que l'on ait oublié de demander la « permission » en ne prenant pas au préalable la précaution d'expliquer la nécessité médicale de prendre des radios ou en les prenant avant d'écouter le patient ? Chez certains patients, on peut envisager qu'il puisse exister une véritable et puissante répulsion à la présence d'un quelconque instrument à l'intérieur de la bouche.

Dans le même registre de réflexions, lorsqu'un patient vomit devant le praticien, il est important de ne pas oublier qu'il s'agit pour lui d'une situation humiliante où dominent les sentiments de honte, de culpabilité et de régression. On peut imaginer que cette régurgitation « renvoie » le sujet à celle d'un nouveau-né. Si le praticien l'oublie, il pourrait alors aggraver la situation par des attitudes ou des mots blessants.

Enfin, comme les radiographies, les photographies cliniques sont indispensables à l'exercice de la parodontie. En effet, le clinicien n'a pas assez de mémoire visuelle pour se souvenir d'une séance à l'autre de la couleur, de la forme et de la texture des tissus parodontaux. Par ailleurs, elles ont une utilité en cas de conflit avec le patient et/ou l'administration. Cependant, montrer les photographies au patient sans précaution peut s'avérer contre-productif car ce dernier voit tout à coup son corps laid et dégradé. Quand le malade voit la photo clinique de son parodonte et de ses dents isolés du reste de son corps, il demande très souvent surpris et un peu honteux : « C'est ma bouche, ça ?! » (fig. 5). Il faudra donc attendre que le patient demande à les voir avant de les montrer et de toute façon avec une très grande précaution.

La bactériologie

La perception émotionnelle du tableau clinique pourrait être renforcée par des images agressives telles que celles de bactéries « grouillantes » sur l'écran vidéo d'un microscope à contraste de phase. Le patient pourrait alors être pris dans un imaginaire où la mobilité bactérienne serait perçue comme l'équivalent de pourriture, de fermentation, de saleté et même de mort. Comment cela ne déclencherait-il pas chez certains patients des sentiments d'horreur, de peur, d'angoisse, de phobie ou d'effroi ? Pour éviter ces réactions, l'utilisation de sondes nucléiques peut alors être une alternative utile.

Il faudra donc être prudent si l'on souhaite que le patient voie la plaque dentaire sur un écran. Or, le chirurgien-dentiste, entraîné par sa formation ancrée dans l'idéologie médicale, peut maintenir à son insu cette perception effrayante, dégoûtante et repoussante, de pourriture (tels sont quelquefois les propres mots des patients). Ces images ont nécessairement des résonances émotionnelles. Le malade (le plus souvent sans qu'il en soit conscient) pourra être entraîné, par la peur, à maintenir un fonctionnement où – de façon régressive – existent la crainte de la punition, du châtiment, de la réprimande ou de l'attribution d'une récompense, ce qui revient au même (c'est dans ce dernier cas que l'on parle de l'effet d'allégeance). Malgré des efforts incessants pour les faire disparaître, les patients continuent à rester, de manière plus ou moins évidente, prisonniers de ces émotions négatives.

La peur et la culpabilité sont les ressorts quasi habituels de nombre de relations humaines, y compris dans la relation médecin-malade. Celle-ci est volontiers sous-tendue par les notions de sale/propre, accompagnées de leur impact évidemment moralisateur. Pourtant, les données modernes de l'épidémiologie indiquent clairement que les maladies parodontales ne sont plus considérées comme celles des gens sales. Toutes les situations sont possibles. On peut en effet être sain et sale, sain et propre, propre et malade, sale et malade (fig. 6).

À travers la vision des bactéries au microscope (mais il en va de même pour les radiographies), la démarche médicale amène et invite le patient non seulement à devenir lui-même « voyeur » de son propre corps (il regarde ses bactéries, ses radios) mais aussi « exhibitionniste » : il montre ses bactéries, ses radios au soignant. Une telle attitude est inévitablement riche de résonances émotionnelles, plus ou moins faciles à assumer selon les patients et les praticiens, accompagnées des angoisses qu'elles peuvent potentiellement induire.

