Les cellules souches pulpaires « for dummies* » - Clinic n° 11 du 01/12/2010
 

Clinic n° 11 du 01/12/2010

 

ENDO… AUTREMENT

Stéphane SIMON  

MCU-PH en sciences biologiques et endodontie
Université Denis-Diderot Paris VII
Laboratoire INSERM UMRS 872
Physiopathologie orale moléculaire Équipe 5
Groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP)
Associate researcher,
University of Birmingham (UK)

Les cellules souches… tout le monde en entend parler. Mais sait-on pour autant exactement de quoi il s’agit ?

L’objectif de cet article est de rappeler brièvement ce qu’est une cellule souche et de définir les spécificités des niches pulpaires.

Qu’est-ce qu’une cellule souche ?

En biologie, pour être considérée comme « cellule souche », une cellule doit présenter deux caractères particuliers :

• être capable de se renouveler à l’infini ;

• pouvoir se différencier en différentes cellules spécialisées.

Les propriétés de multipotence et d’« autorenouvellement » ne sont cependant plus absolument requises pour la définition du caractère « souche » des cellules, mais on exige en revanche que celles-ci puissent assurer leur fonction à long terme, ce qui les investit d’une capacité de prolifération très importante (fig. 1).

Dans la connotation de cellule souche, il y a souvent à tort la notion d’aptitude de ces cellules à pouvoir donner n’importe quelle autre lignée cellulaire. En fait, très peu de cellules ont cette aptitude.

Le terme « progéniteur » semble donc plus approprié que « souche ». Une cellule progénitrice est une cellule déjà engagée dans un processus de différenciation, capable d’acquérir un phénotype partiellement prédéterminé.

Ces cellules sont principalement présentes dans l’organisme au stade embryonnaire du développement, et certaines persistent au stade adulte. Les cellules de la lignée sanguine, par exemple, sont constamment renouvelées grâce aux cellules souches de la moelle hématopoïétique.

Quel que soit l’organe, la fonction première d’une cellule souche est de proliférer, de créer, chez l’embryon, et de pérenniser, chez l’adulte, la diversité des compartiments fonctionnels d’un tissu durant la vie de l’individu, en empruntant de multiples voies de différenciation.

Chaque organe possède ainsi une réserve de cellules progénitrices qui lui est propre, cellules qui sont déjà engagées dans un programme de différenciation mais qui restent capables de fournir les différentes cellules composant cet organe. Ces réserves sont appelées « niches ». Ainsi, par exemple, les niches de cellules souches nerveuses sont situées dans le cerveau au niveau de l’hippocampe et de la zone subventriculaire.

En fonction de son degré de différenciation, une cellule souche peut être qualifiée de totipotente, multipotente, ou pluripotente (fig. 2).

Totipotence, multipotence et pluripotence

La difficulté principale des travaux de recherche sur les cellules souches réside dans le fait qu’elles sont pratiquement impossibles à identifier in situ. En effet, elles ne présentent quasiment pas de critères de reconnaissance spécifiques. Contrairement aux autres cellules différenciées qui expriment des marqueurs cytoplasmiques (génétiques ou protéiques) ou sur leur membrane cytoplasmique, ce qui permet techniquement de les repérer et de les identifier, aucun marqueur spécifique n’est exprimé dans les cellules souches.

Une cellule totipotente a l’aptitude de produire l’ensemble des cellules d’un organisme. Il s’agit de la cellule la plus indifférenciée. On la retrouve au sein de la masse cellulaire interne du blastocyste. À l’exception des manipulations cytologiques expérimentales, tel le clonage par exemple, ces cellules ne sont pas exploitables en médecine.

Les cellules multipotentes, quant à elles, sont retrouvées principalement dans le sang du cordon ombilical et sont connues sous le nom de cellules souches embryonnaires (ES cells : embryonic stem cells). Ces cellules sont dorénavant collectées et stockées par les laboratoires car elles représentent un outil intéressant pour la recherche. L’intérêt croissant dont elles font l’objet a incité récemment les législateurs à mieux encadrer leur utilisation.

Surfant sur la vague de la nouveauté et probablement du sensationnel, des sociétés privées proposent d’ores et déjà de conserver les cellules souches embryonnaires d’un individu par prélèvement et cryoconservation le jour de sa naissance. Cette démarche volontaire reste actuellement exceptionnelle et coûteuse. Son intérêt s’en trouvera décuplé si des voies thérapeutiques apparaissent de façon plus évidente.

