L’acide hyaluronique : éthique ? - Clinic n° 11 du 01/12/2011
 

Clinic n° 11 du 01/12/2011

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Les injections d’acide hyaluronique face à la beauté, la guérison et la justice.

Le corps médical est le seul habilité à faire effraction dans le corps d’autrui. Il en a développé les compétences. Les interventions esthétiques invasives lui ont donc échu par opportunisme autant que par défaut. Les injections d’acide hyaluronique sont défendues comme relevant de la capacité du chirurgien-dentiste1. J’ai souligné précédemment à quel point il existait un fossé entre la capacité et la compétence. Je voudrais que nous nous attardions maintenant sur quelques questions d’ordre éthique en rapport avec ce sujet.

D’abord la définition de la beauté. Si Kant a pu écrire qu’« est beau ce qui plaît universellement sans concept », force est de constater qu’aujourd’hui la beauté peut avoir autant de formes que de cultures, autant d’expressions que de goûts. La beauté est la visée du traitement. Le grand problème est de savoir qui évalue le résultat. Il est acquis que le goût du patient et celui du praticien peuvent être différents, voire opposés. Ce qui n’est pas sans difficulté en cas de préjudice perçu. Dans la pratique, la position du praticien lui permet d’imposer des résultats qui ne seraient pas acceptés sinon. Il est très difficile de s’entendre sur ce point et une démarche la plus humaniste et empathique possible est requise. Sur les forums, l’aspect social, l’avis des autres, est déterminant dans le renforcement du succès ou de l’échec du traitement.

Ensuite, l’objectif du traitement, ici dit à visée thérapeutique – ce qui témoigne bien du malaise à dire « à objectif thérapeutique esthétique » – est une amélioration de l’apparence, appelée de plus en plus « lutte anti-âge ». La médecine (thérapeutique) a toujours lutté contre des événements indésirables. Ces maladies peuvent être déterminées par la génétique ou par l’environnement, ou bien survenir du seul fait du hasard. C’est donc bien contre la fatalité de l’issue de ces événements que la médecine lutte. Or le vieillissement et la mort, s’ils sont des événements indésirables, sont aussi des événements certains et même consubstantiels à notre condition. Il n’y a ni thérapeutique ni guérison de la destinée. Elles ne relèvent donc pas du champ de la thérapie médicale. Je ne dis pas qu’un médecin n’est pas libre de s’y intéresser ni qu’il n’est pas le mieux placé et qualifié pour pratiquer ces interventions. Au contraire. Simplement, la médecine anti-âge n’est pas une médecine de guérison et donc une thérapeutique au sens propre.

Enfin, le malaise éthique dans ce sujet est le fait que les injections d’acide hyaluronique (et les autres actes à venir) ne semblent pas être une corde fondamentale de plus à notre arsenal. Non. Il me semble plutôt que le chirurgien-dentiste est considéré par les laboratoires comme une source de profit nouvelle et inexploitée. Or dans les deux cas, trop grande est la tentation d’améliorer son chiffre d’affaires sans prendre en compte les exigences d’une prise en charge humaniste. De plus, en écartant d’autres professions, on supprime les avantages du travail en équipe pluridisciplinaire, avec les risques que cela entraîne face aux cas qui ne relèveraient pas de l’unique main du chirurgien.

Pour conclure, en cette période de rareté de l’offre de soins, il y a une question politique autour du principe de « justice » et l’on peut se demander si cette allocation de temps et de soins à des traitements de cette nature est bien judicieuse, alors que des besoins plus essentiels ne trouvent pas de réponse.

1. Elles permettraient d’améliorer le résultat de nos traitements à visée esthétique et la molécule est résorbable.