Quelle place pour l’empreinte optique au cabinet dentaire ? - Clinic n° 08 du 01/09/2012
 

Clinic n° 08 du 01/09/2012

 

Enquête

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

L’empreinte optique peine à prendre place dans les cabinets dentaires. Les quelques praticiens équipés font encore figure de pionniers. Mais les fabricants développent et améliorent cette technique qui ouvre de nouvelles possibilités. Trois omnipraticiens font part de leur expérience.

Christian Moussally s’est équipé d’un appareil d’empreinte optique lors de sa première installation il y a 10 ans. Son objectif était de pouvoir « usiner » dans son cabinet. Je voulais « contrôler la chaîne de fabrication de A à Z », explique ce chirurgien-dentiste parisien qui pratique aussi l’implantologie pour ses patients, soit quelque 80 cas par an. Il s’équipe donc d’un appareil Cerec et profite, au fil des années, de l’amélioration du matériel. Et n’y trouve que des avantages. « La préparation est la même que pour une empreinte classique. Il suffit d’appliquer un peu de poudre pendant 30 secondes sur les dents pour obtenir un contraste optique. En termes de manipulation pour le praticien, l’empreinte optique est beaucoup plus pratique que la pâte. C’est aussi plus rapide. Cinq minutes suffisent. Et le résultat est instantané. Le modèle qui apparaît à l’écran permet de vérifier si la préparation a été bien faite. Au moindre défaut, je reprends l’empreinte dans la même séance. »

En direct

La possibilité d’autocontrôle à l’écran « m’a poussé à m’améliorer et à faire des préparations de plus en plus fines », explique le praticien. Et puis, « l’empreinte optique permet de proposer des solutions impossibles auparavant. Par exemple, je viens de préparer un patient pour la pose de 5 couronnes que je réaliserai demain ».

Le dernier modèle Cerec sépare la prise d’empreinte de l’usinage. Désormais, le fichier d’empreinte peut être adressé pendant la séance à un prothésiste équipé d’un logiciel adapté. « Mon prothésiste peut ainsi recevoir et vérifier quasi en instantané la qualité de l’image pendant que je suis au fauteuil avec mon patient. Je peux réajuster la prise de vue immédiatement à sa demande. » Une solution intéressante pour les reconstitutions plus complexes que le praticien ne peut pas concevoir dans son cabinet. Malgré tout, la pratique de Christian Moussally reste plus orientée vers les reconstitutions unitaires que les bridges.

Tous les cas

La démarche de Jean-Luc Berruet est différente. Ce chirurgien-dentiste installé à Saint-Dié, dans les Vosges, s’intéresse à l’empreinte optique depuis la fac, à la fin des années 1980. Il est vrai que son codirecteur de thèse n’était autre que François Duret, l’inventeur de l’empreinte optique dans les années 1970. À l’âge de 22 ans, ce chirurgien-dentiste-inventeur avait déjà imaginé un système d’onde laser qui permettait d’éviter l’accumulation d’imprécisions inhérentes aux différentes étapes de l’élaboration d’une prothèse avec une pâte polymère. Mais il faudra attendre une vingtaine d’années pour que l’industrie s’empare de l’idée et lance les premières applications.

Pourtant, Jean-Luc Berruet préfère encore patienter. Il juge ces systèmes « trop complexes » et peu adaptés à la pratique du cabinet dentaire. Et puis, réaliser ses prothèses ne l’intéresse pas. L’appareil iTero mis au point par l’américain Cadent le décide à la fin de l’année 2010. Et depuis, il ne peut plus s’en passer. « Je peux réaliser tous les artifices de prothèse fixée, même les plus complexes. Sans poudrage ! Sur 200 personnes soignées, je n’ai rencontré que 3 limites techniques pour lesquelles j’ai dû refaire des empreintes classiques », s’enthousiasme cet omnipraticien. Ces exceptions sont toujours les mêmes : « une édentation de longue durée sur la mandibule avec un grand espace entre deux dents support ».