Au total, s'agissant de l'examen de la flore sous-gingivale au microscope à contraste de phase, si le patient accepte de voir sa flore, on peut adopter le discours suivant : « C'est bien sûr normal d'avoir des microbes dans la bouche. Vous voyez, les grands bâtons noirs, ce sont les bons microbes. Vous voyez les petites choses qui bougent ? C'est ce qui est responsable de votre déchaussement. On va s'en débarrasser pour que vous alliez mieux. »

Le paradoxe est donc, pour cerner avec plus de finesse et d'acuité la réalité du corps du patient, que le chirurgien-dentiste s'appuie sur des images de cette fameuse réalité. Autrement dit, les images médicales ne sont que des reflets et non la réalité du patient. D'ailleurs, les radiographies ne permettent pas de différencier le vivant du mort ou le guéri du détruit (fig. 7).

Qui n'a pas rencontré ce patient, tout à la fois courtois et désinvolte, demandant, quelquefois même par retour du courrier, que lui soient rendues ses radiographies. Ne souhaiterait-il pas dans ce cas récupérer les images de son corps imaginairement confiées et laissées en dépôt chez le praticien ? Le soignant peut d'ailleurs vivre le renvoi de ces (ses ?) documents comme une désagréable dépossession de son pouvoir et donc comme une mise en question de sa puissance thérapeutique. À ce stade de dissociation de la relation traitant-traité, le patient ne supporte plus qu'une image de son intérieur soit encore « stockée » dans les tiroirs du chirurgien-dentiste et qu'elle puisse être examinée en son absence et sans son autorisation.

Les documents résultant des examens complémentaires indispensables du point de vue technique, médical, social, économique et quelquefois légal sont, grâce au développement de l'optique, de l'informatique et de l'audiovisuel, la mise en acte d'un fantasme universel : le voyage à l'intérieur du corps. Telle pourrait être alors une des explications des difficultés pour certains patients à vivre des examens comme la fibroscopie, l'endoscopie, le scanner ou l'échographie. Enfin, il semble que peur et culpabilité aient des effets en miroir. Elles peuvent déclencher des inhibitions anxieuses s'exprimant par une défense à soigner du côté praticien et/ou une défense d'être soigné du côté patient.

Observons pour conclure combien la dialectique du « voir », du « montrer », présentée ci-dessus, appelle nécessairement son symétrique inverse : le « cacher ». Ainsi l'accumulation d'iconographies médicales peut dépasser la simple utilité technique et devenir un cache défensif pour les protagonistes, qui se réfugient alors derrière ces images, cherchant peut-être à éviter et à esquiver la vraie rencontre.

La délivrance des informations et du traitement

Comment gérer l'ensemble des informations recueillies au cours des trois étapes précédentes ? Comment exploiter, au bénéfice du patient, ce qui a été perçu et ressenti ? Comment tirer parti de ce qui a été entendu, observé et visualisé grâce à la technologie moderne ?

À ce point de la démarche, une question apparemment simple, mais en réalité complexe, est posée au praticien par la masse des informations recueillies : qu'en faire ? Il s'agira bien sûr d'établir un diagnostic pour en déduire un traitement.

Ce diagnostic pourrait tout simplement être posé, émis et confié de manière désinvolte, plus ou moins brutalement, au patient sans autre forme de procès. Autrement dit, on pourrait en rester là et ordonner les prescriptions en exigeant ce que l'on appelle, à la suite d'un long apprentissage, une meilleure hygiène buccodentaire.

Trois questions peuvent être posées au praticien à propos de la délivrance du diagnostic : à quel moment, à quel endroit, et comment faut-il annoncer la mauvaise nouvelle ? Ainsi, avant d'annoncer un diagnostic et un pronostic, il faut s'assurer que l'état émotionnel du patient le permet. Par ailleurs, il faut éviter de délivrer le diagnostic dans un endroit de passage et/ou bruyant mais choisir un lieu où l'échange est possible dans le calme et l'intimité.

