Offre de soins : la solution des centres de santé - Clinic n° 05 du 01/05/2013
 

Clinic n° 05 du 01/05/2013

 

ENQUÊTE

Anne-Chantal de Divonne  

Les centres de santé apparaissent comme une des solutions pour lutter contre la désertification et améliorer l’accès aux soins dans certains territoires. Leur implantation varie cependant selon la structure qui les porte : mutuelle, collectivité locale ou association. Tour d’horizon de ceux dans lesquels exercent des chirurgiens-dentistes. À côté des cabinets libéraux, ils représentent 5 % de l’offre totale de soins dentaires dans l’Hexagone.

Connerré, ville de 3 000 habitants dans la Sarthe, inaugurait officiellement son centre municipal de santé le 6 avril. Un médecin et un chirurgien-dentiste exercent depuis le 15 novembre dernier dans les 2 cabinets aménagés par la municipalité dans l’ancienne caserne des pompiers. « L’histoire de ce centre, c’est l’histoire des déserts médicaux », raconte Nicole Auger, adjointe au maire et référente du centre. Le maire, Christophe Chaudun, a tiré les leçons du départ de 2 des 3 médecins locaux et des 2 chirurgiens-dentistes au cours des 4 dernières années. Ces 2 derniers sont remplacés depuis 1 an par 1 praticien qui exerce 3 demi-journées par semaine. Insuffisant ! Les administrés se plaignent. Mais les annonces dans la presse restent infructueuses. L’idée de créer une maison de santé pluridisciplinaire a bien été explorée. Mais elle a été abandonnée en raison de la faible mobilisation des médecins du territoire et de la lourdeur de la procédure. Le maire songe alors à imiter l’initiative d’une municipalité voisine distante de 20 km, La Ferté-Bernard. Cette commune, qui a créé son centre médical et embauché 2 médecins en 2011, prévoit d’en recruter encore 1 et d’installer 2 chirurgiens-dentistes.

Quand le maire embauche un chirurgien-dentiste

Cette initiative et la visite du centre de santé de Malakoff, dans la banlieue parisienne, convainquent Christophe Chaudun de créer à Connerré un centre qui emploie dès le départ 1 médecin et 1 chirurgien-dentiste. La mairie équipe les deux cabinets, installe un fauteuil, une radiographie panoramique et un espace de stérilisation n’a aucun mal à recruter le médecin, l’assistante dentaire et le chirurgien-dentiste qui exerçait auparavant dans une mutuelle à une vingtaine de kilomètres. « Avec le centre de santé, nous sommes maîtres de notre projet. Il suffit d’une déclaration à l’ARS », apprécie Nicole Auger, en comparant sa structure à celle d’une maison de santé. « Depuis l’ouverture, le cabinet dentaire ne désemplit pas. Les rendez-vous sont pris 5 mois à l’avance » note même la référente du centre, persuadée que les comptes de l’ensemble du centre seront à l’équilibre.

À Évry, en banlieue parisienne, la municipalité prévoit d’agrandir le centre municipal pour installer des nouveaux fauteuils dentaires. Danielle Valero, chirurgien-dentiste et adjointe au maire de cette ville, constate l’amenuisement du nombre des praticiens de santé d’année en année. Les chirurgiens-dentistes ? Il n’en reste plus que 10 en ville pour 55 000 habitants et dans 5 ans, la moitié partira à la retraite. « J’ai eu la chance de vendre mon cabinet il y a 2 ans à un jeune qui m’avait remplacé et qui s’intégrait bien. Mais c’était l’exception. Nous n’avons pas les moyens d’attirer des libéraux à Évry. Et le fait d’être une zone franche urbaine dans laquelle les professionnels bénéficient d’une taxe professionnelle et de prélèvements URSSAF moins élevés qu’ailleurs peut être un critère valable pour des infirmiers mais pas pour des chirurgiens-dentistes. » L’association Addentis, qui avait envisagé un temps d’installer 5 fauteuils dentaires dans des locaux proposés par la mairie, n’a pas donné suite. L’idée est maintenant d’ajouter des fauteuils dentaires dans un centre de santé créé en 1980 et qui abrite déjà 4 médecins, 1 kinésithérapeute, des infirmiers et 2 chirurgiens-dentistes pour 1 fauteuil. En espérant que le salaire proposé, de 4 200 euros, sera suffisamment attractif pour recruter. « Nous devons trouver une solution. En tant qu’élus, nous sommes responsables de la santé publique. Avec l’éducation, ce sont nos deux priorités », affirme Danielle Valero.