Simplifier

Récemment convaincue de l’intérêt de l’empreinte optique pour traiter des cas d’implantologie, Brigitte Vignal a introduit cette nouvelle technique dans son cabinet dentaire il y a tout juste 1 mois et demi. « J’étais attirée par cette technique qui permet d’obtenir une grande précision pour faire des reconstitutions. J’étais consciente qu’elle serait incontournable et que nous l’utiliserions tous d’ici quelques années. Mais le fait que l’empreinte optique me permette aussi de simplifier des étapes de l’implantologie a emporté ma décision plus rapidement que prévu. » La prise d’empreinte numérique d’implant Biomet 3i avec la caméra Lava COS lui permet en effet d’éviter de retirer la vis de cicatrisation pour enregistrer l’empreinte. Aujourd’hui, cette praticienne de Montpellier est encore dans une phase de « prise en main » de la sonde. Il lui faut s’habituer à des gestes différents, regarder l’écran et pas le patient… Mais les résultats s’avèrent prometteurs. « Les cas simples que j’ai réalisés jusqu’à présent ont donné d’excellents résultats et m’ont évité de faire des retouches. Je vais pouvoir commencer à faire des actes plus compliqués. Et avec l’habitude, je gagnerai du temps. »

À la satisfaction de ces trois chirurgiens-dentistes s’ajoute celle de leurs patients qui échappent à l’étape de la pâte élastomère dans la bouche au profit d’une sonde qui leur permet d’observer leurs dents s’afficher en 3D sur un écran. Un film qui les intéresse, voire les amuse !

Le coût de la qualité

Malgré les avantages de la dématérialisation de l’empreinte déclinés par ces utilisateurs pionniers, peu de chirurgiens-dentistes ont sauté le pas. « Le poids des habitudes », regrette Sylvie Zeboulon, responsable scientifique chez 3M ESPE. « Tellement habitués à faire leurs empreintes de façon classique, les chirurgiens-dentistes ne ressentent pas le besoin d’utiliser un nouveau système. »

C’est une « question de coût », remarquent quasi unanimement, les praticiens interrogés. Le prix de revient de l’empreinte manuelle est faible et compris dans le coût de la prothèse. En revanche, la dématérialisation de l’empreinte suppose l’achat d’une caméra de haute technologie dotée d’un écran. À cela s’ajoute le coût plus élevé de chaque empreinte réalisée. Renoncer à l’investissement pour une question de coût est « un faux raisonnement », remarque Christian Moussally. « En réalité, nous gagnons beaucoup de temps. En termes de rendement, je m’y retrouve largement. »

C’est aussi le raisonnement de Brigitte Vignal. « Je n’ai pas prévu pour le moment de revoir mes honoraires. À moyen terme, je compte sur le gain en qualité pour compenser ce coût supplémentaire. En fait, je compare un peu ce type d’investissement à l’ordinateur. Il y a quelques années, l’ordinateur n’était pas nécessaire dans notre cabinet mais nous nous sommes équipés et, aujourd’hui, il est devenu incontournable. Nous avons trouvé notre compte autrement. »

« C’est lors de la pose que le retour sur investissement est le plus certain », observe Jean-Luc Berruet. Sur 300 éléments posés, il n’en a retouché qu’une quinzaine alors qu’auparavant, la moitié d’entre eux étaient repris. « Avec une empreinte optique, l’erreur tourne autour de 15 à 20 m, ce qui permet ces résultats extraordinaires. » Malgré tout, pour annuler le surcoût lié à l’achat de la sonde – 500 euros par mois pendant 7 ans – et à la réalisation de chaque empreinte – entre 25 et 30 euros au lieu de 8 à 10 euros auparavant –, Jean-Luc Berruet s’est donné comme objectif de réaliser une prothèse et demie supplémentaire chaque mois. Le bouche à oreille très favorable dans sa ville l’a aidé audelà de ses espérances à le remplir.

Et l’avenir

Si le démarrage de l’empreinte optique est lent, son avenir dans les cabinets dentaires ne semble pas faire de doute. Certes, la technique a ses limites. Les cas de prothèses amovibles ne peuvent pas être traités. Mais la dématérialisation de l’empreinte offre d’autres possibilités. Au-delà des couronnes et des bridges, elle sert en orthodontie notamment pour réaliser des gouttières transparentes ou avec l’aide d’autres logiciels pour réaliser des simulations. Elle est utilisée aussi comme outil pour les guides chirurgicaux et implantaires. Pour Jean-Luc Berruet, c’est l’intérêt de l’empreinte optique, en particulier pour les implants, qui fera exploser la demande. D’ailleurs, les solutions se multiplient. Après le Cerec de Sirona, le Lava de 3M ESPE et l’iTero de Strauman, KaVo lancera son appareil lors du prochain congrès de l’IDS en mars 2013.