Se cantonner à une place de poseur de diagnostic et de simple prescripteur après tout le travail accompli à l'écoute du patient disqualifierait l'ensemble de la démarche. Cependant, l'écoute du patient et l'évaluation des obstacles à la rencontre soignant-soigné ne doivent pas être confondues avec une manipulation psychologique plus ou moins trouble. Cela entraînerait des effets négatifs si des espoirs et des attentes étaient suscités vainement. Il est très important d'insister sur le fait que communiquer « utile » en médecine n'équivaut pas à vendre « un frigidaire à un esquimau » ou « une raquette de tennis à un manchot ».

Au moment où le praticien va devoir informer et traiter, la position d'écoute va se poursuivre. Il va s'agir de parler au patient et, en même temps, d'être à l'écoute. Il sera nécessaire d'être vigilant sur les remarques, les questions, les attitudes physiques que le patient voudra bien confier au praticien.

Le parodontiste, devenu parodontologue (de logos : « discours sur »…), est nécessairement messager de mauvaises nouvelles quand il décrit un tableau clinique où nécrose, infection, pus, ulcération fétide, hémorragie, bactéries sont pour lui d'une grande banalité. Cependant, rappelons que ce qui est banal pour le praticien ne l'est pas obligatoirement pour le malade. Un patient, face au microscope, disait à son épouse présente à la première consultation : « Ne regarde pas ça, sinon tu ne voudras plus m'embrasser. »

Notons pour terminer que, choqués par le diagnostic (quelquefois aussi par le pronostic), certains patients reprochent aux professionnels de santé de vivre sur le « malheur des gens ». Pourquoi ne pas leur dire que les soignants tirent leur satisfaction de la disparition des symptômes et non pas de leur apparition ? Ajoutons que les professionnels de santé sont plus souvent « victimes » de leur devoir que de leurs droits, forts de la maxime d'Ambroise Paré : « Soigner toujours, soulager souvent, guérir parfois ».

La prescription des soins locaux

Rappelons que l'expression du concept : « Vos dents se déchaussent parce que vous avez été négligent et que votre hygiène dentaire n'est pas bonne », risque fort d'installer un rapport culpabilisant de type parent/enfant entre le chirurgien-dentiste et le malade. À part pour certains très rares patients qui souhaitent ce type de rapport, la plupart des patients adultes se sentent mal à l'aise devant un praticien qui leur reproche – en quelque sorte – d'être malade. Dans ce cas, le discours utilise des mots potentiellement blessants qui n'ont pas de place dans le langage médical au cours du colloque singulier que représente le rapport médecin-malade.

Il est temps de cesser d'expliquer aux patients que la plaque dentaire est « un ennemi invisible qu'il faut éliminer totalement ». Cette affirmation est scientifiquement erronée et humainement maladroite. En effet, quoi de plus anxiogène que d'avoir un ennemi, de surcroît invisible ? Or, il est admis aujourd'hui que le biofilm bactérien qui se dépose sur les dents et les muqueuses est un élément physiologique qui comporte une flore, non seulement compatible, mais surtout nécessaire à la santé parodontale. Il faut donc informer le patient qu'il est nécessaire de contrôler la plaque dentaire et non pas l'éliminer (ce qui est de toute façon impossible). La survenue de dermatoses chez des patients qui se lavent trop souvent en apporte la preuve. Il est donc conseiller de supprimer du vocabulaire les mots humiliants. Le but est d'établir une relation médicale plus empathique. On définira donc les prescriptions de contrôle de plaque comme étant des « soins locaux » ou un « traitement local de désinfection » destinés à faire disparaître les symptômes. Cela implique que les prescriptions soient d'ordre thérapeutique et beaucoup moins de l'ordre de l'éducation à l'hygiène bucco-dentaire.