Les cellules souches hématopoïétiques (de la moelle osseuse) sont les meilleurs exemples de cellules souches multipotentes rencontrées chez l’adulte. Bien identifiées et caractérisées, elles sont facilement repérables in vitro et in vivo. Leur comportement est bien connu ainsi que leurs voies de différenciation. Elles sont capables de se différencier en n’importe quelle cellule de la lignée sanguine (hématocytes, cellules de la lignée blanche et plaquettes).

C’est parce que ces cellules sont les plus connues, et qu’elles sont techniquement accessibles, qu’elles ont été la cible thérapeutique des premières expérimentations de thérapie cellulaire.

Dans la continuité des travaux sur les cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse (BMMSC : bone marrow mesenchymal stem cells), d’autres cellules souches mésenchymateuses (MSC : mesenchymal stem cells) ont pu être mises en évidence dans différents tissus, tels que le tissu adipeux, le muscle, le cartilage et, récemment, dans la pulpe de la dent et le ligament parodontal. Ces cellules souches mésenchymateuses représentent en fait une population de cellules et non une lignée unique. Elles sont caractérisées expérimentalement par un marqueur non spécifique STRO1 (le marqueur des cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse) ainsi que par d’autres marqueurs de la lignée hématopoïétique (CD90, CD105, etc.). C’est l’association de ces marqueurs de surface cellulaire et de la topographie tissulaire qui permet de définir la présence d’une cellule souche au sein d’un tissu.

Expérimentalement et in vitro, les cellules souches mésenchymateuses ont la capacité de se différencier en cellules osseuses, en adipocytes, en chondrocytes, voire en cellules dentinogénétiques en fonction des conditions de culture. Ces observations sont intéressantes car elles mettent en évidence le fait qu’une même cellule pourrait être exploitée in vivo pour différents processus de cicatrisation. Néanmoins, le degré de différenciation acquis de ces cellules ne leur permet pas de se différencier en n’importe quel type cellulaire. Des expérimentations plus récentes ont démontré qu’une transdifférenciation de ces cellules était également possible ; ce processus permet de replacer une cellule dans un état antérieur de pluripotence. Ces cellules pluripotentes induites (IP cells : induced pluripotent cells) ont ouvert la voie à des investigations particulièrement intéressantes ayant pour objectif thérapeutique d’utiliser des cellules souches faciles à prélever (de la masse graisseuse notamment) afin de les dédifférencier et de les utiliser pour régénérer ou réparer un tissu ou un organe malade.

Cellules souches et pulpe dentaire ?

L’intérêt croissant pour les cellules souches par la communauté scientifique intéresse également la recherche dentaire. La mise en évidence de cellules souches de la pulpe dentaire (DPSC : dental pulp stem cells) [1] au sein du parenchyme pulpaire a permis de démontrer que l’organe dentaire présente une niche de cellules progénitrices éventuellement impliquées dans le remplacement des tissus lésés. Une autre population de cellules souches a été découverte au sein des dents temporaires. Ces cellules, appelées SHED (stem cells from human exfoliated deciduous teeth) [2], ont particulièrement intéressé la communauté scientifique car elles sont faciles à prélever car la dent temporaire est amenée à « tomber » lors de son remplacement par la dent définitive.

Plus récemment, une autre niche de cellules souches mésenchymateuses a été découverte dans la région de la papille apicale de la dent humaine immature. Ces cellules pluripotentes ont été dénommées stem cells of apical papilla (SCAP) [3]. Comme pour les cellules de la moelle osseuse, les SCAP auraient un potentiel de différenciation ostéogénique et dentinogénétique [4].

Des recherches sur l’implication de ces cellules dans le processus d’apexogenèse induite sur les dents nécrosées immatures sont actuellement menées. De nombreuses études sont dorénavant conduites sur le processus de revascularisation comme nouvelle possibilité de traitement des dents immatures nécrosées. La désorganisation de la papille apicale avec un instrument et la colonisation du canal par les SCAP introduites dans le canal par le biais d’un caillot sanguin sont actuellement une hypothèse de travail pour plusieurs auteurs [5]. De nouvelles voies thérapeutiques pour le traitement des dents nécrosées pourraient apparaître dans un futur proche, lorsque davantage de connaissances sur le processus impliquant éventuellement ces cellules seront disponibles.

