Urgence coronarienne au cabinet dentaire - Clinic n° 08 du 01/09/2009
 

Clinic n° 08 du 01/09/2009

 

PATHOLOGIE

Florian LAURENT*   Yves LAPOSTOLLE**   Catherine BERTRAND***   Pascal AUGUSTIN****   Philippe LESCLOUS*****  


*Département de médecine buccale et de chirurgie buccale, Faculté de chirurgie dentaire Paris Descartes.
**SAMU-CESU 94,
GH Henri-Mondor - Albert-Chenevier.
***Service d'anesthésie réanimation
GH Bichat - Claude-Bernard,
Université Paris 7.
****Département de médecine buccale et de chirurgie buccale,
Faculté de chirurgie dentaire Paris Descartes,
1 rue Maurice-Arnoux,
92120 Montrouge.

Les chirurgiens-dentistes sont régulièrement confrontés à des patients signalant des antécédents d'angor ou d'infarctus du myocarde lors du questionnaire médical initial. Les traitements médicamenteux de ces pathologies doivent être pris en compte car ils ont une incidence sur la pratique des soins bucco-dentaires.

Mais comment faut-il réagir lorsque des incidents coronaires aigus surviennent au cabinet dentaire ? Comment les reconnaître ? Comment les prendre en charge ?

En France, l'incidence des urgences coronariennes aiguës est proche de 100 000 par an [1]. Parmi ces urgences, on retrouve l'infarctus du myocarde dont la mortalité en phase aiguë est d'environ 7 %. L'augmentation constante de l'incidence des facteurs de risque cardio-vasculaires accroît la probabilité de survenue de pathologies coronariennes aiguës. Les chirurgiens-dentistes peuvent être confrontés à ce type de situation dans leur cabinet [2, 3et 4] et doivent être à même de les reconnaître mais aussi de les prendre en charge. Dans ce cas, l'odontologiste est le premier maillon médical d'une chaîne qui doit, dans les plus brefs délais, prendre en charge efficacement le patient afin de limiter l'extension des lésions du myocarde [5].

Physiopathologie

Facteurs de risque cardio-vasculaires

La majorité des urgences coronariennes est imputable au développement de plaques d'athérome dans les artères coronaires et aux complications qu'elles provoquent. La présence de ces plaques est corrélée à celle des facteurs de risque dits cardio-vasculaires, les principaux étant :

- le tabac ;

- l'hypertension artérielle (HTA) ;

- le diabète ;

- l'excès de cholestérol ;

- l'obésité ;

- les antécédents familiaux de maladie cardio-vasculaire.

Ces facteurs de risque se potentialisent, c'est-à-dire qu'ils s'aggravent les uns les autres. Chaque facteur ajouté multiplie le risque d'être atteint de maladie cardio-vasculaire. Par exemple, un patient fumant un peu, avec une hypertension artérielle modérée, une légère intolérance au sucre et un taux de cholestérol moyennement élevé est beaucoup plus à risque que le patient qui a « seulement » un taux de cholestérol très élevé [6].

Attention ! Il faut avoir à l'esprit que les urgences coronariennes peuvent également toucher des patients jeunes ou des patients sans antécédents particuliers, même si cela est plus rare.

Athérome

Les plaques d'athérome sont des dépôts graisseux se développant dans la paroi des vaisseaux. Leur apparition provoque un rétrécissement de la lumière interne (fig. 1 et 2). Lorsque ce rétrécissement touche les artères coronaires, cela entraîne des troubles de la vascularisation du muscle cardiaque.

Angor, angine de poitrine

L'angor (ou angine de poitrine) survient lorsqu'il existe une perturbation du débit sanguin dans les artères coronaires et que l'apport d'oxygène devient insuffisant pour répondre aux besoins du myocarde (fig. 3).

Dans l'angor, il existe une perturbation du débit sanguin dans la branche de l'artère coronaire concernée mais le sang continue de circuler.

Infarctus du myocarde

Dans l'infarctus du myocarde, l'artère coronaire touchée est totalement obstruée, le sang ne circule plus en aval de l'occlusion (fig. 4).

La cause la plus fréquente de l'infarctus du myocarde est l'athérome compliqué de thrombose. Les cellules cardiaques situées en aval ne reçoivent plus ni oxygène ni nutriments et meurent en quelques heures (nécrose ischémique). Les lésions sont définitives car le muscle cardiaque ne peut pas se régénérer.

La principale complication immédiate de l'infarctus du myocarde est l'arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire. La prise en charge de ce trouble du rythme est la délivrance d'un choc électrique externe. Pour pouvoir prendre en charge une fibrillation ventriculaire, le chirurgien-dentiste doit avoir à disposition un défibrillateur automatisé externe (automatique ou semi-automatique).

