Chacun cherche... sa brosse à dents - Clinic n° 01 du 01/01/2010
 

Clinic n° 01 du 01/01/2010

 

ENQUÊTE

Enquête réalisée Fanny GRÉGOIRE  

Pour inciter à changer de brosse à dents plus souvent, il faut motiver les Français et, surtout, faciliter leur choix. Pas si facile avec la multiplication des références de plus en plus sophistiquées ! Un défi qui demande aux marques plus d'ingéniosité que de technicité.

nDe plus en plus techniques pour un maximum d'efficacité, colorées et dessinées par des stylistes, alliant petits prix et choix maximal... Rien n'y fait. Malgré les multiples efforts des fabricants pour attirer le consommateur, les brosses à dents ont du mal à séduire, en pharmacie comme en grandes et moyennes surfaces (GMS) où se concentrent de 85 à 90 % des ventes. Les brosses à dents se renouvellent beaucoup moins vite que les tubes de dentifrice, jetés dès qu'ils sont vides, parce que les Français n'en voient pas toujours la nécessité et parce que choisir une nouvelle brosse relève plus de la corvée que du plaisir. Mal aimé des Français qui n'ont pas une culture hygiéniste aussi poussée que celle des Allemands, sans parler de celle des Japonais, le rayon n'est pas non plus toujours une priorité pour les marques qui doivent arbitrer entre les dentifrices, les brosses à dents, les bains de bouche... Quelle catégorie privilégier ? Qu'est-ce qui rapporte le plus ? Les innovations sur les brosses liées à une technologie avancée exigent d'importants moyens : trouver de nouveaux concepts, les tester, prouver leur supériorité, les breveter, les fabriquer avec de nouveaux moules... sans parler des campagnes de lancement ! Le retour sur investissement est donc assez faible, et ce d'autant que la fabrication - hormis celle des spécialistes comme Gum, réalisée dans leurs usines de Chicago et du Japon - est en majorité déléguée à des façonniers spécialisés, en particulier suisses et allemands (Aquafresh et Sensodyne). Même si les brosses à dents ne sont pas vendues cher - le prix moyen des modèles classiques n'excède pas 3 à 3,50 ? -, les patients qui n'ont pas de problème bucco-dentaire particulier se montrent, dans l'ensemble, plus sensibles au prix qu'aux qualités techniques. Ils ont beaucoup de mal à faire leur choix dans les hypermarchés et supermarchés où le classement est loin d'être clair. Résultat : ils se tournent par facilité vers les offres promotionnelles et les lots, ou encore les brosses des marques de distributeurs et hard discounters (lire l'encadré « Les Français achètent en grande surface »), ou, mieux, vers la pharmacie. Celle-ci fait un gros effort pour rester compétitive : pour mettre fin aux a priori, elle met en avant quelques références en promotion au même tarif qu'en grande distribution. Que penser de cette tentation de proposer du « low cost » ? « Ce n'est pas en réduisant les coûts mais en développant les plus-values que l'on peut faire progresser le marché. Ce sont le moyen et le haut de gamme qui tirent la croissance » s'accordent à dire les responsables marketing des acteurs les plus dynamiques.

Le dynamisme de la GMS

Détenues par des groupes mondiaux (Unilever, GlaxoSmithKline, Procter & Gamble, Colgate, Henkel) qui ont la capacité d'investir fortement et durablement, les marques de brosses à dents en GMS sont des acteurs clés de l'ensemble des catégories Oral Care qui avoisine 1 milliard d'euros (935 millions au cumul annuel mobile de février 2009, d'après Nielsen). Rien d'étonnant si l'on retrouve, sur le segment des brosses à dents, la plupart des marques majeures de dentifrices qui à eux seuls constituent, il faut le souligner, plus de la moitié de la totalité du « business » bucco-dentaire. Ce marché « secondaire » pour certains, reste une priorité pour Signal et Aquafresh. Pour réagir à la poussée des marques des distributeurs (MDD), Unilever a continué à enrichir son catalogue avec de nouvelles brosses qui revendiquent un plus technique pour répondre à un besoin spécifique : en 2007, Micro-Pro, dotée de poils effilés pour un brossage en douceur des dents et gencives sensibles ; puis, début 2008, Style Tech, la première brosse équipée d'une ossature en métal et d'un très long cou, inspirée des outils des professionnels, pour mieux atteindre les dents du fond, premières cibles des caries. Pour qu'elle soit également attirante, il confie son design à Pininfarina, bien connu dans le milieu automobile. Même démarche active pour Aquafresh qui étend la distribution en magasins de deux nouveautés majeures de 2008 : Inter Espaces (inspirée du fil dentaire pour atteindre 50 % d'espaces interdentaires de plus qu'avec une brosse classique) et Vibration, toutes deux équipées du manche flexible breveté, signe distinctif de la marque, protecteur des gencives.

