Questions de soins et vieillissement - Clinic n° 08 du 01/09/2009
 

Clinic n° 08 du 01/09/2009

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un mastère d'éthique médicale et biologique.

À l'heure où la population vieillit, la santé orale compte de plus en plus. Et avec elle de nombreuses questions éthiques.

Vieillissement...

Ils sont un peu passés de mode. À l'heure où j'écris ces lignes, on ne peut pas dire que cet été 2009 soit caniculaire. Et pourtant, toutes projections démographiques confondues, les personnes âgées, les aînés, les seniors, les vieux, les vieillards sont en constante augmentation dans la population1.

Il n'est pas vrai que la santé orale s'altère avec l'âge. Il y a des modifications physiologiques, nombreuses, certes, mais normales. Ce que nous montrent les enquêtes épidémiologiques, en revanche, est un tableau particulièrement inquiétant pour qui a encore un peu d'humanité. Je passe sous silence l'absence de motivation parfois pour ces patients2. Mais on ne peut taire les besoins de soins et de prévention immenses que présente cette population hyper-hétérogène. Car les répercussions que peut avoir une mauvaise santé orale à ces âges de fragilité sont dramatiques. Et pas seulement à travers la malnutrition, mais de façon aussi stratégique dans la prévention des pneumopathies par exemple.

La fin de vie appelle de nombreuses questions éthiques autour de la notion de juste soin. Il s'agit de représenter l'équilibre, l'équité, la liberté, une fraternité, une absence d'acharnement3, une bonne mesure des moyens et de la pénibilité de la thérapeutique et une évaluation sincère de son bénéfice sans interdire l'accès au progrès médical.

... et juste soin

Il est hasardeux d'affirmer que refaire une prothèse permet d'améliorer l'état nutritionnel. On peut tout juste espérer améliorer l'efficacité masticatoire et la déglutition. C'est une condition nécessaire mais pas suffisante. Mais que de fausses routes évitées si la rééducation est possible ! Un gériatre de soins palliatifs se demandait si, compte tenu de l'espérance de vie (en semaines, voire en jours) de son patient, il était juste de céder à la pression de la famille qui voulait qu'on lui refasse « un dentier ». On peut mourir avec des dents, fut-ce pour être présentable lors du dernier souffle. Mais doit-on souffrir un traitement impossible alors que des douleurs vous assaillent déjà ?

Les prothèses sur implants sont une question intéressante. Le bénéfice apporté en termes de stabilité est évident. Et pourtant il se trouve des patients pour préférer une prothèse adjointe complète stabilisée à un bridge pour des questions de nettoyage. En effet : quel entretien quand la vue baisse et les habiletés déclinent ?

Le sujet est vaste. On peut réfléchir à la notion de consentement avec démence, tutelles ou curatelles. Cliniquement, on pourrait questionner l'intérêt des extractions multiples de dents à l'état de racine qui sont autant de foyers infectieux certes, mais chroniques et sans plaintes. La présence de tartre, à ces âges, semble parfois sans relation avec l'état d'avancement de la maladie parodontale. Doit-on détartrer à tout prix ? Quid aussi des protocoles de prévention à base de fluor ou des hygiénistes qui ne sont en vogue ni en cabinet, ni en service spécialisé ?

Pour finir, revenons au juste soin. Si l'homme juste « est celui qui renverse, pour juger équitablement, le rapport qu'il a avec autrui4 » alors le juste soin n'a plus rien à voir avec nos critères normatifs mais avec la partie la plus noble de notre art : la clinique cognitive5. n

1. En nombre comme en proportion. Cela concerne aussi des pays comme la Chine ou l'Inde ! 2. C'est un mal de l'homme moderne de refuser ce vieillissement qu'on affronte cependant jamais tant qu'on s'essaie à le nier ou le masquer. 3. Si tant est que ce mot ait un sens médical. 4. A. Lalande. « Juste ». Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Paris : PUF, 2006 (Quadrige). 5. La clinique cognitive serait une pratique axée sur la clinique et le patient et sur les savoirs, mais en permanent questionnement moral et épistémologique sur leur articulation. Elle s'opposerait à une clinique de recommandations ou d'habitudes.