Syndromes coronariens aigus

Depuis quelques années, il existe une nouvelle classification des pathologies coronariennes aiguës se fondant sur le tracé de l'électrocardiogramme. On parle désormais de syndromes coronariens aigus (SCA).

Nous avons choisi de présenter les pathologies coronariennes avec leur ancienne dénomination car cette nouvelle nomenclature n'est pas bien connue des patients qui parlent encore souvent d'infarctus du myocarde et d'angine de poitrine.

Sémiologie

Douleur thoracique

Dans les urgences coronariennes, le symptôme caractéristique est la douleur thoracique. Dans une crise d'angor ou un infarctus du myocarde, celle-ci présente certains aspects permettant d'évoquer une origine cardiaque. Typiquement, la douleur a les caractéristiques suivantes (fig. 5) :

- elle est rétrosternale (localisée derrière le sternum) ;

- elle est en barre (le patient décrit une douleur en barre horizontale au niveau du thorax) ;

- elle est constrictive (« ça serre » au niveau du thorax) ;

- elle irradie vers les épaules, la mandibule, les avant-bras et/ou les poignets (classiquement vers l'avant-bras gauche).

Attention ! Cette description correspond à une douleur coronarienne typique. Dans de nombreux cas, le patient ressent uniquement une oppression ou une sensation de pesanteur au niveau du thorax. Certains patients, tels les diabétiques, peuvent ne pas ressentir de douleur lors d'un infarctus du myocarde. Par ailleurs, celui-ci peut se traduire par une violente douleur abdominale ou dorsale.

Tout malaise d'allure vagale persistant malgré les premières mesures (arrêt des soins, mise en position allongée, jambes surélevées) doit faire craindre un infarctus du myocarde.

Différences entre une crise d'angor et un infarctus du myocarde

L'infarctus du myocarde est une urgence vitale qui impose une prise en charge hospitalière rapide. Plusieurs critères permettent de le différencier de l'angor :

- typiquement, la crise d'angor survient lors d'un effort et cède en quelques minutes à l'arrêt de celui-ci. Lors d'un infarctus du myocarde, l'arrêt de l'effort ne fait pas disparaître la douleur ;

- lors d'une crise d'angor, la douleur cède à l'administration de trinitrine. Dans l'infarctus du myocarde, la trinitrine ne fait pas disparaître la douleur ;

- généralement, la douleur thoracique sur une crise d'angor est d'une durée assez limitée. Dans l'infarctus du myocarde, la douleur est prolongée (plus de 15 minutes).

Signes de gravité hémodynamiques

La douleur thoracique typique (rétrosternale, en barre, constrictive et irradiante) est à elle seule un signe de gravité et justifie une prise en charge immédiate.

Toutefois, face à une douleur thoracique, une oppression ou simplement une sensation thoracique inhabituelle chez un patient avec des antécédents coronariens ou ayant des facteurs de risque cardio-vasculaires, le praticien doit rechercher des signes de décompensation hémodynamiques tels que :

- pâleur cutanée ;

- sueurs ;

- hypotension artérielle ;

- tachycardie ou bradycardie.

Ces signes de gravité seront transmis au médecin régulateur avec les caractéristiques de la douleur, les antécédents et les traitements du patient lors de l'appel au SAMU.

Prise en charge(fig. 6)

Délai de prise en charge

La prise en charge doit être très rapide afin de limiter les séquelles cardiaques et les risques de mortalité, principalement lors d'un infarctus du myocarde.

Face à un infarctus du myocarde, l'objectif est de « déboucher » le plus tôt possible l'artère occluse soit chimiquement (thrombolyse directement sur place) soit mécaniquement (angioplastie réalisée dans un service hospitalier spécialisé). Ce traitement doit être effectué en un minimum de temps afin de revasculariser les territoires ischémiés du myocarde, si possible dans les 3 heures suivant le début des symptômes. L'appel au SAMU doit donc être rapide et systématique face à ce type de symptômes.

Réduction de l'effort cardiaque

Afin de limiter la souffrance du myocarde, il faut diminuer les besoins en oxygène du coeur. La première mesure à prendre est donc de mettre le patient au repos strict, il ne doit ni se lever ni faire d'effort. Par ailleurs, toujours dans le but de limiter la tachycardie, il faut dialoguer avec le patient pour le rassurer.

Dérivés nitrés

La trinitrine est un vasodilatateur veineux et coronarien. Elle permet de réduire les besoins en oxygène du myocarde et dilate les artères coronaires. Cependant, elle provoque dans le même temps une baisse de la pression artérielle : elle ne doit être utilisée que chez un patient assis ou allongé ayant une pression artérielle systolique d'au moins 100 mmHg.

