Dans le meilleur des mondes - Clinic n° 08 du 01/09/2012
 

Clinic n° 08 du 01/09/2012

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Les traitements impliquant l’utilisation d’implants dentaires se multiplient. Soutenues par les leaders d’opinion, une industrie motivée, les conséquences d’une quasi-absence de prévention des maladies dentaires et l’intérêt de leur bénéfice médical propre, la demande et l’offre ne font que croître. « L’implant » est également présenté comme le traite­ment ayant la plus grande longévité avant échec. L’implantologie offre un éventail de...


Les traitements impliquant l’utilisation d’implants dentaires se multiplient. Soutenues par les leaders d’opinion, une industrie motivée, les conséquences d’une quasi-absence de prévention des maladies dentaires et l’intérêt de leur bénéfice médical propre, la demande et l’offre ne font que croître. « L’implant » est également présenté comme le traite­ment ayant la plus grande longévité avant échec. L’implantologie offre un éventail de solutions très large. Les efforts scientifiques pour affirmer son bénéfice, non dénués d’ailleurs de conflits d’intérêts, ont produit nombre d’études dont les résultats, pris globalement, peuvent à juste titre faire qualifier la chose d’une avancée.

Cependant, les « implants » dentaires ont soulevé de nombreuses questions d’ordre éthique. D’abord en termes de recherche et d’expérimentation. De nombreux développements semblent avoir été menés à même les patients sans cadre de recherche clinique bien défini. Ensuite en termes médico-économiques, l’implantologie a présenté un remède à la chute du niveau de vie consécutive à la dévalorisation ancienne et continue du panier des soins « remboursés ». Ce qui ouvre la porte au risque de soins abusifs ou mal justifiés. La « démocratisation » des implants n’a pas, dans des pays voisins, poussé à l’excellence généralisée et amène, avec elle, la multiplication des complications. Enfin, à nouvelle pratique, découverte de ses effets avec le temps. Si nous nous sommes concentrés sur les effets positifs à court terme, le nombre des traitements impliquant des implants dentaires décuplant va rendre visible à tous (profession, patients, médias, décideurs) ses limites et ses échecs avec les années.

Parlons d’un grand bénéfice, d’un petit échec et d’une conséquence qui aurait pu être mortelle en un trimestre.

Un confrère, il y a de cela quelques semaines, a été appelé d’urgence un dimanche auprès d’un homme très âgé en EHPAD. La personne ne pouvait plus s’alimenter et avait perdu beaucoup de poids ; sa santé vacillait. Pourquoi ? Personne ne savait remettre la prothèse amovible complète en bouche depuis le jour où un aide-soignant courageux avait voulu enlever, pour la nettoyer, cette prothèse mandibulaire (à laquelle était resté accroché l’un des 2 implants servant à sa rétention). L’implant restant en bouche, à moitié dénudé, était recouvert de tartre et de plaque dentaire. Le praticien a pu montrer à l’aide-soignant la procédure pour remettre la prothèse sur l’unique implant et le patient, manger de nouveau.

M’évoquant cette histoire, il s’est demandé :

• Comment en est-on arrivé à cet état de non-entretien et d’absence de prévention pour le maintien des implants ?

• Est-ce vraiment si bénéfique de mettre des implants partout, sur des patients valides mais vieillissants, sans tenir compte de l’évolution pathologique et des dégradations cognitives et gestuelles vraisemblables ?

• À quelles conditions rend-on service alors que ce patient ne pouvait plus s’alimenter, quand bien même les implants sont un outil thérapeutique extraordinaire ?

• Que va-t-il se passer quand cet aide-soignant à qui j’ai montré le geste pour replacer la prothèse va partir de l’établissement ?

• Cela ne condamne pas la technique, mais comment éviter ce genre de drame ?

Dans le meilleur des mondes, à part de la prévention, de l’éducation et de la formation, je n’ai su quoi lui répondre et je ne souhaite à personne de vivre ça.