Peut-on guérir ? - Clinic n° 05 du 01/05/2009
 

Clinic n° 05 du 01/05/2009

 

Où l'on apprend qu'aucune guérison n'est retour à l'innocence biologique.

Devinette : qu'est-ce qui intéresse le plus un patient et qui nous préoccupe moins (absorbés que nous sommes par le diagnostic et les techniques thérapeutiques) ? Réponse : la guérison. Mais qu'est-ce que la guérison ? Le dictionnaire répond : « Le fait de guérir, de retrouver la santé 1 . » Surprenant « retrouver la santé », est-ce donc qu'on l'avait perdue et qu'on la retrouve intacte ? (Une dent soignée = une dent naturelle ?)

Canguilhem a une jolie phrase. « Considérée comme un événement dans la relation entre le malade et le médecin, la guérison est, à première vue, ce que le malade attend du médecin, mais non ce qu'il obtient toujours. Il existe donc un décalage entre l'espoir fondé, chez le premier, sur la présomption de pouvoir, fruit du savoir, qu'il prête à l'autre, et la conscience des limites que le second doit reconnaître à son efficacité 2 . » Finalement, on ne parle pas de la même guérison que le patient.

D'une part, l'absence de résultat pour un malade particulier « ne suffit pas à induire dans l'esprit du médecin la suspicion concernant la vertu qu'il prête, en général, à telle ou telle de ses prescriptions 2 ». D'autre part, si « désormais, s'agissant de remèdes, la façon de donner vaut parfois mieux que ce qu'on donne 2 » , alors il n'est pas impossible de croire que l'effet ne vient pas de ce qui est prescrit. Pas de lien direct, donc, entre activité médicale et « guérison » vécue.

Bien que nombre de malades portent la plus grande attention aux moyens employés, il n'est reste pas moins qu' in fine, c'est bien l'effet qui est attendu. « Bref, on peut dire que, pour le malade, la guérison est ce que lui doit la médecine, alors que pour la plupart des médecins, encore aujourd'hui, c'est le traitement le mieux étudié, expérimenté et essayé à ce jour que la médecine doit au malade 2 . »

Que dire alors de la guérison ? « Le médecin ne peut ignorer qu'aucune guérison n'est un retour 2 . » C'est tout au plus « la reconquête d'un état de stabilité des normes physiologiques. [...] Aucune guérison n'est retour à l'innocence biologique 3 ».

De Canguilhem : « L'accomplissement des deux ambitions de la vieille médecine, guérir les maladies et prolonger la vie humaine, a eu pour effet indirect de placer le médecin d'aujourd'hui face à des malades en proie à une nouvelle anxiété de guérison possible ou impossible. Le cancer a relayé la tuberculose. Si l'augmentation de la durée de vie vient confirmer la fragilité de l'organisme et l'irréversibilité de sa déchéance, si l'histoire de la médecine a pour effet d'ouvrir l'histoire des hommes à de nouvelles maladies, qu'est-ce donc que la guérison ? Un mythe 2 ? »

Conclusions ? Guérir n'est pas revenir à l'état antérieur et « guérir » nous ouvre à de nouvelles maladies. On n'est jamais « vraiment guéri. » Nous verrons le mois prochain quels enseignements en tirer pour l'odontologie et dans notre exercice.

1. Le Petit Robert. Paris : Dictionnaires Le Robert, 1994. 2. Canguilhem G. Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? Écrits sur la médecine, Paris : Seuil, 2002 : 69-99. 3. Canguilhem G. Le normal et le pathologique. Paris : PUF, 1996.