Clarifier le rayon, une priorité

Mais aussi complète soit-elle, l'offre se vend mal si elle n'est pas assez visible, ni assez claire. Fortes de ce constat, pour le 1er semestre 2010, les deux marques n'annoncent pas de lancement mais la clarification du rayon. « Le consommateur est perdu devant le rayon. Avec des packagings plus explicatifs et une communication sur le linéaire, nous allons l'aider à se retrouver plus facilement et, ainsi, tenter de le fidéliser » explique Isabelle Bui chez Signal. « Le linéaire des brosses à dents est l'un des plus difficiles d'accès et des plus laborieux, tant pour le personnel des magasins que pour les consommateurs. Toute la profession doit se mobiliser pour trouver, comment l'améliorer. Nous relançons l'ensemble de nos références pour clarifier notre offre et mieux communiquer sur chaque spécialité. Il s'agit d'un objectif prioritaire » insiste Christophe Werner chez GSK.

La pharmacie peine à réagir

Très fortement menacée par la GMS dont l'offre conjugue technicité et attractivité, la pharmacie peine à réagir. Dominée par deux marques généralistes qui contribuent à près de 50 % du chiffre d'affaires (lire encadré « Groupes et marques leaders »), elle semble vouloir davantage se battre sur le terrain tactique des animations et des promotions qu'investir dans de vraies innovations. Elgydium n'a pas lancé de nouvelles brosses mais des collections limitées avec présentoirs qui attirent l'oeil par leurs couleurs et leur esthétique : Pop Art en 2008, Xtrem en mars 2009. Pour répondre à l'agressivité des MDD, Pierre Fabre Santé lance des lots de deux brosses made in Europe - modèle unique, sans protège-tête - sous la marque Péri Dental. De son côté Fluocaril, porté par ses dentifrices, se met clairement en retrait sur les brosses manuelles pour favoriser la montée en puissance des brosses électriques Oral-B, priorité de Procter & Gamble. Du côté des marques de spécialistes prescrites, pas de nouveauté révolutionnaire non plus mais de nouvelles gammes enfants. Après celle d'Inava fin 2008 (Kids pour les 2-6 ans, Junior et Ortho pour les 7-12 ans), une ligne élaborée au Japon arrivera en France. Dans le courant de l'année, de nouveaux modèles remplaceront des brosses existantes chez Inava comme chez Gum. Outre ses visites médicales, cette dernière annonce une campagne sur la Toile qui complétera un plan de communication dans la presse spécialisée.

Sauf surprise, l'actualité pour le premier semestre 2010 n'apportera vraisemblablement pas de coup de fouet au marché. Même si une clarification du rayon est attendue en GMS, le chirurgien-dentiste n'est-il pas le mieux placé pour conseiller le type de brosse adapté à la problématique du patient ? Qui d'autre peut expliquer aux adultes les progrès de la technologie, la différence entre des brosses souple, moyenne et dure, et l'étendue de finesse de diamètre des brins de 7/100, 15/100, 18/100, 20/100 et 25/100, invisibles à l'oeil nu, qu'offrent des brosses sobres, trop souvent derrière le comptoir ? Ou encore l'intérêt de brosses, peut-être plus chères certes, mais dont l'efficacité contre la plaque dentaire est reconnue scientifiquement ?

Groupes et marques leaders

En GMS (parts de marché en valeur)*

Sur un total de 140,9 millions d'euros de chiffre d'affaires (stable) :

1. Unilever (Signal), 35,8 % ;

2. MDD, 19,1 % ;

3. GSK (Aquafresh, Sensodyne), 18 % ;

4. Colgate-Palmolive, 18 % ;

5. Procter et Gamble (Oral B), 3,9 %.

En pharmacie (parts de marché en valeur)**

Sur un total de 33,5 millions d'euros de chiffre d'affaires (+ 3 % de juin 2008 à juin 2009) :

1. Pierre Fabre (Inava, Elgydium), 44,6 % ;

2. Procter & Gamble (Fluocaril, Oral-B), 36 % ;

3. Sunstar France (Gum), 6,7 % ;

4. Colgate-Palmolive (Gaba avec Elmex, Méridol), 6,6 % ;

5. Omégapharma, 3,2 %.

En valeur, Inava demeure de loin le leader (28 %) devant Elgydium et Fluocaril, ex aequo (19 %). En revanche, en volume, les trois premières marques ont presque le même poids : Inava avec 26 % de parts de marché, Fluocaril avec 25 % et Elgydium avec 23 % distancent largement Parogencyl (9 %) et Gum (7 %).

* Source : Nielsen, cumul annuel mobile à la mi-août 2009.

** Source : IMS Health, cumul annuel mobile en juin 2009.

Les Français achètent en grande surface...

C'est en poussant leur caddie dans les rayons des supermarchés et des hypermarchés que les Français achètent le plus souvent leurs brosses à dents. Il s'en est vendu au total plus de 104,7 millions de mi-août 2008 à mi-août 2009 (+ 2 %) pour une valeur de 140,8 millions d'euros (- 0,2 %). Ce marché qui fait moult promotions (de 21 à 35 % selon les mois), avec de nombreuses offres multipacks, regroupe deux grands types d'offres : les basiques (52,7 % en volume, soit 28,2 % en valeur) en recul, les techniques et ultra-techniques (35 % en unités, soit 58 % en valeur). Les deux segments qui tirent leur épingle du jeu sont, en valeur, les segments des brosses à dents techniques (+ 2,4 %) et celui des brosses à dents enfants qui progresse de 2,1 %.