Les limites des maisons de santé

À Connerré comme à Évry, à défaut d’attirer les praticiens libéraux, les élus locaux cherchent des solutions eux-mêmes. « La plupart des créations actuelles que nous accompagnons proviennent de mairies, communautés de communes ou agglomérations qui veulent créer de petites unités. Elles ont souvent tenté différentes solutions sans succès », indique Richard Lopez, président de la Fédération nationale des centres de santé, directeur de la santé à Saint-Denis. « On sort de l’idéologie des municipalités de gauche qui voulaient leur centre de santé pour aller vers le pragmatisme, toutes couleurs politiques confondues. L’objectif est de répondre efficacement à un besoin de soins ambulatoires. Et les maires constatent qu’il est plus facile d’ouvrir un centre de santé qu’une maison de santé », confirme Fabien Cohen, secrétaire général du syndicat national des chirurgiens-dentistes des centres de santé. Plus facile et peut-être aussi plus adapté à certains territoires.

Pierre Micheletti, président des centres de santé de Grenoble, ancien président de Médecins du monde, appelait récemment, dans une tribune parue dans La Croix, à soutenir les centres de santé car les maisons médicales « constituent un outil intéressant mais insuffisant ». Notamment parce que le choix des lieux d’installation à l’initiative des professionnels ne correspond pas toujours aux lieux où l’offre est la plus déficitaire. Mais aussi parce que la maison de santé ne peut pas définir de priorité dans la polyvalence des métiers. Enfin parce qu’elle « ne résout pas la question du tiers payant devenue cruciale dans l’accessibilité financière aux soins ».

Ces différents points expliquent le regain d’intérêt pour la création de centres municipaux. Une bonne dizaine d’entre eux ont ouvert l’an dernier. Ceux qui intègrent des chirurgiens-dentistes restent cependant encore assez rares hors de l’agglomération parisienne et l’Île-de-France concentre de toute façon la très grande majorité des structures municipales.

Le pragmatisme des centres mutualistes

La logique d’implantation mutualiste est bien différente. Forte de 456 centres exclusivement dentaires – 00 en comptant les centres polyvalents associant aussi des médecins et des infirmiers – , la Mutualité Française, qui emploie 1 600 chirurgiens­dentistes et autant d’assistantes dentaires, dispose – et de loin – du plus grand nombre de centres de santé dentaire. Elle en ouvre de 4 à 6 chaque année dans toutes les régions : Échirolles (38), Bagnols-sur-Cèze (30) et Carcassonne (11) sont les plus récents ; Chauny (02) et La Plaine Saint-Denis (93) sont prévus cette année.

Pour toute nouvelle ouverture, « notre objectif est de répondre aux besoins buccodentaires là où l’offre constatée est insuffisante. Mais nous sommes aussi très attentifs à la pérennité économique de nos structures qui supportent des charges spécifiques telles que la pratique généralisée du tiers payant.

Un centre de santé mutualiste n’a pas vocation à s’installer partout et il n’est pas une réponse à tous les déserts médicaux ou à toutes les problématiques de sous-densité mais il constitue un maillon, au même titre que d’autres acteurs, en vue d’apporter une réponse à un déficit en terme d’offre et d’accessibilité à des soins dentaires de qualité à tarifs maîtrisés », explique le responsable de la filière dentaire mutualiste, Jean-Marc Lecomte.

Pour assurer la pérennité de ses centres de santé, la Mutualité Française vient de publier son « modèle économique » dans lequel elle passe en revue les prérequis indispensables à l’équilibre économique de ses structures. Le seuil d’équilibre pour un centre dentaire se situe à partir de l’installation de 3 fauteuils consacrés à l’omnipratique et utilisés 55 heures par semaine. Cette condition impose déjà une taille de centre non négligeable. Aujourd’hui, un centre type est composé de 3 à 5 fauteuils. Mais quelques centres, en particulier parisiens, peuvent comporter jusqu’à 20 fauteuils.

Dans le cas de centres de santé polyvalents, l’idée de la Mutualité est d’associer des « activités déficitaires » comme la médecine générale à une « offre rémunératrice », comme le dentaire. « Les centres de santé dentaire peuvent atteindre plus facilement l’équilibre, les niveaux de recettes étant plus élevés en particulier en orthodontie », explique-t-on dans le modèle. Néanmoins, la Mutualité se veut pragmatique dans sa politique d’implantation et sort de son modèle quand une occasion se présente.

En Saône-et-Loire, elle a par exemple mis en place 1 cabinet dentaire accolé à 2 maisons de santé gérées par des libéraux à Montret et à Louhans. Pour ce dernier centre, le fonctionnement, en place depuis 1 an, est « exemplaire en termes de coopération entre professionnels de santé libéraux et salariés », estime le directeur de la filière dentaire de Saône-et-Loire.

