Un patient est-il libre de refuser des soins ? - Clinic n° 01 du 01/01/2011
 

Clinic n° 01 du 01/01/2011

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique

Une réflexion avec J. S. Mill sous le coude.

Refuser des soins, pour un patient, est une liberté absolue. Le code de déontologie indique, dans son article R. 4127-236, que « lorsque le patient, en état d’exprimer sa volonté, refuse les inves­tigations ou le traitement proposés, le chirurgien-dentiste doit respecter ce refus après l’avoir informé de ses conséquences ».

Parmi les situations de refus de soins, nombreuses sont celles liées à des paramètres économiques, soit. Je ne traiterai pas là non plus de la question des alternatives thérape­utiques, des autres compromis fondés en vue de rétablir une forme de santé1 pour un individu donné. Pas plus que je ne reviendrai sur la pédagogie de notre discours et sa valeur pour convaincre une personne du bien-fondé des soins que le diagnostic appelle.

Ce qui nous intéresse, plus spécifiquement ici, est la situation du refus pur et simple des soins. Je pense que cette situation est rare, mais elle mérite un examen. Et à l’appui de cet examen, je vais utiliser John Stuart Mill2. Dans son ouvrage De la liberté, paru en 1859, Mill aborde la question de la liberté des individus par rapport à l’État et aux formes de contraintes collectives. La réflexion est riche, avance en n’esquivant pas les chicanes sur le parcours de la pensée ; elle est aussi très rafraîchissante par rapport à la situation actuelle de nos libertés, de nos états et de notre économie.

Mill affirme qu’il existe une « limite à l’ingérence légitime de l’opinion collective dans l’indépendance individuelle3 ». Cette limite correspond à un « principe [qui] veut que les hommes ne soient autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d’action de quiconque que pour assurer leur propre protection. […] Le seul aspect de la con­duite d’un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain4 ».

Ainsi, il apparaît qu’un patient est absolument libre de refuser des soins. Le principe en est de ne pas nuire à autrui et d’en assumer toutes les conséquences.

Cependant, la définition de ce qui nuit à autrui est sujette à caution. Celui qui ne se soigne pas ne va-t-il pas finir par nuire à ses proches, à son travail ou à la société ? Mill admet que si par son action une personne se soustrait à ses obligations, alors « le cas cesse d’être privé et tombe sous le coup de la désapprobation morale5 ». On est alors puni non pour sa position, mais pour le manquement à ses devoirs. Dans le cas contraire, « cette personne sera pour nous un objet de pitié, voire d’aversion, mais non de courroux ou de ressentiment6 ».

Il paraît normal de tenter de convaincre quelqu’un du bien-fondé d’un soin. Il paraît justifié que la collectivité et l’opinion interviennent si la chose nuit à autrui. Dans tout le reste, le patient est libre. Et Mill nous met en garde : « Il y a d’abondants exemples qui montrent que cette volonté d’étendre les limites de […] la police morale jusqu’à ce qu’elle empiète sur la liberté la plus incontestablement légitime de l’individu est, de tous les penchants humains, l’un des plus universels7. » Gardons-nous de juger trop vite, soyons présents pour autrui et laissons, enfin, un peu de place à la liberté.

1. Voir les chroniques sur la définition de la santé.

2. L’auteur est l’un des grands économistes classiques du XIXe siècle ; il est associé à l’utilitarisme.

3. Mill JS, De la liberté. Paris : Gallimard, 1990 (Folio Essais), p. 67.

4. Ibid., p. 74-75.

5. Ibid., p. 186. Ce serait le cas d’un parent qui ne s’occuperait plus de ses enfants mineurs.

6. Ibid., p. 183

7. Ibid., p. 192.