La revascularisation canalaire - Clinic n° 06 du 01/06/2010
 

Clinic n° 06 du 01/06/2010

 

ENDO… AUTREMENT

Stéphane SIMON  

Post doctorant INSERM UMRS 872 – Université Paris 7
Associate researcher University of Birmingham (UK)
Exercice privé limité à l’endodontie (Rouen-76)

La chirurgie dentaire n’échappe pas aux progrès de la médecine moderne et l’ingénierie tissulaire fait désormais partie de notre arsenal thérapeutique. L’accumulation de nos connaissances à propos des cellules souches et de leur possible manipulation ouvre quotidiennement de plus en plus de portes vers une odontologie plus biologique et plus pharmacologique. Sans vouloir écarter complètement nos instruments rotatifs et autres fraises, il nous semble de plus en plus nécessaire de concevoir une dentisterie et, notamment une endodontie, différente et résolument plus moderne.

La revascularisation canalaire est un exemple de ce type de thérapeutique ouverte sur l’avenir. Redonner vie à un canal dont la pulpe s’est nécrosée (soit, en d’autres termes, induire la formation d’un tissu conjonctif vascularisé) n’est plus un rêve pieux.

Le coiffage pulpaire : un exemple d’ingénierie tissulaire

Le coiffage pulpaire, dont l’objectif est d’obtenir la formation d’une barrière de tissu minéralisé (le pont dentinaire), est déjà une forme d’ingénierie tissulaire puisqu’il permet la régénération d’un tissu partiellement détruit.

Lors d’une effraction partielle de la pulpe camérale, le tissu pulpaire restant est probablement impliqué, voire responsable du processus de cicatrisation. La mise en place d’un matériau dédié directement en contact avec le tissu conjonctif endocanalaire permet d’induire le processus de cicatrisation, consistant à recruter les cellules de remplacement, favoriser leur différenciation en odontoblastes (cellules sécrétrices de dentine) et, enfin, activer leur processus de synthèse et de celui de minéralisation d’une nouvelle dentine. Si l’origine des cellules de remplacement n’est pas clairement identifiée, pas plus d’ailleurs que les processus exacts mis en jeu, le parenchyme pulpaire semble être le support le plus approprié pour obtenir une cicatrisation pulpo-dentinaire.

Vers une régénération plus large

Cette approche d’ingénierie tissulaire reste limitée au traitement des destructions partielles de la pulpe, nécessitant la persistance de tissu vivant dans le reste de l’endodonte. Si cette régénération locale est de plus en plus indiquée et cliniquement reproductible, qu’en est-il d’une régénération plus large intéressant l’intégralité d’un canal ? Lorsque la destruction tissulaire est plus importante, l’ensemble de la pulpe est concerné par le processus inflammatoire puis infectieux, et sa conservation est impossible. Dans ce cas, l’ensemble des tissus résiduels doivent être éliminés et le système endodontique désinfecté puis obturé afin de prévenir toute recontamination bactérienne secondaire.

Bien que les procédures de traitement endodontique permettent d’obtenir des résultats prédictibles et reproductibles, il apparaît que la régénération de novo d’un tissu conjonctif au sein du système endodontique est une solution plus appropriée que le remplissage canalaire avec un matériau inerte.

Le traitement d’un canal « vide » avec une stratégie de régénération pose un certain nombre de difficultés qui doivent être surmontées telles que :

• le recrutement de cellules ;

• la mise au point de matériaux permettant la croissance et l’organisation du tissu néoformé ;

• le choix et l’utilisation de molécules de signalisation ;

• la vascularisation du tissu néoformé.

Le problème de la revascularisation en endodontie est difficile à gérer dans la mesure où la seule voie de pénétration des capillaires est le foramen, dont le diamètre est en général inférieur à 200 µm.

Néanmoins, partant du principe que la vie d’un tissu est associée à la circulation sanguine, des premières expérimentations de revascularisation ont été réalisées dès les années 1960. À cette époque, les opérateurs tentaient d’induire un saignement dans le canal, considérant que le caillot sanguin lui-même pouvait se comporter comme un réservoir de facteurs de croissance nécessaires au processus de régénération [1]. Mais finalement, la régénération d’un tissu vasculaire s’est révélée très limitée, à savoir sur une hauteur de 0,1 à 1 mm en moyenne dans un canal qui, quant à lui, mesurait de 14 à 16 mm [2]. Le second problème posé est que la régénération était induite à partir d’un saignement issu du ligament parodontal, permettant le recrutement de cellules osseuses ou du ligament, mais en aucun cas d’origine dentaire.

