La radiographie numérique : peut-on tourner la page de l'argentique ? - Clinic n° 05 du 01/05/2009
 

Clinic n° 05 du 01/05/2009

 

RÉPONSE D'EXPERT

Éric BONNET  

> Notre expertDocteur en chirurgie dentaireDocteur de l'université Claude-BernardChargé d'enseignement à la faculté d'odontologie de Lyon

La photographie numérique a définitivement confié à l'histoire la photographie argentique. En matière de radiologie numérique, nous nous posons encore des questions légitimes, notamment quant à la qualité des clichés radiographiques, lorsqu'un diagnostic difficile est en jeu. Que valent les nouveaux appareils ? Peut-on tourner la page de la radiographie argentique ?

Comment fonctionnent les systèmes numériques d'acquisition d'images ?

La radiologie fait partie des examens complémentaires en odontologie. Si l'imagerie numérique est longtemps restée à un niveau inférieur à la radiologie argentique, elle peut se targuer maintenant d'en être son équivalent en termes de qualité d'image. La radiologie numérique intrabuccale est aujourd'hui devenue un outil indispensable dans un cabinet dentaire. Si l'imagerie numérique ne sait constituer à elle seule le diagnostic assisté par ordinateur (ou DAO !), elle le facilite grâce à la qualité de l'image et aux traitements numériques offerts par certains systèmes.

Deux types d'imageries sont à notre disposition : l'imagerie numérique directe qui, comme son nom l'indique, donne « directement » une image à l'écran après avoir irradié la zone à observer. Elle se caractérise par un capteur relié à un câble, de taille identique à celui d'un film argentique de type « pédodontique ». À ses côtés, on trouve l'imagerie numérique indirecte : on a alors un capteur similaire en taille et en forme à celui d'un film argentique. Une fois ce support exposé aux rayons X, il faut le traiter dans une machine qui transmettra ensuite l'information au niveau d'un écran informatique.

Qu'apporte la radiologie numérique ? Quels sont ses avantages et ses inconvénients ?

Elle rend d'énormes services : rapidité d'acquisition et de visualisation, diminution importante du rayonnement X, stockage des images sur support informatique, amélioration du diagnostic par le biais des traitements d'image. Il existe aussi certains inconvénients : taille du capteur, qui limite la zone d'observation à une dent (en imagerie numérique directe), rigidité des capteurs qui rend parfois difficile la mise en place en bouche. Il semble important de préciser qu'il existe enfin un capteur destiné aux enfants : tout d'abord par sa taille qui prend en compte l'anatomie de ces petites bouches et surtout qui respecte la radiosensibilité, trois fois plus importante chez un enfant de moins de 10 ans que chez un adulte. En effet, le temps d'exposition pour radiographier une dent temporaire n'excédera pas 0,04 seconde ! Là où, pour une dent permanente chez l'adulte, il faudra très souvent utiliser un temps d'irradiation de 0,10 seconde (fig.1 à 5).

Magique, le numérique ?

Non, ou plutôt, oui et non ! Cette imagerie numérique n'a rien de magique... sauf qu'elle est, dans sa partie d'acquisition, numérique (immatérielle ! magique ?). Il ne faut donc pas oublier que tous les principes de cette nouvelle imagerie reposent sur les bons vieux principes de l'imagerie argentique. Dans la triade bien connue - source (de rayons X), objet (= la dent à observer), détecteur (= film argentique ou capteur numérique) -, la chaîne de création de l'image reste la même, au détecteur près. Nous sommes et nous restons en présence d'un phénomène de projection qui nécessite que l'objet à radiographier, à savoir la dent, soit le plus près possible du détecteur pour engendrer le minimum de déformation. Dans ces conditions d'acquisition, on pourra, et il faudra, avoir une image brute de grande qualité, qui sera par la suite prête à subir différents traitements d'image. Ces traitements amèneront ainsi une facilité de diagnostic et de suivi thérapeutique très appréciable dans une activité d'omnipratique, et ce dans des temps records.

Peut-on aujourd'hui dire que la radiographie argentique n'offre plus aucun avantage, en termes de qualité de l'image ?

Il est important de préciser que la radiologie argentique a tenu le haut du pavé pendant plus de trois quarts de siècle et qu'aujourd'hui, elle représente le « gold standard ». Donc, dans le meilleur des cas, c'est-à-dire avec le respect de la chaîne de création de l'image et avec un opérateur rigoureux, l'imagerie numérique peut enfin rivaliser avec son homologue argentique. Dans de bonnes conditions d'utilisation, à savoir l'obtention d'une image brute de qualité, on peut aussi la travailler avec les différents traitements d'image contenus dans le logiciel. À partir de là, on transforme une image argentique « statique » en une image numérique « dynamique » (fig. 6).