La présence de cellules souches dans la pulpe dentaire offre des possibilités très intéressantes pour le développement de nouvelles techniques d’ingénierie tissulaire et de dentisterie régénératrice. Ces cellules sont plus faciles à collecter que celles de la moelle osseuse, qui étaient jusqu’à présent la principale source de cellules souches postnatales avec les adipocytes. Elles semblent être un réservoir prometteur de cellules multipotentes et l’on peut imaginer de nombreuses implications biotechnologiques. La présence d’une population de cellules progénitrices dans la pulpe dentaire produit une source locale de cellules de remplacement pour la formation de nouveaux « odontoblastes like » lors de la formation du pont dentinaire. Il reste cependant plusieurs points à élucider, notamment un doute persiste sur le fait que ces cellules progénitrices soient résidentes et pourraient migrer vers la pulpe par la vascularisation. Les futures études devront mieux caractériser ces cellules souches et leur potentiel pour permettre la mise au point de nouvelles applications de thérapie régénératrice.

La découverte de ces cellules souches dans la pulpe dentaire a été une avancée significative dans le domaine de la dentisterie. Cependant, plusieurs problèmes demeurent non résolus, notamment celui de leur identification.

Des cellules souches dans la pulpe, mais pour quoi faire ?

Une implication dans le processus de cicatrisation ?

Après exposition ou nécrose superficielle de la pulpe, plusieurs processus cellulaires initialement observés au cours du développement embryonnaire semblent réapparaître in situ au moment de la cicatrisation et, particulièrement, de la régénération pulpaire.

La dentinogenèse réparatrice nécessite le recrutement de cellules progénitrices puis, dans un second temps, leur différenciation en odontoblastes. Ces nouvelles cellules résultent de la prolifération et de la différenciation de cellules souches, probablement résidant au sein de la pulpe [6]. Fitzgerald et al. [7] ont étudié la migration et la prolifération des cellules au sein de la pulpe après coiffage pulpaire à l’hydroxyde de calcium sur des singes. Ils ont mis en évidence le fait que la migration de ces cellules commençait au centre de la pulpe et s’étendait vers l’interface pulpe/matériau.

Malgré nos connaissances sur le développement dentaire, notre compréhension des cellules souches reste limitée. Les cellules issues de la pulpe, cultivées dans certaines conditions, peuvent présenter un phénotype odontoblastique et la capacité de former des nodules de minéralisation in vitro [8]. Malgré tout, nous ne savons toujours pas si seule une partie de la population des cellules pulpaires ou toutes les cellules du parenchyme sont capables de présenter cette évolution. Dans la pulpe, l’origine des cellules de remplacement n’est toujours pas identifiée. Pendant longtemps, les cellules de la couche de Höhl ont été considérées comme un réservoir de cellules de remplacement. Actuellement, cette niche ne semble pas la plus appropriée et d’autres localisations sont recherchées. Les péricytes dans la pulpe (cellules enroulées autour des vaisseaux sanguins, appelées également cellules de Rouget) ont également été proposés comme des candidats aux cellules réparatrices, bien que l’on ne sache toujours pas si ces cellules sont résidantes ou issues d’une localisation distante et arrivées sur le site par la vascularisation [9 10-11].

Une autre application surprenante

Récemment, d’Aquino et al. [12] ont proposé une utilisation clinique originale de ces cellules souches. Ils ont sélectionné des cellules souches de la pulpe dentaire dans la pulpe d’une dent de sagesse devant être extraite, les ont amplifiées puis implantées à l’aide d’une éponge de collagène dans l’alvéole osseuse après extraction des dents controlatérales. En suivant les patients, les auteurs ont pu mettre en évidence un gain substantiel de hauteur d’os après cicatrisation par rapport aux alvéoles « contrôle ». Secondairement, une observation histologique des prélèvements du tissu néoformé a permis d’en confirmer la nature osseuse.

