Le jazz et la... dentisterie - Clinic n° 01 du 01/01/2010
 

Clinic n° 01 du 01/01/2010

 

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PASSIONS

Catherine FAYE  

Propos recueillis par

Perfectionniste et idéaliste, Sylvain Silvera est un guitariste investi, calme et mesuré. Son style swingue et prend racine dans l'univers du jazz. Deux passions l'habitent : la dentisterie et la musique. De Tunis à Rabat, en passant par Casablanca, son enfance est un voyage entre l'Afrique du Nord et les six cordes de son instrument. Mais c'est à Paris Descartes qu'il obtient son diplôme de chirurgien-dentiste en 1974. Deux ans après, il s'installe dans son cabinet de Mantes-la-Ville où il continue d'exercer. Il se consacre à ses patients comme à ceux qui l'écoutent, avec rigueur mais sans se prendre au sérieux.

Comment êtes-vous devenu musicien ?

Dès que j'ai été en âge de marcher, j'ai été poussé vers la musique. J'en écoutais tout le temps, à la radio, chez les copains, dans la rue. C'est une pulsion... Je ne peux pas l'expliquer. À 16 ans, je suis passé à l'acte.

De quelle manière ?

Je prenais des cours particuliers d'anglais et mon professeur avait une guitare. Pendant les cours, je ne faisais que la regarder et ça le dérangeait. Alors, il me l'a donnée, pour être tranquille. Au grand désespoir de mes parents : ils pensaient que je n'arriverais pas à poursuivre mes études en faisant de la musique.

Comment avez-vous appris à en jouer ?

Je suis autodidacte. Ma guitare entre les mains, j'ai cherché, tout seul, en écoutant aussi bien Django Reinhardt que les Shadows... J'ai essayé de reproduire. La guitare se prête bien à ça. Au départ, je jouais trois accords, sur des airs d'Elvis Presley, de Gene Vincent, des compositions des années 1960.

Avez-vous formé un groupe ?

À Rabat, j'ai rencontré un kinésithérapeute guitariste de jazz. J'avais 17 ans, lui 50. Il était passionné de musique. Je suis allé prendre des cours chez lui, il m'a écouté et m'a dit : « Si tu as du temps libre, je t'engage pour m'accompagner dans un groupe de jazz d'adultes, chaque semaine. » Ils jouaient du jazz des années 1950. Mes parents n'ont pas apprécié et ont décidé de m'envoyer en pension en France... sans guitare ! Je l'ai très, très mal vécu.

Vouliez-vous devenir professionnel ?

Je voulais faire de la musique en tant que professionnel mais sans pour autant devenir une vedette. Je suis quelqu'un de méticuleux et qui reste plutôt dans l'ombre. Mais j'ai décidé de faire des études et je ne le regrette pas. Je me suis dirigé vers la dentisterie sans vraiment connaître ce métier. J'ai découvert au fil de ces années d'études l'aspect manuel de la profession et j'ai senti que cela répondait à mes aspirations. À partir de la deuxième année, j'ai enfermé ma guitare dans un placard, pendant trois ans. Ensuite, je l'ai libérée.

Comment vous êtes-vous remis à la musique ?

J'ai joué de la musique de variété dans des boîtes de nuit, lors de concerts : les Beatles, les Rolling Stones... Et, sur mon chemin, il y a toujours eu des musiciens ou des amateurs de musique qui me relançaient. Ça vient à moi.

Combien de guitares avez-vous aujourd'hui ?

J'ai deux belles Gibson. Une ES-175, de 1953, et une L5, de 1977. On me les a rapportées des États-Unis.

Que symbolise cet instrument pour vous ?

La guitare représente un trait d'union, de transmission de l'émotion. Une façon de s'exprimer.

Aimez-vous jouer seul ?

J'aime l'ambiance d'équipe, la bonne humeur et je suis plutôt à l'écoute des autres. Je privilégie les rapports amicaux. Je joue avec des amateurs éclairés. C'est en jouant dans un groupe que l'on apprend vraiment, que l'on se rend compte des difficultés : il faut savoir écouter globalement puis isoler chaque canal pour ne jouer ni trop fort ni pas assez. C'est initiatique et c'est une chance.

Où votre groupe s'est-il produit ?

Au Sunset, au Petit Journal Saint-Michel et dernièrement au Petit Journal Montparnasse. On est huit, avec une chanteuse.

Avez-vous des projets ?

Oui, une association de danse que l'on appelle le bop ou le be-bop m'a contacté pour que je fasse un répertoire articulé autour de leurs danses. Ce sera une fusion, une combinaison. Un festival est organisé le 19 juin 2010 à Maudétour-en-Vexin, dans le Val-d'Oise. Et puis, un prochain concert avec mon groupe est prévu en octobre 2010 au Petit Journal Montparnasse à Paris.

Écoutez-vous de la musique dans votre cabinet ?

J'écoute la musique à 100 % ou pas du tout. Je n'ai jamais supporté de fond musical quand je travaille. Mais dans ma salle d'attente, je mets du classique pour détendre mes patients, les reposer. J'aime bien Mozart et Bach, mais ce n'est pas ma musique de prédilection.

Pourquoi ?

J'arrive toujours à anticiper lorsque j'écoute des morceaux de musique classique, à deviner ce qui va suivre. Alors qu'en jazz, il y a toujours de l'improvisation, des surprises.

Avez-vous un modèle ?

Toutes les compositions de Cole Porter. Elles ne vieillissent pas. Night and Day, par exemple. La musique brésilienne de A. Carlos Jobim m'a également inspiré. J'aime la combinaison de l'émotion, du rythme et des mots.

Quel est votre rapport au temps ?

Je prends mon temps, j'ai toujours été comme ça. Je ne cours pas après la rentabilité, je ne suis pas à la mode et ça ne m'intéresse pas.

Pour vous, qu'est-ce que le jazz ?

En quelques mots, c'est la simplicité, l'efficacité, l'improvisation et la transmission de l'émotion en quelques notes.

Quelle qualité faut-il avoir pour être musicien ?

De l'empathie. Dans une interview, Jacques Brel a dit : « Être artiste, c'est avoir mal aux autres. » La musique, c'est ça : si l'on veut pouvoir donner de l'émotion, il faut d'abord l'intégrer.

Quelques musiciens humanistes ?

Charles Aznavour pour son engagement humanitaire en Arménie... Sting qui combat la déforestation amazonienne... La musique peut aller dans le sens de l'évolution de l'humain.

Votre devise ?

Rien n'est jamais fini.

Quelles répercussions au quotidien ?

Je ne fais pas de la dentisterie à moitié, sans m'y intéresser, bien au contraire. C'est également une passion. Je suis fait pour ce métier. Il demande un sens artistique et du goût.

Je travaille quatre jours par semaine, ça s'équilibre mieux avec ce que j'ai à faire d'autre. Dans mon cabinet, j'ai fait installer une isolation phonique : j'adore le silence, c'est aussi de la musique. Et puis, je répète tous les jours chez moi, une heure et demie le soir après le dîner. J'ai une pièce qui ressemble à un studio d'enregistrement et on ne m'entend pas dans la maison.