Comment prévenir et gérer les litiges avec ses patients ? - Clinic n° 04 du 01/04/2011
 

Clinic n° 04 du 01/04/2011

 

TRIBUNE

Catherine Bigot  

Deux confrères ayant vécu l’un et l’autre un litige avec un patient témoignent de leur expérience et en tirent quelques enseignements précieux. Comment prévenir l’apparition d’un litige ? Comment gérer la procédure lorsqu’elle est engagée ? Comment en sortir sans trop de dommage pour son exercice et pour soi-même ?

Entretenir une communication avec ses patients

Bruno X. (Bretagne)

En 2007, j’ai soigné une patiente âgée de 78 ans qui présentait une parodontopathie importante avec une perte du secteur incisif. Je lui ai posé deux implants et ai réalisé un bridge. Six mois après la pose, l’une des couronnes du maxillaire s’est descellée et a obligé la patiente à revenir consulter. Comme j’étais absent à ce moment-là, elle a décidé d’aller voir un confrère. Le confrère a rescellé la couronne et a fait réaliser un panoramique qui a révélé qu’une dent présentait une perte osseuse ne causant par ailleurs aucune douleur à la patiente. Le confrère a alors suggéré à la patiente de me contacter pour obtenir les coordonnées de mon assurance. Très peu de temps après, j’ai reçu un courrier de ce confrère m’intimant de fournir au plus tôt les documents nécessaires à la procédure. Le conflit était alors officiellement ouvert.

Expertise et procédure

La patiente a d’abord été convoquée auprès de l’expert. Puis ce fut mon tour. Sur la base de l’expertise, la compagnie d’assurance a conseillé à la patiente l’extraction de 5 à 6 dents et la réalisation d’un stellite. En parallèle, elle a établi une proposition d’indemnisation à la hauteur des travaux conseillés. La patiente a accepté l’indemnisation, mettant ainsi fin à la procédure.

À ma grande surprise, la patiente a repris rendez-vous avec moi quelque temps après pour que j’extraie la dent à problème. Elle m’a alors expliqué les circonstances de l’intervention du confrère qui avait clairement « poussé » le dossier, avec une intention plus vengeresse que confraternelle envers moi.

Je viens de revoir cette patiente, 3 ans et demi plus tard. Le bridge est toujours en place et il n’y a aucun souci parodontal en vue.

Tout expliquer

Je crois qu’aucun praticien ne peut aujourd’hui se dire à l’abri de ce genre de souci. En matière de soins dentaires, la plainte associée à une demande d’indemnisation est devenue une procédure banale. Dans ce litige particulier, le pire pour moi a été d’observer que la confraternité avait été très facilement bafouée.

La prévention des litiges passe surtout par une communication incessante avec son patient. Je pense que le praticien se doit de tout lui expliquer dans des termes compréhensibles. Et de vérifier tout au long du traitement sa parfaite compréhension des actes pratiqués (en l’écoutant et en reformulant les propos si nécessaire) ainsi que sa complète adhésion au processus de soin.

Ne pas transformer la procédure en affaire personnelle

Camille Espagno (Colomiers – 31)

J’ai dû faire face à un litige 2 ans seulement après ma première installation. L’affaire a démarré en 2004 quand j’ai reçu une assignation en justice demandée par l’une de mes patientes, ancienne assistante dentaire.

Son état dentaire était passablement délabré. Elle avait notamment un bridge avec une dent à extraire et les autres dents très abîmées. Étant donné qu’elle avait déjà des prothèses amovibles de grande envergure, je lui ai proposé d’extraire ces dents, ce qu’elle a refusé catégoriquement. Pensant qu’en tant qu’ancienne assistante dentaire elle comprenait les risques qu’elle prenait, j’ai accepté de lui refaire un bridge – après avoir extrait la dent irrécupérable – en lui précisant bien que c’était une solution transitoire. J’ai ensuite revu cette patiente deux fois. La première fois pour une infection parodontale sous le bridge que j’ai traitée avec des antibiotiques, et la seconde pour établir un devis concernant d’autres travaux. Manifestement, la patiente a eu d’autres infections pour lesquelles elle a consulté d’autres praticiens et qui ont abouti à la perte du bridge. C’est ce qui l’a amenée à porter plainte pour « soins non-conformes aux données acquises de la science ».

Plainte

Pour étayer sa plainte, la patiente s’est basée sur un certificat médical qu’elle est allée faire établir par l’un de mes anciens professeurs de faculté. Ce certificat médical mettait clairement en cause la qualité de mes soins. L’expertise qui a eu lieu ensuite a démontré que les dires du certificat étaient erronés et que mes soins étaient conformes. Mais l’expertise a conclu aussi que je n’aurais pas dû céder à la pression de la patiente et que je n’aurais donc pas dû réaliser le bridge sur des dents vouées à la perte. L’expert a précisé qu’il pensait que j’avais donné une information suffisante mais que j’étais dans l’impossibilité de le prouver. Durant l’expertise, la patiente a clairement ­expliqué qu’elle avait porté plainte avec l’objectif de toucher de l’argent.

Condamnation

La procédure s’est étalée sur 4 ans. J’avais fait appel à un avocat indépendant. Au final, j’ai perdu au motif de « choix thérapeutique inadapté en l’absence de preuve d’information sur les risques de ce choix ». J’ai été condamnée à rembourser tous les frais de la patiente (y compris ses frais de justice) ainsi qu’un pretium doloris de 1 200 euros et un préjudice d’agrément de 600 euros. J’ai remboursé ses frais à la patiente et c’est ma compagnie d’assurance qui a réglé le reste.

Plusieurs éléments m’ont choquée dans cette affaire. D’abord, le mobile financier de la patiente. Ensuite, le comportement de ce confrère, professeur, qui me connaissait bien et qui n’a pourtant pas pris la peine de me téléphoner avant d’établir son certificat. Il a jugé la qualité de mon travail au mépris de l’éthique. Enfin, l’attitude de mon assureur qui, a essayé de se retourner contre moi en plaidant qu’il ne me couvrait qu’en cas de faute professionnelle. Comme mes soins étaient conformes, il ne me couvrait donc pas pour les autres préjudices.

Enseignements

Le principal enseignement tiré de ce litige est paradoxalement positif. Je sais que je ne pourrai jamais remplir toutes les obligations demandées et que la justice donnera presque toujours raison au patient en cas de conflit, je me suis donc libérée de ce poids. J’essaie de pratiquer la meilleure dentisterie possible, je me forme beaucoup et fais preuve d’honnêteté avec mes patients. Je communique le plus clairement possible avec chacun d’eux, en expliquant toujours les choses. Je sais que cela ne me protège pas totalement de la menace d’un procès mais je suis en accord avec ma conscience et pour l’instant en accord avec ma patientèle.

Si je devais donner un conseil à mes confrères ayant à faire face à un premier litige, ce serait de ne pas paniquer en cas de procédure, de ne pas en faire une affaire personnelle, de ne pas faire de zèle (par exemple en faisant appel à un avocat autre que celui de sa compagnie d’assurance), de suivre la procédure sans trop s’investir émotionnellement et de laisser faire la justice.