Pour illustrer ce propos, il suffit d'analyser la situation particulière du praticien dont le père ou la mère demanderait la prise en charge de son problème parodontal. À un moment ou à un autre, il faudra bien aborder la question des soins locaux de contrôle de plaque. Autrement dit, le fils (ou la fille) dentiste aura à indiquer et à montrer au père (ou à la mère) une façon particulière de « se brosser les dents ». Si le patient-parent perçoit que son enfant (devenu adulte) va lui apprendre à être propre, il se peut que ce dernier lui dise, un brin énervé(e) : « Sais-tu à qui tu parles ! » La méprise et le désaccord peuvent venir du fait que d'une part le concept « propreté = santé » / « saleté = maladie » n'est plus valide et d'autre part que le patient et le praticien ne sont pas à leur juste place. Dans ce cas, les prescriptions risquent de ne pas être observées et les rendez-vous de ne pas être respectés. La même situation peut se présenter s'il s'agit de prendre en charge un ami intime. Il semblerait donc que l'on ne puisse pas soigner un proche car justement on est trop proche. La distance qui sépare le praticien du patient est, dans ce cas particulier, trop courte.

Au total, pour la démonstration des soins locaux, on peut proposer le discours suivant :

« Je vais vous parler brossage mais je ne vais pas vous parler “ toilette ”, je vais vous parler “ traitement ”. Je ne suis pas en position d'un père ou d'une mère qui dirait : “ As-tu brossé tes dents avant d'aller te coucher ? ” Je dis ça parce que je serai très vigilant sur la qualité de ces soins. Je préfère que vous disiez : “ Il m'a cassé les pieds, mais il a résolu mon problème ” que “ C'est un gentil garçon mais j'ai perdu mes dents ”.

Dans la mesure du possible, j'aimerais bien que vous déposiez deux gouttes de ce produit sur vos dents de devant. Ce produit s'appelle un révélateur de plaque. Ça va colorer en rouge les endroits où se trouve l'infection, ce qui va guider le brossage. »

À ce stade, le praticien a la possibilité de dire au patient : « Au moins chez vous, ça a le mérite d'être clair, vous avez vu, c'est entre les dents que ça se passe ! »

Après la démonstration, il est possible de dire au patient qui se rince la bouche avec l'antiseptique : « Si j'ai bien travaillé, vous devez sentir le liquide passer entre vos dents là où j'ai passé les brossettes. Le deuxième repère pour savoir si c'est correctement désinfecté, c'est l'immédiate sensation de fraîcheur que vous devez ressentir dans la bouche. Enfin, le troisième repère, c'est que là où j'ai désinfecté, il n'y a plus de rouge, mais là où je n'ai pas désinfecté, le rouge est toujours là, et pourtant vous vous êtes rincé la bouche deux fois. »

La démonstration des soins locaux doit nécessairement s'accompagner de conseils écrits personnalisés car très souvent le patient, prisonnier de ses émotions, ne peut pas mémoriser la totalité des informations fournies par le praticien. De plus, les risques associés au langage parlé sont considérablement diminués quand on y ajoute la communication écrite. L'informatique, les traitements de texte, les imprimantes permettent de procurer aux patients des documents écrits qui renforcent et améliorent la communication (le temps des ordonnances illisibles est révolu). Ces documents doivent être personnalisés afin d'éviter qu'ils soient perçus comme un traitement identique pour tous les patients.

Les feuilles de soins, les ordonnances, les techniques de soins locaux, les lettres d'information, les comptes rendus du bilan parodontal, les ententes directes, les bilans biologiques sont les véhicules de l'image du chirurgien-dentiste auprès des patients, des organismes de protection sociale, des pharmaciens, des amis, des parents et des relations des patients. Il est utile par exemple de noter sur les ordonnances le code CIP ou APL des instruments et des produits prescrits pour les soins locaux. Le travail du pharmacien sera ainsi facilité, les prescriptions seront mieux respectées et l'image du professionnel sera plus conforme. Il est important que ces documents ne présentent pas de fautes de syntaxe, de frappe, d'orthographe pour éviter que l'image de marque soit altérée auprès de certains patients attachés à ces aspects.

