La longueur de travail en endodontie - Clinic n° 11 du 01/12/2009
 

Clinic n° 11 du 01/12/2009

 

RÉPONSE D'EXPERT

Ludovic POMMEL  

> Notre expertMaître de conférences des universités en endodontie et responsable du diplôme universitaire d'endodontie à Marseille

La détermination de la longueur de travail est essentielle pour un traitement endodontique réussi, qui doit être à la bonne longueur. Mais connaissez-vous vraiment la bonne longueur de travail ?

Qu'est-ce qu'on entend par longueur de travail ?

La longueur de travail signifie en fait la longueur totale du canal qui doit être désinfectée, mise en forme et obturée. Cette notion de désinfection est primordiale : elle sous-entend précision et rigueur dans son application. De fait, il est inconcevable de déterminer l'espace à nettoyer de manière arbitraire à une distance de 0,5 à 1 mm du vertex radiographique de la dent traitée. De même, la notion de jonction cémento-dentinaire reste abstraite sur le plan clinique et la choisir comme limite de traitement est illusoire pour plusieurs raisons. La première raison est qu'une telle jonction est une entité histologique que seul l'examen histologique peut appréhender. Par ailleurs, certains auteurs ayant montré qu'elle pouvait remonter jusqu'à 3,8 mm à l'intérieur du canal, doit-on laisser presque 4 mm de canal sans désinfection, ni mise en forme, ni obturation ? À l'opposé, les phénomènes inflammatoires de résorption qui accompagnent les lésions endodontiques ont souvent pour conséquence la destruction de cette jonction cémento-dentinaire. Le canal s'ouvre alors directement sur les tissus péri-apicaux et, la jonction cémento-dentinaire n'étant plus, que choisit-on (fig. 1) ?

Qu'en est-il de la sensation tactile dans l'identification de l'apex ?

En fait, ce n'est pas de l'apex dont il s'agit mais du foramen (ou des foramina). C'est-à-dire du pertuis qui établit la frontière entre l'endodonte et le parodonte. Cet orifice peut présenter différents diamètres en fonction de la maturité de la dent, mais aussi des phénomènes inflammatoires siégeant dans l'environnement tissulaire périapical et provoqués par les bactéries endodontiques et leurs toxines.

Le diamètre peut donc varier entre 10/100e et plus de 1 mm pour une norme comprise entre 15 et 20/100e de millimètre. De plus, la forme du canal au niveau de la sortie peut être initialement et naturellement conique, comme elle peut être cylindrique sur 1 ou 2 mm, voire plus. Nous comprenons dès lors qu'une identification tactile du foramen est une illusion.

La radiographie est-elle suffisante pour déterminer la longueur de travail ?

La radiographie seule, lime en place, ne peut déterminer précisément le foramen pour les mêmes raisons. Par conséquent, plusieurs radios d'incidences différentes et contrôlées sont nécessaires, mais au-delà de la localisation spatiale du foramen, elles servent à préciser l'anatomie du canal, les courbures et leur rayon ainsi que la direction de la sortie foraminale. Elles complètent les méthodes électroniques de mesure.

Les appareils de mesure de la longueur de travail sont-ils réellement fiables ?

Oui ils le sont et ils représentent d'ailleurs la seule approche fiable dont nous disposons pour évaluer et matérialiser cette limite entre endodonte et parodonte.

Il convient toutefois de préciser que ces appareils doivent être sélectionnés en fonction de leur qualité. Mais il en existe un grand nombre sur le marché.

Que faut-il penser des micromoteurs endodontiques incorporant un localisateur d'apex « contrôleur » ?

Ils ne peuvent servir à déterminer la position du foramen car cette étape ne se fait qu'en franchissant celui-ci à l'aide d'un instrument de petit diamètre 08 ou 10 et en le retirant. Le diamètre initial du foramen ainsi que sa position ne doivent pas être modifiés. L'appareil nous indique ce « dépassement » par un bip ou par l'éclairage d'une diode suivant les modèles. Cette manoeuvre avec de si petits instruments n'est pas iatrogène. La lime de perméabilité est alors retirée graduellement jusqu'à ce que l'indication du foramen soit à nouveau donnée par l'appareil. Le mouvement de retrait se poursuit afin de confirmer l'éloignement de la pointe de la lime du foramen. La longueur est matérialisée en déplaçant le « stop » en silicone de la lime sur un repère coronaire fiable et le plus plat possible (pointe cuspidienne émoussée à la fraise). La mesure est notée sur la fiche du patient mais la manoeuvre est renouvelée deux ou trois fois afin de vérifier la réitération du résultat (fig. 2 et 3).