...et se montrent moins sensibles aux marques

En quelques années les marques de distributeurs ont pris une part très importante : elles arrivent en tête des ventes en volume avec 36 % de parts de marché et en seconde place derrière Signal (Unilever) en valeur avec 19,1 %. Toutefois, elles ont atteint leur limite puisque leurs ventes ont chuté en volume (- 4,3 %) et se tassent en valeur (- 0,4 %).

Comment faire décoller la consommation ?

Une brosse à dents toute neuve a une efficacité de 50 % supérieure à une vieille brosse à dents. Or, les Français utilisent en moyenne 2,4 brosses par an, alors qu'il en faudrait 4. C'est nettement moins bien que les Allemands, les Suisses et surtout les Japonais, obsédés par la propreté, mais c'est mieux que les Italiens et les Espagnols qui, malgré leur réputation de séducteurs, ont une hygiène dentaire moins bonne que la nôtre ! Ces différences de comportement sont principalement dûes à des modèles d'éducation et de culture divergents qui s'acquièrent dès la petite enfance. D'où l'importance des actions menées dans le primaire par les marques leaders pour éduquer les nouvelles générations. « Se brosser correctement les dents deux fois par jour réduit de 50 % le risque de caries, c'est déjà un premier bénéfice tangible. Les enfants sont un formidable vecteur pour faire changer les parents ! » souligne Isabelle Bui, responsable de la marque Signal. Présente dans les écoles depuis 18 ans avec ses kits pédagogiques distribués massivement (20 000 exemplaires qui touchent près de 90 % des élèves de CP) initiant au brossage deux fois par jour, Signal revendique une action réelle contre la plaque dentaire qui fait reculer le risque de carie (de moins de 21 % en moyenne, en 3 mois, sur 299 enfants, publication IADR).

Prometteuses, les brosses électriques ?

La vente des brosses à dents électriques a fortement progressé en 2009 (+14 %) alors que tous les autres segments sont en recul*. Elle ne représente toutefois que 7 % de la totalité des produits Oral Care. Les dentifrices constituent plus de la moitié du marché (51,2 %), suivent les brosses à dents manuelles (17,5%), les bains de bouche (15,6%). Les fixatifs et nettoyants pour appareils dentaires n'ont pas un poids significatif. La brosse à dents électrique est sous-utilisée en France car ses bénéfices sont peu connus et en partie controversés. Son prix - qui n'a rien à voir avec celui des brosses manuelles - constitue en outre un frein majeur : le taux de pénétration de la brosse à dents électrique est de 10 % seulement, contre 33 % en Allemagne, et la moyenne européenne est de 17 %. Une meilleure information auprès des chirurgiens-dentistes permettra-t-elle de convertir davantage de Français à l'électrique ? C'est la conviction des représentants d'Oral-B (groupe Procter & Gamble), qui succède à Braun, pionnier de la brosse à dents électrique. Forte d'études cliniques prouvant l'efficacité de la brosse électrique oscillo-rotative sur l'élimination de la plaque dentaire et la prévention de la gingivite, la marque s'appuie sur une équipe spécialisée d'une soixantaine de personnes pour toucher à la fois les étudiants dans les facultés dentaires et les chirurgiens-dentistes (7 000 en 2009). Ces derniers sont toutefois moins réservés que les premiers, puisque les deux tiers d'entre eux recommanderaient la brosse à dents électrique (66 % en 2008 contre 43 % en 2007), ce qui ne les empêche pas de continuer à recommander la brosse à dents manuelle à 90 **.

La cible privilégiée ? « Les personnes les plus impliquées dans l'hygiène et le soin de leur bouche. D'une part, les personnes très soucieuses de leur apparence qui recherchent avant tout un bénéfice beauté et, d'autre part, celles qui veulent préserver leur capital santé » affirme Pierre Fraignaud, chef de groupe. Avec la gamme la plus complète, de 25 à 160 ¤ (Vitality pour s'initier, Professional Care pour les gencives sensibles, Triumph première brosse électrique sans fil avec coach virtuel), Oral B détient 75 % du marché de la brosse électrique. Sur la catégorie des brosses à piles, dites « hybrides », à microvibrations, Colgate, Signal, Aquafresh et Oral-B ont des offres entre 6 et 10 ¤, Gum Original White se situe autour de 12 ¤ en pharmacie.

Source : Nielsen, cumul annuel mobile à la mi-août 2009.

* Selon Nielsen, cumul annuel mobile de février 2009. ** Selon l'étude « Usage et attitudes auprès d'un échantillon représentatif de 205 dentistes », octobre-novembre 2008.