L’Allemagne résiste aux démons du « low cost » - Clinic n° 04 du 01/04/2012
 

Clinic n° 04 du 01/04/2012

 

ENQUÊTE

Marie Luginsland  

Au pays des chaînes discount, le secteur dentaire fait lui aussi miroiter des soins à bas prix. Les acteurs du marché se veulent toutefois nuancés, préférant plutôt parler qualité que prix. C’est que la profession s’est recadrée, aidée en cela par le législateur.

Un clin d’œil à une dentition saine. Une couleur qui respire la santé. C’est la pomme verte carrée croquée en son angle droit du « Dr. Z ». En cinq ans, une dizaine de cabinets dentaires ont ouvert...


Au pays des chaînes discount, le secteur dentaire fait lui aussi miroiter des soins à bas prix. Les acteurs du marché se veulent toutefois nuancés, préférant plutôt parler qualité que prix. C’est que la profession s’est recadrée, aidée en cela par le législateur.

Un clin d’œil à une dentition saine. Une couleur qui respire la santé. C’est la pomme verte carrée croquée en son angle droit du « Dr. Z ». En cinq ans, une dizaine de cabinets dentaires ont ouvert à cette effigie. Cinq autres devraient voir le jour cette année.

Les chaînes dentaires ne sont pas à leur premier essai sur le sol allemand. Déjà en 2006, Mc Zahn avait fait grincer les dents de la profession. Chevauchant le slogan très en vogue en Allemagne « l’avarice c’est excitant », dans le sillon des discounters alimentaires Aldi et Lidl, un investisseur privé avait eu l’idée de créer une chaîne franchisée de cabinets dentaires. Avec pour seul mot d’ordre « des prothèses à zéro coût », Mc Zahn ciblait particulièrement les Allemands tentés de se faire soigner en Pologne ou en République tchèque.

Selon un expert qui tient à garder l’anonymat, les contrats proposés aux chirurgiens-dentistes prévoyaient que 70 % des recettes soient reversées au franchiseur. Pourtant, en dépit des prix défiant toute concurrence, peu de patients ont mordu à l’hameçon du tout discount. Deux années et huit cabinets plus tard, Mc Zahn s’est déclaré en faillite.

Logo et design

« La santé, même au pays de l’avarice, ne se brade pas », déclare René Krousky, secrétaire général adjoint de la BZAEK (Arbeitsgemeinschaft der Deutschen Zahnärztekammern). C’est également sur ce constat que le Dr Bernstein, chirurgien-dentiste à Krefeld en Rhénanie du Nord-Westphalie, a bâti sa chaîne du nom de « Dr. Z ». Réfutant avec virulence le terme de discount, il déploie pas à pas un réseau de cabinets de dentistes, « pour des chirugiens-dentistes et par des chirurgiens-dentistes ». Pour celui qui a repris deux cabinets Mc Zahn, il n’est pas question de commettre les mêmes erreurs que la chaîne à bas prix. Un logo, un design uniforme, un marketing commun et l’assurance pour le patient d’avoir accès à des soins de qualité et aux dernières technologies sont le fondement de ce que Alexander Bernstein et ses dix chirurgiens-dentistes associés préfèrent nommer « groupement ». Le contrat est fondé sur la réciprocité : « Dr. Z » participe pour 50 % dans l’investissement du cabinet. En retour, il reçoit 50 % des bénéfices tout en supportant, le cas échéant, 50 % des pertes.

Les frontières entre les chaînes et ces groupements, dont certains comme les huit cabinets réunis à Düsseldorf sous la marque « die Pluszahnärzte » agissent à l’échelle régionale, sont ténues.

Capital verrouillé

« Pour l’Ordre, l’essentiel est que le chirurgien-dentiste puisse exercer son art en toute liberté. Peu importe l’investisseur et le propriétaire du cabinet pour peu que la liberté thérapeutique et la liberté de choix dans l’origine du matériel utilisé soient garanties », précise de son côté René Krousky. En un mot, « Le chirurgien-dentiste peut exercer en tant que salarié, seul ou associé, mais son indépendance doit être garantie. Tant que ce principe est respecté, il n’y a aucune objection à émettre sur sa participation à une franchise », remarque une porte-parole de l’Ordre des dentistes allemands. Reste que la législation s’est quelque peu durcie en ce début d’année. À la satisfaction du Dr Karl-Heinz Sundmacher, président de la FVDZ (Freie Verband Deutscher Zahnärzte), le plus grand syndicat professionnel de chirurgiens-dentistes (17 500 membres). « Depuis le 1er janvier, il est impossible à des investisseurs privés qui ne sont pas eux-mêmes chirurgiens-dentistes d’ouvrir un cabinet. » Comme le précise une porte-parole du ministère de la Santé, « la nouvelle loi sur les centres médicaux stipule qu’ils pourront désormais être créés uniquement par des praticiens agréés, ceux-ci pouvant néanmoins s’associer sous un statut de société anonyme ». Et de remarquer qu’il n’existe pas actuellement de chaîne de chirurgiens-dentistes à proprement parler en Allemagne. Le Dr Karl-Heinz Sundmacher croit savoir que des forces politiques vont œuvrer pour faire « capoter » cette nouvelle loi. Ce qui ne l’inquiète pas outre mesure car il croit fermement que « des chaînes discount auront du mal à s’établir. Le patient cherche en premier lieu un contact personnel avec son chirurgien-dentiste et la confiance qu’il nous accorde est la base de notre exercice ».