Certains centres associatifs sur la sellette

À côté des centres dentaires mutualistes et municipaux, un troisième type de structure, les centres dentaires de type associatif, a multiplié ces derniers mois des ouvertures dont certaines sont très controversées. En effet, si des centres comme le nouvel Alfred-Fournier, doté de 7 cabinets médicaux et 3 cabinets dentaires et inauguré dernièrement à Paris (11e), ne posent pas de difficultés, ceux dits low cost, qui ouvrent à grand renfort de publicité en affichant des « prix cassés » pour les implants et les prothèses, provoquent en revanche de fortes réactions de toute la profession. Jusqu’à présent rien n’a pu entraver leur développement malgré les doutes portés sur la réalité du respect des exigences du statut associatif. Il est vrai que depuis la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), il suffit à un centre de santé de soumettre son règlement intérieur et des documents qui prouvent son statut associatif, de montrer que les praticiens sont salariés, que le centre pratique le tiers payant et qu’il respecte le concept de centre de santé pour que l’Agence régionale de santé (ARS) délivre une attestation, alors qu’auparavant, tout établissement de santé était soumis à une enquête de la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (DDASS). « Le problème de ces centres est la mutilation et le surtraitement », affirme Christian Couzinou, président de l’Ordre, qui s’en est déjà expliqué auprès de la mission de l’inspection générale des Affaires sociales (IGAS) actuellement en cours sur les centres de santé. Autant dire que le rapport de cette mission d’évaluation, confiée à Philippe Georges par la ministre de la Santé, est très attendu de l’ensemble des acteurs. La mission est notamment chargée d’identifier les bonnes pratiques de gestion, de fonctionnement médical et d’accès aux soins des centres de santé.

Que dit le Code de santé publique ?

Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours. Ils assurent des activités de soins sans hébergement et mènent des actions de santé publique ainsi que des actions de prévention, d’éducation pour la santé, d’éducation thérapeutique des patients, des actions sociales et pratiquent le tiers payant.

Ils constituent des lieux de stage pour la formation des différentes professions de santé.

Ils sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par des collectivités territoriales, soit par des établissements de santé.

Ils élaborent un projet de santé incluant des dispositions tendant à favoriser l’accessibilité sociale, la coordination des soins et le développement d’actions de santé publique.

Le poids des centres de santé en Île-de-France

Les centres de santé (CDS) couvrent 8 % de l’offre de soins francilienne alors que la moyenne nationale est de 5 %, selon l’ARS d’Île-de-France qui dresse un état des lieux des centres de santé dans son schéma régional de l’offre de soins.

L’offre se concentre plus particulièrement dans les départements urbains. Le Schéma régional d’organisation des soins recense 184 centres ayant une activité dentaire totalisant 681 fauteuils dentaires, soit 5,8 fauteuils dentaires pour 100 000 habitants. Les 2 départements les plus dotés sont Paris, avec 14,4 fauteuils dentaires pour 100 000 habitants, et la Seine-Saint-Denis, avec 9,7 fauteuils dentaires, alors que les Yvelines ne comptent qu’un peu moins de 1 fauteuil dentaire pour 100 000 habitants.

L’activité dentaire des CDS correspond aux traitements les plus courants (plutôt conservateurs) inscrits à la nomenclature, mais certains de ces centres commencent à réaliser des actes hors nomenclature.

Ces dernières années, les CDS enregistrent une nette augmentation des consultations et une diversification du public. Les motifs en sont, outre la paupérisation de la société, la facilité d’accès à la consultation, même sans rendez-vous, l’éventail des spécialités offertes, les plateaux techniques étendus, le respect des tarifs opposables, le respect des tarifs réglementés et la pratique du tiers payant.

BIENTÔT UN CONVENTIONNEMENT 100 % MUTUALISTE

Une convention va lier pour la première fois les centres de santé dentaire de la Mutualité Française aux complémentaires de santé mutualistes. Signée en principe cette année, elle portera sur des engagements en matière de pratique tarifaire (des plafonds sur un panier d’actes), sur des aspects de démarche qualité liés à un référentiel élaboré avec la Haute Autorité de santé, sur la dématérialisation des échanges avec les complémentaires de santé et sur des procédures de simplification liées au tiers payant, car ce mécanisme apparaît lourd administrativement et coûteux. Cette convention constitue l’un des aspects d’une politique de réseau développée depuis 2010 par les centres mutualistes. Elle intègre aussi une politique d’achat commune.