Dans l’état de connaissance de l’époque, l’origine de recrutement de ces cellules était incompatible avec le processus escompté. Un peu plus tard, une nouvelle approche a consisté à utiliser un polymère biodégradable comme support de produits pharmacologiques susceptible d’induire la régénération [3]. Alors que les résultats ex vivo étaient très concluants, les investigations cliniques menées dans un second temps ont dû être rapidement stoppées à cause de l’intensité des douleurs postopératoires rapportées par les patients [4]. À nouveau, le manque de connaissances à l’époque sur les cellules souches et notamment sur les niches dentaires s’est avéré être un facteur limitant l’élaboration d’autres approches thérapeutiques.

Ce n’est qu’à partir de 2001 que les avantages et les objectifs attendus de la revascularisation d’un canal ont connu un regain d’intérêt. Depuis, de nombreux cas cliniques de revascularisation canalaire sur des dents immatures nécrosées ont été publiés [567-8].

La papille apicale présente à l’apex d’une dent immature pourrait être un réservoir de cellules souches d’origine dentaire, susceptibles de recoloniser un canal lorsque cette papille est désorganisée avec une lime endodontique passée au-delà de l’« apex ». Ces fameuses cellules souches, appelées SCAP (stem cell of apical papilla, cellules souches de la papille apicale), auraient la particularité de rester vivantes, même en présence d’une infection majeure du système endodontique, et leur rôle éventuel dans le processus de régénération a été proposé [9].

À partir de ce principe, un protocole « standardisé » en deux étapes peut être appliqué (fig. 12345678910111213 à 14).

La première séance comporte :

• anesthésie périapicale et pose du champ opératoire ;

• accès au canal par une cavité d’accès respectant tous les critères requis ;

• irrigation abondante du canal avec du sérum physiologique – le canal n’est pas instrumenté ;

• séchage du canal ;

• application d’une couche d’adhésif sur les parois dentinaires de la cavité d’accès et photopolymérisation ;

• mise en place dans le canal d’une pâte composée de 3 antibiotiques (voir tableau 1 pour les modalités de préparation, d’après Hoshino et al. [10]) ;

• obturation provisoire de la cavité d’accès.

La seconde séance (2 à 3 semaines après la précédente) se déroule comme suit :

• anesthésie périapicale sans vasoconstricteur ;

• élimination de la pâte antibiotique intracanalaire ;

• rinçage au sérum physiologique. Le canal doit pouvoir être séché sans ambiguïté ;

• avec une lime endodontique stérile de 15/100e, passage au-delà du foramen pour induire un saignement apical et laisser le sang remonter dans le canal jusqu’à la jonction amélo-cémentaire ;

• attente de la formation d’un caillot sanguin ;

• obturation de la partie coronaire du canal avec du ProRoot MTA® ;

• obturation de la cavité d’accès avec un composite étanche.

Le patient est ensuite suivi tous les 3 mois. Un contrôle radiographique à chaque séance permet de suivre l’évolution de la lésion osseuse périapicale, d’une part, et d’observer une éventuelle fermeture du canal par un tissu minéralisé d’autre part (fig. 1516 à 17). Certains auteurs ont rapporté que les dents ainsi traitées pouvaient à nouveau répondre aux tests de vitalité, notamment au test électrique.

Indications

À ce jour, seules les dents immatures, à apex larges, peuvent être traitées de cette façon. S’il est démontré dans les années à venir que les cellules progénitrices sont recrutées à distance de la dent et non de la papille apicale, cette procédure pourrait être adaptée pour le traitement des dents matures en modifiant les protocoles d’instrumentation du canal.

À propos de la désinfection

Il est important de désinfecter le canal avant d’envisager sa revascularisation : la persistance de bactéries compromettrait la survie du tissu conjonctif.

Néanmoins, il a été démontré récemment que la contamination de la dentine canalaire par de l’hypochlorite de sodium limite, voire empêche, l’adhésion cellulaire [11]. Un simple rinçage du canal avec cette solution suffirait à limiter, voire empêcher, la régénération tissulaire à suivre. Ce point fait actuellement l’objet d’une controverse et d’autres auteurs ne voient pas d’inconvénient à l’utilisation d’hypochlorite de sodium à faible concentration (1 %) pour désinfecter le canal.

L’hydroxyde de calcium, quant à lui, est déconseillé à cause de ses propriétés de dissolution des matières organiques. L’application de cette médication en interséance provoquerait une destruction des cellules de la papille apicale et empêcherait le recrutement de cellules progénitrices lors de la seconde séance. Cette observation est également controversée, certains auteurs ayant décrit des situations cliniques où la revascularisation avait été possible malgré une désinfection du canal à l’hydroxyde de calcium [12].