Indépendance

Le secteur dentaire se régulerait-il de lui-même alors que d’autres professions comme les pharmaciens ont dû en appeler à la Cour européenne de justice pour interdire l’ouverture du capital des officines (jugement « Doc Morris » du 19 mai 2009 de la CJCE) interdisant les chaînes de pharmacie dans les pays qui ne les autorisaient pas ? De fait en Europe, la règle de subsidiarité prévaut en matière de santé et c’est ainsi que des chaînes de chirurgiens-dentistes existent aux Pays-Bas comme au Royaume-Uni. Pour l’heure, le phénomène semble être contenu. Tout au moins en Allemagne et en Autriche, comme l’atteste le Dr Wolfgang Doneus, chirurgien-dentiste autrichien et président du CED (Conseil des chirurgiens-dentistes européens) : « Deux formes existent en parallèle, celle dans laquelle des chirurgiens-dentistes, chirurgiens, orthodontistes et parodontistes sont associés dans une expertise commune et dans le but d’une prestation de qualité. Et l’autre, qui a pour seul fondement le low cost. À mon sens, la deuxième est vouée à l’échec car elle n’est pas adaptée à l’exercice indépendant de notre profession ». Il rappelle que, comme en Allemagne, l’Ordre autrichien n’interdit pas l’entrée d’investisseurs au capital d’un cabinet. Outre l’interdiction de publicité faite aux chirurgiensdentistes, la création de chaînes se heurte cependant à l’agrément délivré par l’Assurance maladie et contingenté aux nombres de patients potentiels. En Autriche, les caisses ont ainsi refusé dans les années 90 l’agrément à une chaîne de 160 magasins d’opticiens qui avait voulu se diversifier dans les cabinets dentaires.

LA « PROVOCATION » DU DR ZOLMAJD

Reza Zolmajd (35 ans) est partenaire de « Dr. Z ». depuis l’été dernier. Il a effectué une spécialisation en chirurgie oro-faciale. « Dr. Z n’est pas une franchise mais une infrastructure qui me permet de donner aux patients une image de sérieux tout en leur offrant des soins bon marché. J’aurais pu ouvrir un cabinet en indépendant, mais je n’aurais pas eu aussi vite une telle notoriété », constate Reza Zolmajd. Ce chirurgien-dentiste qui compte 1 168 enregistrements* par trimestre pendant qu’un chirurgien-dentiste moyen en comptabilise 850 se plait à dire que son cabinet, situé au cœur de Hambourg dans l’un des quartiers les plus chics, est une « provocation » : 300 m2 avec salle d’opération, radiologie, laboratoire. Il emploie dix personnes dont un chirurgien-dentiste et un anesthésiste. « Dr. Z » a fortement investi dans le cabinet de Reza Zolmajd et il continue de le soutenir dans le financement de son fonctionnement. En retour, le groupement perçoit une part non négligeable du bénéfice réalisé.

« 40 % de mes patients viennent pour le slogan du « Dr. Z » mais 60 % viennent par le bouche à oreille sur recommandation de leurs proches, environ 70 % au total viennent pour mes prix avantageux », constate Reza Zolmajd qui a décidé d’ouvrir un deuxième cabinet dans les prochains mois.

* En Allemagne, un patient ne s’enregistre avec sa carte vitale qu’une seule fois par trimestre calendaire.

Deux questions à Alexander Bernstein, dentiste et fondateur de « Dr. Z »

Vous refusez le terme discount, et pourtant vos honoraires sont moitié moins élevés que dans les autres cabinets.

Notre système de prix mène effectivement à offrir à nos patients les soins pris en charge par les caisses en les exemptant de ticket modérateur. Pour les implants par exemple, nous sommes 20 à 30 % moins chers que les autres dentistes. Nous n’économisons pas sur les revenus des dentistes ni sur les salaires du personnel qui sont payés mieux que la moyenne, mais nous travaillons avec des effets de synergie. Les achats – de la serviette à la prothèse en passant par les appareils – sont effectués par le groupement et sont de facto meilleur marché pour chacun de nos dentistes partenaires. Et nous faisons profiter nos patients de ces économies réalisées.

« Dr. Z » est-il une réponse à ce « tourisme dentaire » ?

Avec les prix que nous pratiquons et les soins que nous offrons, ce tourisme ne vaut plus la peine. Nous proposons des prothèses fabriquées en Chine, mais dans des laboratoires partenaires, sur des machines allemandes et sous certification allemande. Et surtout, chacun de nos cabinets en Allemagne dispose d’un à trois prothésistes qui corrigent et adaptent chaque prothèse au patient qui la reçoit. Nous offrons par ailleurs une garantie de 4 ans pour nos prestations au lieu des 2 années réclamées par le législateur !

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