Ce qui précède concerne une première consultation en parodontie. Cependant, au cours du traitement actif, il est évident que chacune des séances de soins qui vont suivre devront bénéficier des mêmes dispositions. Il est donc conseillé de les commencer en s'informant d'abord du bien-être du patient au sein de sa famille, au travail, et des changements éventuels de santé générale, pour enfin s'informer de l'état de confort buccal et parodontal. Après s'être assuré que « tout va bien », il est essentiel de faire une rapide mise au point du stade du traitement auquel on se situe et surtout expliquer brièvement la nature et le but de l'acte qui va être délivré. À la fin de chaque séance de soins, il est également important de valider que tout s'est déroulé comme prévu ainsi que les éventuelles suites opératoires.

En résumé, chaque séance se déroule selon le protocole suivant :

– entretien ;

– soin ;

– entretien.

Cette façon de procéder permet d'éviter les angoisses ou questions qui pourraient encombrer le patient.

À la fin du traitement actif, il est nécessaire de résumer ce qui a été délivré comme soins parodontaux, les bénéfices acquis et insister sur le fait que la maintenance est essentielle pour éviter les récidives. Cette dernière doit être ressentie par le patient comme adaptée à son propre cas et non pas la même pour tous les patients. Des documents écrits concernant ces informations sont enfin remis au patient.

S'agissant de la maintenance parodontale (éviter le mot « contrôle »), il existe deux types de patients : ceux qui viennent chercher une solution, qui la trouvent et qui s'en vont, et ceux qui viennent chercher une solution, qui la trouvent et qui demandent un étayage constant (le besoin de s'appuyer sur le praticien) car cela fait partie de leur solution.

La gestion de l'urgence

Il n'est pas question dans ce paragraphe de traiter des aspects techniques du traitement de l'urgence. On n'abordera ici que la gestion des comportements possibles du patient et du praticien dans une situation d'urgence.

La notion d'urgence en parodontie est différente de celle vécue en dentisterie générale. En effet, si la douleur physique représente la motivation la plus fréquente de consultation chez l'omnipraticien, ce n'est que rarement le cas pour les patients consultant pour des raisons parodontales car la douleur ne domine que rarement le devant de la scène en parodontie. Néanmoins, qu'il s'agisse de parodontie ou de dentisterie, le sentiment d'urgence de la part du patient reste le même. Claude Olievenstsein écrivait : « Lorsqu'il a mal aux dents, le prix Nobel est l'égal de la bête qui gémit. » En d'autres termes, quand un patient souffre physiquement et/ou psychologiquement, il a mis son cerveau sur « off », de telle sorte qu'il est imperméable aux explications logiques et au raisonnement.

Peut-être ne doit-on pas oublier que le malade qui souffre se replie sur lui-même et reste (et restera) sourd aux injonctions à modifier son comportement si le praticien lui donne comme repère un élément extérieur à sa souffrance. En effet, il semblerait qu'un malade qui souffre mobilise toute son énergie pour lui-même, se mettant du même coup dans la situation de celui qui ne peut pas entendre lorsque l'on fait appel à son sens moral, à sa citoyenneté, à sa propreté, sauf si tout cela a un rapport direct avec le soulagement rapide de sa souffrance ou de son angoisse.

Parce qu'il faut bien admettre que le chirurgien-dentiste n'est que très rarement « sur le pas de la porte à attendre le client avec un sourire avenant », il ne voit pas arriver d'un bon œil un patient demandant des soins en urgence car ce dernier vient perturber un programme souvent déjà complet.

Que peut-on faire d'autre en dehors de refuser catégoriquement de recevoir ladite urgence ? Que peut-on penser du : « Ils attendent toujours le dernier moment pour se faire soigner », dénué de mansuétude vis-à-vis du patient qui souffre ? Doit-on oublier qu'une banale douleur dentaire interrompt la vie, le sommeil, l'amour, l'affection, l'éducation des enfants, le travail, la pensée, la relation à l'autre, les loisirs, la gastronomie, etc., ainsi qu'en attestent les mots de W. Bush à propos de la rage de dent : « Son âme se resserre au trou étroit de la molaire. »

Au total, face à l'urgence, on peut proposer les attitudes suivantes :

– assurer le patient que l'on n'est pas indifférent à sa demande (c'est-à-dire valider la souffrance) ;

– dire que l'on préfère recevoir le patient dans de bonnes conditions après les consultations plutôt que de le recevoir maintenant mais rapidement entre deux portes ;

– prendre les dispositions physiques et psychiques pour recevoir le patient en fin de programme dans les meilleures conditions possibles (matériel, personnel, etc.) ;

– éviter l'arrogance du praticien débordé.

