Réviser ses croyances (2e partie) - Clinic n° 10 du 01/11/2010
 

Clinic n° 10 du 01/11/2010

 

ÉTHIQUE

Guillaume Savard  

Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique

N’est pas si simple mais passionnant.

Dans la chronique précédente, nous avons décrit succinctement la manière dont la logique formalise les révisions de croyances, qu’il s’agisse d’un changement d’opinion ou d’une mise à jour de connaissances. Mais la révision des croyances permet de décrire également l’évolution de la science, la conduite d’un diagnostic ou l’affinage des théories biomédicales.

La plupart des expériences qui viennent contredire une théorie établie se heurtent « à des stratagèmes immunisateurs visant à sauver à tout prix la partie d’une théorie que l’on désire conserver1 ». Le système cherche à se préserver car il correspond aux croyances les plus profondément enracinées de la communauté scientifique ; dans ce cas sont sacrifiées les « croyances auxquelles on est le moins attaché ». Il s’agit de « rectification » avec un minimum de changement.

Dans un contexte de « mise à jour », « la notion de priorité du message est renforcée par rapport à l’impératif de changement minimal ». On cherche moins, ici, à préserver le système qu’à en affiner les conditions, les paramètres. Imaginons la croyance suivante : lorsque j’ouvre les volets à telle heure, la lumière pénètre dans la pièce. Si cela ne se produit pas, la logique n’est pas contredite, mais on ajoutera aux prémisses de cette règle-croyance : si le ciel est dégagé, si l’heure n’est pas avant tel moment, etc. On parle alors de logique « non monotone ». « D’apparence purement déductifs, la plupart des raisonnements scientifiques sont en réalité non monotones, car ils présupposent implicitement une foule de conditions […] impossibles à expliciter de manière exhaustive, mais sans lesquelles la conclusion ne serait pas vraie. »

Ces systèmes de révision des croyances s’appliquent aussi bien à la vie courante (« Il y a des fruits dans la corbeille, je ne les trouve pas. N’y en a-t-il plus ? Sont-ils ailleurs ? ») qu’au diagnostic. L’« abduction » est le raisonnement qui consiste à cheminer des effets à la cause. Le diagnostic est un raisonnement par abduction. On y fait des hypothèses qu’on affine, corrige, teste, confirme ou élimine. Avec les mêmes phénomènes décrits ci-dessus.

Prenons un exemple : vous recevez un patient en urgence parce qu’il a mal. Vous pensez probablement à une pulpite ou à une infection périapicale. Sa joue n’a pas l’air enflée, vous commencez à éliminer l’infection. Il dit que ça fait très mal, qu’il a été réveillé cette nuit : vous pensez très fort au diagnostic de pulpite (« renforcement »). Il dit qu’il a la sensation que « ça bat » dans sa dent quand il penche la tête : vous êtes certain de la pulpite. Il ajoute qu’il a l’impression que sa dent est trop haute (information contradictoire) : vous négligez ce point tant le tableau ressemble à une pulpite ; vous pouvez imaginer d’autres diagnostics mais vous ne rejetterez probablement pas votre système de croyance le plus ancré, « la pulpite aiguë ».

Réviser ses croyances n’a rien de simple et en décrire le cheminement est passionnant. L’impact d’une nouvelle information (« Ce patient ponctuel n’est pas à l’heure », « La chirurgie implantaire en un temps a un bon taux de succès », etc.), lorsqu’elle provoque un conflit dans nos connaissances établies, est important car il détermine notre capacité à nous remettre en cause, à évoluer et à être toujours au plus près du réel et, donc, à mieux anticiper les résultats de nos interactions (interpersonnelles, sociales, thérapeutiques).

1. Zwirn D, Zwirn H. La révision des croyances. Pour la Science 2005 ; 49 : 90-95.