Les capteurs sont-ils égaux entre eux ? Comment peut-on les départager ?

Non : il faut être clair, les capteurs ne sont pas égaux entre eux, et ce à deux niveaux. Les techniques utilisées diffèrent d'un capteur à l'autre et interfèrent obligatoirement sur le résultat final. Ensuite, les logiciels qui traitent ces images ne sont pas tous de même qualité : il y a traitement d'image et traitement d'image ! Les départager se fera à l'utilisation. On pourrait donner deux conseils. Le premier réside simplement dans la manipulation de ces engins : plus elle est simple, plus elle sera adoptée par la majorité d'entre nous et, pour moi, la simplicité se résume à l'utilisation de la souris uniquement... sans penser au clavier. Dans un second temps, une des qualités principales de cette imagerie réside dans l'appréciation du détail, en bref le zoom. Plus on pourra voir de manière précise la zone d'intérêt sur laquelle le diagnostic se penche, meilleur sera le jugement. Or, on assiste à un paradoxe : plus on agrandit une image numérique, plus elle se pixellise, donc devient moins nette... et c'est l'inverse que nous souhaitons obtenir. C'est là qu'interviennent les capteurs de bonne qualité qui procurent des images très nettes, même lorsqu'elle est fortement agrandie.

En plus de la qualité de l'image, quels sont les autres facteurs qui pourraient orienter le choix d'un appareil radiographique numérique ?

Les autres facteurs sont très importants : facilité de manipulation, disponibilité d'angulateurs dédiés, qualité et performances offertes par les logiciels d'analyse d'image, ainsi que leur compatibilité avec l'ensemble des logiciels de gestion des cabinets et puis enfin, le prix bien sûr !

Des appareils portatifs arrivent sur le marché. Y a-t-il un danger à les utiliser, compte tenu de la distance quasi inexistante entre l'opérateur et le générateur ?

Au sujet de ces nouveaux appareils, nous n'avons actuellement que très peu d'informations. Il semblerait qu'ils soient très irradiants (à l'heure où on ne parle que de radioprotection, de principe de justification et d'optimisation). Une évaluation précise de ces engins doit être entreprise avant d'aller plus loin. On pourrait aussi se poser la question de l'intérêt de l'utilisation de tels appareils. Sont-ils vraiment utiles au cabinet dentaire ? Leur stabilité peut-elle être assurée, compte tenu de la prise manuelle par l'opérateur ? N'y aurait-il pas un phénomène de mode avec l'apparition d'une nouvelle machine ?

Autant de questions auxquelles les autorités de santé devront répondre avant de pouvoir émettre un vrai jugement. Leur utilisation est à l'heure actuelle limitée aux situations spécifiques (milieu hospitalier, etc.) définies par l'Autorité de santé nucléaire (ASN) dans un communiqué datant de 2006 et intitulé « Conditions d'utilisation des appareils de radiologie mobiles* ».

A-t-on les mêmes obligations de conservation des radiographies numériques que pour celles réalisées de manière traditionnelle ?

Actuellement, la réponse est oui. En termes d'obligation de conservation des clichés numériques ou argentiques, on est tenu de les conserver 10 ans, et ce de la même manière dans le public que dans le privé. En termes de responsabilité médicale, il semble important de rappeler l'arrêté du 6 août 1991, relatif à la nomenclature des actes radiologiques, qui précise : « Tous les examens de radiodiagnostic doivent comprendre un compte rendu écrit, signé par le praticien et portant les noms et prénoms du malade ainsi que le nom du praticien et la date d'examen » (chapitre 1er, article 2). Cette obligation intéresse aussi bien les radiologues que les chirurgiens-dentistes qui réalisent eux-mêmes leurs clichés.

Utile, nécessaire ou incontournable ?

À mes yeux, l'imagerie numérique est devenue un outil incontournable au sein de l'activité quotidienne d'un cabinet dentaire. Elle possède actuellement les qualités requises pour un diagnostic fin, mais la qualité des images ne remplacera jamais nos connaissances d'anatomie et de séméiologie radiologiques.

Antoine Béclère, médecin, pionnier de la radiologie, écrivait au début du siècle dernier : « Les rayons X ne se trompent jamais, c'est nous qui nous trompons en interprétant mal leur langage ou en leur demandant plus qu'ils ne peuvent nous donner [...]. »

Lectures conseillées

    *http://www.asn.fr/sites/default/files/files/FICHE-5-APP-RADIOLOGIE-MOBILE.pdf