En parodontie, recevoir un patient entre deux rendez-vous conduit en général à un entretien trop rapide et à un examen clinique incomplet, réalisé dans la précipitation sous la pression de la montre. Cela peut potentiellement se terminer par des prescriptions sauvages, pas toujours adaptées ni justifiées (surtout pour les antibiotiques). De plus, le patient qui était en cours de soins peut avoir la sensation qu'il est bâclé alors que le patient suivant sera pris avec du retard. De même, dans ce contexte, l'assistante peut également se sentir mal à l'aise. Bien sûr, il existe des situations qui nécessitent d'interrompre le programme en cours (hémorragie, urgence de réanimation).

Selon Freud, « (…) est universellement connu, et il nous semble aller de soi, que celui affligé de douleur organique et de malaises abandonne son intérêt pour les choses du monde extérieur, pour autant qu'elles n'ont pas de rapport avec sa souffrance… ».

Afin d'illustrer les dangers de l'urgence, nous pouvons rapporter le cas d'un jeune employé d'une entreprise amie voisine du cabinet dentaire qui a été reçu en urgence pour des douleurs aiguës rebelles aux antalgiques. Une première consultation a donc été réalisée telle que décrite ci-dessus (entretien, examen clinique, examens complémentaires, diagnostic, informations). Les douleurs aiguës étaient d'origine dentaire (pulpite inflammatoire), en rapport avec une carie. Ce n'était donc pas de la compétence du parodontiste. Le patient a été informé que son praticien traitant allait être contacté pour qu'il le soulage. Cependant, au cours de cette consultation en urgence, une parodontite agressive généralisée a également été détectée (fortuitement) chez ce jeune patient pour laquelle il n'avait pas eu de diagnostic au préalable chez son chirurgien-dentiste traitant. Hélas, l'annonce de cette maladie a été maladroitement donnée à ce jeune adulte qui s'est soudain mis à pleurer. Il n'éprouvait pas de peine pour sa dent cariée mais était angoissé à l'idée de souffrir d'une parodontite et de perdre ses dents. L'erreur relationnelle est à mettre sur le compte d'un patient reçu en urgence à l'heure du déjeuner dans des conditions telles que, malgré une motivation certaine, la vigilance et l'empathie, les conditions n'étaient pas maximales, ce qui a provoqué cette réaction affective douloureuse.

Conclusion

La prise en compte de l'individu ne doit pas pour autant faire tomber le clinicien dans l'écueil d'un psychologisme facile où le patient serait une illustration incarnée d'interprétations fausses à force d'être simplistes. Dit plus simplement, attention à la psychologie ou, pis, à la psychanalyse de comptoir.

La réalité indique clairement que l'exercice de la parodontie n'est pas toujours un long fleuve tranquille. Qui n'a pas connu un sentiment de frustration devant ces rendez-vous manqués, ces soins locaux inefficaces ou inexistants, ces extractions différées et ces impayés ? Ces difficultés sont possibles à vivre et à assumer avec plus de quiétude quand elles sont soumises et confrontées à un travail de réflexion, certes tout à fait nécessaire, mais non suffisant s'il n'est pas mis en pratique. L'exercice de la parodontie implique que les praticiens côtoient la maladie, la souffrance, la vision d'une bouche dégradée par une infection parodontale. Vouloir ou ne pas pouvoir le supporter est dangereux car c'est le quotidien du clinicien.