Cette publication n’est qu’un essai clinique. Aucune conclusion hâtive ne doit en être tirée. Cependant, les résultats montrent que les cellules progénitrices issues de la pulpe ont un réel potentiel de différenciation. Il reste à démontrer si la différenciation en tissu osseux est liée à la nature du site d’implantation ou à une éventuelle sous-population, comme le proposent les auteurs (SBF-DPSC : stromal bone forming-dental pulp stem cells).

Si ces résultats étaient confirmés, cette approche de biothérapie pourrait rapidement s’imposer comme une solution de remplacement aux greffes osseuses. L’origine embryonnaire commune de ces cellules et du tissu à réparer explique probablement en partie le succès observé.

Conclusion

Cette description succincte des cellules souches est loin d’être exhaustive. Il est cependant remarquable de constater que le potentiel de ces cellules est important mais que les protocoles thérapeutiques sont encore loin d’être validés. Leur utilisation en pratique clinique peut sembler encore lointaine, mais les expérimentations récentes démontrent un intérêt de leur utilisation en dehors de la dent. Une meilleure connaissance de ces progéniteurs et de leur processus de différenciation est nécessaire avant d’extrapoler et d’envisager de vrais protocoles cliniques fondés sur une démonstration scientifique.

* « pour les nuls »

Bibliographie

  • 1. Gronthos S, Mankani M, Brahim J, Robey PG, Shi S. Postnatal human dental pulp stem cells (DPSCs) in vitro and in vivo. Proc Natl Acad Sci U S A 2000;97:13625-13630.
  • 2. Miura M, Gronthos S, Zhao M, Lu B, Fisher LW, Robey PG et al. SHED : stem cells from human exfoliated deciduous teeth. Proc Natl Acad Sci U S A 2003;100:5807-5812.
  • 3. Huang GT, Sonoyama W, Liu Y, Liu H, Wang S, Shi S. The hidden treasure in apical papilla : the potential role in pulp/dentin regeneration and bioroot engineering. J Endod 2008;34:645-651.
  • 4. Sonoyama W, Liu Y, Yamaza T, Tuan RS, Wang S, Shi S et al. Characterization of the apical papilla and its residing stem cells from human immature permanent teeth : a pilot study. J Endod 2008;34:166-171.
  • 5. Simon S. La revascularisation canalaire : les premiers pas de l’ingénierie tissulaire en endodontie. Clinic 2010;31:323-329.
  • 6. Ruch JV. Odontoblast commitment and differentiation. Biochem Cell Biol1998;76:923-938.
  • 7. Fitzgerald M, Chiego DJ Jr, Heys DR. Autoradiographic analysis of odontoblast replacement following pulp exposure in primate teeth. Arch Oral Biol 1990;35:707-715.
  • 8. Couble ML, Farges JC, Bleicher F, Perrat-Mabillon B, Boudeulle M, Magloire H. Odontoblast differentiation of human dental pulp cells in explant cultures. Calcif Tissue Int 2000;66:129-138.
  • 9. Lovschall H, Mitsiadis TA, Poulsen K, Jensen KH, Kjeldsen AL. Coexpression of Notch3 and Rgs5 in the pericyte-vascular smooth muscle cell axis in response to pulp injury. Int J Dev Biol 2007;51:715-721.
  • 10. Shi S, Gronthos S. Perivascular niche of postnatal mesenchymal stem cells in human bone marrow and dental pulp. J Bone Miner Res 2003;18:696-704.
  • 11. Yamamura T. Differentiation of pulpal cells and inductive influences of various matrices with reference to pulpal wound healing. J Dent Res1985;64 (n° spécial):530-540.
  • 12. d’Aquino R, De Rosa A, Lanza V, Tirino V, Laino L, Graziano A et al. Human mandible bone defect repair by the grafting of dental pulp stem/progenitor cells and collagen sponge biocomplexes. Eur Cell Mater2009;18:75-83.

Évaluez-vous

Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :

1. Les cellules souches :

a. sont facilement reconnaissables dans un tissu.

b. sont toutes situées chez l’adulte au niveau de la moelle osseuse.

c. sont capables de s’autorenouveler.

2. Les SHED :

a. sont moins différenciées que les DPSCs.

b. sont retrouvées au niveau de la dent de sagesse.

c. sont retrouvées au niveau du cordon ombilical.

Découvrez les bonnes réponses sur notre site Internet www.editionscdp.fr , rubrique Formation continue.