Malgré toutes ces controverses, l’utilisation de la pâte contenant des antibiotiques en guise de médication désinfectante semble pour le moment être la plus appropriée. À ce sujet encore, une controverse existe. Pour certains, l’association des 3 antibiotiques semble présenter le spectre d’action le plus approprié, tandis que pour d’autres l’utilisation de l’association amoxicilline-acide clavulanique en application topique constituerait la meilleure option. Il convient de noter que dans le mélange proposé, l’utilisation d’un antibiotique de la famille des tétracyclines n’est pas sans risque, notamment dans ce type d’application dont les indications concernent souvent une population jeune.

Que se passe-t-il sur le plan biologique ?

La cicatrisation quasi systématique des lésions apicales confirme la pertinence de ce genre de traitement. En effet, l’objectif d’un traitement en endodontie consiste à replacer la dent dans un contexte biologique favorable, permettant d’induire secondairement la cicatrisation d’une lésion et d’éviter sa récidive. Cliniquement, il est impossible de définir la nature du tissu, probablement conjonctif, formé à l’intérieur du canal.

Certains auteurs ont rapporté, en plus de la cicatrisation osseuse, la possibilité d’une apexogenèse qui jusqu’ici était stoppée, voire même un épaississement des parois radiculaires. Ces observations permettraient de confirmer la formation d’un tissu ayant des capacités dentinogénétiques et, donc, proche de la pulpe. Pour d’autres, il s’agirait uniquement de la formation d’un tissu conjonctif quelconque, assurant une vitalité au sein de la dent, mais dépourvu de toute propriété dentinogénétique. Par ces considérations différentes, les uns parlent de procédure de « régénération pulpaire » [13], alors que pour d’autres il s’agirait d’une simple « revascularisation » du canal [14].

Si, sur le plan cognitif, connaître la nature du tissu néoformé est intéressant, il s’avère que pour le clinicien, le fait d’obtenir une « revitalisation » du canal est déjà une étape importante de franchie. Le remplissage du canal avec un tissu conjonctif permet d’obtenir une excellente obturation endodontique biologique assurant, en plus des rôles conventionnels de tout autre matériau d’obturation, une action de défense d’origine vasculaire et cellulaire contre les micro-organismes.

Les limites…

Malgré la publication de nombreux cas cliniques dans la littérature endodontique, très peu de choses sont connues sur les processus biologique et physiologique impliqués. Ces lacunes représentent la limite majeure de la généralisation de cette approche thérapeutique. De nombreuses investigations sont actuellement en cours pour améliorer la technique et optimiser la compréhension du processus. L’Association américaine d’endodontie a récemment ouvert un site Internet pour collecter les cas cliniques traités de cette façon, par des spécialistes de la discipline ou non, afin d’évaluer les implications en termes de santé publique à court, moyen et long termes. Les rares analyses épidémiologiques publiées sur ce sujet sont encourageantes, mais l’absence de connaissance sur les processus biologiques engagés doit nous inciter à une certaine réserve sur le développement de ce type de thérapeutique. À la question : « Peut-on mettre en œuvre cette procédure dans notre cabinet dentaire ? », nous pouvons répondre « oui », à condition que le suivi du patient à long terme soit possible, tant au niveau de l’organisation du cabinet que de la motivation du patient et de son entourage. Le patient (ou ses représentants) devra être informé du caractère novateur de la thérapeutique mais également des risques encourus. Le noircissement de la couronne est par exemple une complication fréquente (fig. 18), même si elle est diminuée par l’application de l’adhésif dans l’intrados de la cavité d’accès (fig. 3).

En cas d’échec, le traitement endodontique par apexification sera toujours possible, à condition de pouvoir éliminer le bouchon de MTA sur la partie coronaire. Tout praticien se sentant « apte » à effectuer ce type d’intervention pourra alors envisager la technique de revascularisation ; il devra néanmoins se tenir informé de l’évolution des connaissances afin de pouvoir appliquer et mettre en œuvre les nouvelles recommandations issues des travaux de la recherche.

Conclusion

L’ingénierie tissulaire est une discipline particulièrement excitante et l’odontologie ne sera pas épargnée par cette évolution. Le coiffage pulpaire et la revascularisation canalaire de la dent immature représentent une première illustration de l’évolution de l’endodontie dans les années à venir. D’ores et déjà, nous devons prendre conscience de la tournure que vont prendre les événements, tout en acceptant également l’idée que la biologie est particulièrement complexe et ne nous permettra probablement pas de faire autant d’erreurs que celles qui étaient tolérées avec l’approche mécanique.

Dans la même idée de l’endodontie que nous imaginons pour demain, nous aborderons dans le prochain numéro de notre rubrique les cellules souches d’origine dentaire et, notamment, de la pulpe. Nous ferons le point sur leur définition, leur localisation, leurs rôles et les différentes applications cliniques possibles et envisageables.

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  • 13. Huang GT, Lin LM. Letters to the editor : comments on the use of the term « revascularization » to describe root regeneration. J Endod 2008;34:511.
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