Tous les événements, les phénomènes, les obstacles surgissant dans la relation soignant-soigné sont parties intégrantes de l'ensemble du traitement. Celui-ci est efficace si le chirurgien-dentiste est en mesure de prendre en considération tout ce qui se passe, se dit et/ou ne se dit pas, dans l'espace de cette relation.

Cette disposition d'esprit a toutes les chances de permettre de comprendre que les patients puissent, tout à la fois et tour à tour, « aimer » et « haïr » le chirurgien-dentiste. C'est ce qu'ils expriment quand ils disent : « Docteur, ce n'est pas que je ne vous aime pas, mais moins je vous vois, mieux je me porte… » Cette phrase à l'aspect apparemment anodin est en réalité d'une certaine violence. En effet, elle ne pourrait pas être dite à un ami, un parent ou un proche. Elle serait alors vécue comme un rejet, voire une insulte. Évidemment, le praticien n'est pas, en tant que tel, le destinataire de ces affects intenses. Cependant, ce déplacement d'investissements affectifs sur sa personne amène inconsciemment le patient à prendre le praticien non pour ce qu'il est mais pour ce qu'il représente.

La plupart des patients viennent consulter parce qu'ils y sont obligés. On ne peut donc pas s'attendre à voir un sourire radieux sur leur visage quand ils franchissent la porte du cabinet dentaire. Pour les patients, la rencontre avec le chirurgien-dentiste est potentiellement synonyme de douleurs, contraintes, dépenses financières et pertes de temps. Pour le vivre avec le plus de quiétude possible, les praticiens doivent se souvenir quels sont les sentiments qui habitent le patient. Il va falloir les admettre et en tenir compte. Au total, les « dentistes ne sont pas populaires ». En conséquence, les revendications catégorielles de la profession ne sont pas faciles à présenter au peuple français malgré les efforts développés par les organisations professionnelles.

Il est donc possible que l'exercice de la dentisterie, et de la parodontie en particulier, soit quelquefois difficile à vivre par certains praticiens. Il est possible que ce soit dû à ce que l'on oublie que les patients ne peuvent pas « aimer » d'emblée le chirurgien-dentiste. Il peut y avoir alors une distorsion entre les sentiments du praticien et ceux du patient.

Enfin, une consultation qui verrait partir le patient avec un diagnostic et un devis sans traitement parodontal initial capable de stopper l'évolution de la maladie ne serait pas éthique. Dans ce cas, le patient repartirait aussi malade qu'il est entré, ce qu'il pourrait mal vivre. Certes, une première consultation en parodontie nécessite un investissement en temps (environ une heure) et une dépense d'énergie psychique mais elle est génératrice de confiance réciproque, de réassurance pour le patient, qui sera donc observant, ce qui au total permet un gain de temps très important dans la suite du traitement.

Le plus important n'est-il pas de découvrir une autre vision du malade et de la maladie, une façon différente d'exister en tant que soignant et une autre manière de gérer l'exercice professionnel en considérant que… c'est toujours le parodonte de quelqu'un ? Notons au passage que le mot « malade » n'apparaît quasiment jamais dans le vocabulaire du parodontiste, alors que l'on parle très souvent de « maladie » parodontale. Serait-ce dû au fait que le concept de maladie ne soit toujours pas accepté ?

Enfin, le chirurgien-dentiste, comme le médecin, touche à l'intime. Il y a probablement plus de personnes qui nous ont vus nus que de personnes qui ont vu l'intérieur de notre bouche. Cela est bien sûr potentiellement chargé d'émotions.

Lecture conseillées

  • Balint M. Le médecin, son malade et la maladie (trad. : J.-P. Valarega). Paris: Payot; 1966.
  • Cohen F. Addictologie. Les conséquences bucco-dentaires des addictions. Inform Dent 2014;12:60-6.
  • Olievenstein C. Écrit sur la bouche. Paris: Odile Jacob; 1995.
  • Salomé J. Relation d'aide et formation à l'entretien. Lille: Presses universitaires de Lille; 1993.
  • Watzlawick P. Le langage du changement. Éléments de communication thérapeutique (1978). Paris: Éditions du Seuil; 1980.