La fiabilité de ces appareils repose sur cet aspect itératif ; dès lors, il est inconcevable de réaliser cela à l'aide d'un instrument de mise en forme, rotatif de surcroît et encore moins à l'aide d'un instrument coupant.

Est-ce vrai qu'il est préférable d'être « court » plutôt que « trop long » ?

Les études cliniques qui évaluent la qualité des traitements endodontiques à partir de radiographies montrent qu'il est préférable d'être plus « court » que plus « long ». En fait, ce n'est pas aussi simple que cela, il est intéressant d'imaginer ce qui se passe au niveau du foramen pendant la mise en forme. En deçà de l'indication du foramen, tous les appareils ne sont pas précis et peuvent aboutir à une longueur de travail erronée. Cette « sous-préparation » (trop courte) sur les canaux courbes provoque un déplacement interne de la paroi du canal avec comme conséquence des zones non désinfectées et non obturées. Au-delà de la sortie foraminale, l'effet de coupe de l'instrument élargit l'orifice et entraîne une « surpréparation » avec un déplacement externe. Il est alors impossible de placer une obturation étanche. En effet, cette surpréparation en forme d'entonnoir inversé, ou de sablier, aboutit à une surextension du matériau, c'est-à-dire à un dépassement sans étanchéité. À l'inverse, une mise en forme régulièrement conique du foramen aux bords coronaires de la cavité d'accès avec respect du diamètre et de la position du foramentelle quelle a été préconisée par H. Schilder peut entraîner une surobturation mais avec étanchéité. Ces images radiologiques de « petits champignons » de ciment (pufs) ou de gutta dépassant le foramen sont alors les garants d'un scellement optimal du canal (fig. 4 à 7).

En résumé :

• le canal doit être nettoyé et désinfecté de l'entrée coronaire au ,foramen, c'est la vraie longueur de travail. Elle est déterminée avec un appareil électronique (localisateur d'apex) ;

• la mise en forme avec des instruments rotatifs tranchants doit se faire à cette longueur moins 0,5 mm afin d'éviter de déformer le foramen ;

• la perméabilité du foramen doit être maintenue pendant toute la procédure à l'aide de l'irrigation et d'une lime K n° 10.

La notion de « longueur de travail » n'est-elle pas réductrice par rapport au système endodontique et à sa complexité ?

Elle l'est si on se contente de notions techniques, mais trouver cette sortie apicale et mettre en forme le canal principal à partir des valeurs géométriques du foramen en recherchant une conicité est la meilleure voie pour aborder l'anatomie secondaire de l'endodonte. Les canaux latéraux et les isthmes sont lavés et désinfectés par le renouvellement de la solution d'irrigation. Le scellement par du ciment endodontique d'un cône « plein » (gutta) dans un cône « creux » (canal) et sa compaction seront optimisés si le diamètre du foramen est respecté et le plus étroit possible. Les propriétés rhéologiques seront augmentées en utilisant de la gutta-percha réchauffée et compactée soit directement, soit par un tuteur en plastique.

Actuellement, la difficulté vient surtout de l'évaluation préopératoire de cette complexité anatomique. Elle détermine en effet le degré d'infection et la complexité clinique pour obtenir le résultat en termes de temps et de contrôle du travail effectué. L'apport de la radiographie numérique 3D (micro-CT-scan) est prometteur dans ce sens. Son coût doit s'harmoniser avec une utilisation elle aussi raisonnée. L'échographie ne semble pas être une voie d'avenir pour l'instant.

Mais va-t-on encore avoir besoin de déterminer la longueur de travail dans l'endodontie future ?

La régénération de la pulpe n'est pas une pratique routinière et elle repose encore et néanmoins sur une désinfection préalable et totale du réseau canalaire. Le tissu régénéré provient des cellules souches présentes dans les tissus péri-apicaux. Conservons nos localisateurs d'apex, ils risquent de nous être encore bien utiles et pour longtemps !

Lectures conseillées

    Deux ouvrages de référence en endodontie.

    Simon S et al. Endodontie : traitements (vol.1),retraitements (vol.2). Éditions CdP, 2008-2009.