Ce médicament ne doit être utilisé par le chirurgien-dentiste que chez un patient coronarien connu ayant déjà ce type de traitement en cas de douleur thoracique. En cas de doute, le médecin régulateur du SAMU oriente le chirurgien-dentiste sur l'utilisation ou non de trinitrine.

Aspirine

Lors d'un infarctus du myocarde, l'administration précoce d'aspirine permet d'abaisser significativement la mortalité. Le médecin régulateur du SAMU peut prendre la décision de faire administrer de l'aspirine au patient par voie orale dans l'attente de l'équipe médicale.

Prévention

L'apparition d'un stress ou d'une douleur aiguë peut provoquer une augmentation importante de la fréquence cardiaque. Chez des patients prédisposés, c'est-à-dire avec des antécédents coronariens ou plusieurs facteurs de risque cardio-vasculaires, cette tachycardie peut être à l'origine d'une douleur thoracique.

L'objectif de l'odontologiste est de limiter la survenue d'une tachycardie aiguë. Ainsi, avant des soins importants ou potentiellement douloureux, il est préférable de prévoir une prémédication sédative et de prendre le temps de réaliser une anesthésie efficace.

À noter

• Les vasoconstricteurs associés à une solution anesthésique ne sont pas contre-indiqués dans les cardiopathies coronariennes stabilisées [7].

• Il n'est pas justifié d'arrêter un traitement par agents antiplaquettaires pour des soins dentaires ou une chirurgie buccale, parodontale ou implantaire [8]. Il faut toutefois s'assurer d'avoir des moyens d'hémostase suffisants.

Enfin, dans une optique plus générale, on peut encourager les patients ayant des troubles cardiaques à avoir un électrocardiogramme dans leur portefeuille afin de servir de référence s'ils ont un problème aigu.

Conclusion

Les chirurgiens-dentistes peuvent être confrontés à des urgences coronariennes durant leur activité professionnelle ou dans le cadre privé. Ils doivent être capables de reconnaître une douleur thoracique coronarienne typique et d'identifier les facteurs de risque cardio-vasculaires ainsi que les éventuels signes de gravité.

La prise en charge en partenariat avec le médecin régulateur du SAMU doit permettre de traiter le patient dans les meilleurs délais afin de réduire les risques de morbidité et de mortalité.

Concernant la mortalité des patients présentant un infarctus du myocarde, la France a un des taux les plus bas d'Europe grâce à la prise en charge médicalisée directement « au lit du malade » qui permet d'instaurer une thérapeutique de revascularisation du myocarde très précoce.

Bibliographie

  • 1. SAMU de France, Société francophone de médecine d'urgence, Société française de cardiologie. Prise en charge de l'infarctus du myocarde à la phase aiguë en dehors des services de cardiologie. Conférence de consensus. 23 novembre 2006, Paris. http://www.has-sante.fr/ portail/jcms/c_484720/ prise-en-charge-de-l-infarctus-du-myocarde-a-la-phase-aigue-en-dehors-des-services-de-cardiologie
  • 2. Atherton GJ, McCaul JA, Williams SA. Medical emergencies in general dental practice in Great Britain. Part 1. Their prevalence over a 10-year period. Br Dent J 1999;186:72-79.
  • 3. Girdler NM, Smith DG. Prevalence of emergency events in British dental practice and emergency management skills of British dentists. Resuscitation 1999;41:159-167.
  • 4. Müller MP, Hänsel M, Stehr SN, Weber S, Koch T. A state-wide survey of medical emergency management in dental practices: incidence of emergencies and training experience. Emerg Med J 2008;25;296-300.
  • 5. Bertrand C. Chaîne de prise en charge de l'infarctus du myocarde en phase aiguë (syndrome coronaire aigu avec surélévation persistante du segment ST). Encycl Med Chir Urgences 2006;24-115-A-12.
  • 6. Fédération française de cardiologie. Facteurs de risques. www.fedecardio.com
  • 7. Société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale. Recommandations pour l'emploi des vasoconstricteurs en odontostomatologie. MBCB 2003; 9:65-93.
  • 8. Société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale. Recommandations pour la prise en charge des patients sous agents antiplaquettaires en odontostomatologie. MBCB 2005;11:55-76.

Cet article fait suite à ceux déjà parus dans Clinic :

La crise d'asthme au cabinet dentaire. Clinic 2006;27:586-591.

Le chirurgien-dentiste face au traumatisme crânien. Clinic 2007;28:303-309.

Le malaise vagal au cabinet dentaire. Clinic 2007;28:577-581.

Prise en charge de l'arrêt cardiaque de l'adulte - Évolution des recommandations. Clinic 2008;29:91-99.

L'hyperventilation psychogène au cabinet dentaire. Clinic 2008;29:144-147.

L'hypoglycémie. Clinic 2008;29:479-484.

L'hypotension orthostatique. Clinic 2008;29:686-688.

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