Mais le secteur dentaire ne perçoit peut-être pas encore très bien que la généralisation de la numérisation de l’empreinte va provoquer un bouleversement dans l’organisation de la fabrication de prothèses. Le remplacement des pâtes polymères et du plâtre par des fichiers électroniques constitue un véritable saut technologique. Les métiers changent. Le mouvement est d’ailleurs bien lancé depuis une dizaine d’années par les laboratoires. Le quart ou peut-être déjà la moitié d’entre eux numérise les modèles en plâtre à l’aide d’un scanner de table. Ils conçoivent ensuite leurs pièces sur écran avant de les usiner. « Quand nous réalisions 8 éléments en pilier avec fraisage en une journée, aujourd’hui nous pouvons en faire 30 dans des conditions de travail plus favorables, et puis, grâce à ce système, notre gamme de produits est beaucoup plus ouverte. Pour résumer, on augmente la qualité de travail et la productivité… Mais les machines sont chères », reconnaît Philippe Poussin. Financièrement donc, l’avantage n’est pas certain. Ce prothésiste installé à Montrouge délègue la phase d’usinage. Selon les modèles et les matériaux retenus, les fichiers numériques partent chez des industriels en France en Allemagne, en Suisse, en Suède ou encore aux États-Unis. Car le coût des machines-outils et de leur maintenance est trop élevé. De plus, la rigueur des processus de fabrication exigée, notamment pour certains matériaux, nécessite une organisation du travail en continu ; impossible dans un labo. Les pièces reviennent vers lui pour la phase de finition. D’autres prothésistes font le choix de maîtriser de bout en bout la fabrication au sein de leur propre labo ou par l’intermédiaire de groupements, du type coopérative, qui permettent de mutualiser les investissements importants à moindre coût pour le client chirurgien-dentiste. « Nous avons sélectionné une machine capable de réaliser 800 modèles à l’heure. À ce niveau-là, on arrive à être aussi concurrentiel qu’un modèle en plâtre », explique Pierre-Yves Besse, président de l’Union nationale patronale des prothèsistes dentaires (UNPPD), qui promeut les groupements coopératifs.

On peut imaginer dans quelques années qu’avec leurs fichiers d’empreinte numérique, certains chirurgiens-dentistes voudront maîtriser la production dans leur cabinet ou mutualiser les moyens de plusieurs cabinets pour bénéficier des services d’un technicien ou d’un prothésiste et d’une machine pour usiner rapidement. D’autres seront tentés de s’adresser directement à un industriel quelque part dans le monde qui leur enverra directement leur pièce. D’ailleurs, en cas de casse ou de perte d’une prothèse, les fichiers conservés seront prêts à resservir. Il suffira de les envoyer à la fabrication pour obtenir le rechange. L’arrivée de nouveaux composites très résistants, de faible coût et plus facilement fraisables que la céramique, pourrait accélérer les changements. « Nous sommes dans une période où les évolutions sont très rapides », remarque Philippe Poussin, qui reste cependant serein pour son avenir de prothésiste. « Il y aura toujours une demande pour une prothèse adaptée à chaque personne en particulier. Quand on veut faire une dent le mieux possible, il faut qu’elle possède les mêmes lignes de lumière. Elle est très personnalisée. Actuellement, il n’y a que l’œil pour le faire. Et je ne pense pas que la machine puisse le remplacer un jour. » L’empreinte optique dans les cabinets dentaires sera « un soulagement pour les labos. C’est plus une aide qu’un concurrent, estime Pierre- Yves Besse. Car il faudra toujours un professionnel pour voir comment arranger l’esthétique ». Et il prévient que quoiqu’il en soit, la dématérialisation de l’empreinte ne pourra pas « pallier l’insuffisance de la préparation au fauteuil » !

La procédure iTero

Pour chaque système de prise d’empreinte, une procédure est mise en place. Dans le cas d’iTero, lorsque le chirurgien-dentiste français a achevé sa prise d’empreinte, il expédie son fichier électronique vers l’une des deux plateformes mondiales de Strauman qui est le distributeur d’iTero. L’une se situe en Israël, l’autre en Hollande. Sur place, un infoprothésiste examine l’information et détermine si elle est suffisante pour être exploitée en FAO. Il nettoie et traite les fichiers ainsi reçus du monde entier et les réexpédie dans les 24 heures chez le prothésiste désigné par le chirurgien-dentiste. Si c’est en France, le prothésiste, qui dispose d’un logiciel adapté, modélise la reconstitution et la fait réaliser par l’une des 15 plateformes françaises de FAO capables de lire les fichiers d’iTero.