Équilibre entre rigueur et humanité - Clinic n° 09 du 01/10/2012
 

Clinic n° 09 du 01/10/2012

 

Passions

CATHERINE FAYE  

Pour Thierry Charles, chirurgien-dentiste spécialisé en endodontie, travail rime avec plaisir. « Estampillé Bruxellois de A à Z », comme il aime à se définir, ce chargé de cours en endodontie à l’ULB* et responsable de l’Unité d’endodontie au CHU Saint-Pierre jongle entre son cabinet, quelques publications internationales et l’EODEC**. C’est dans le cadre de cette association qu’il a lancé une action pérenne au Togo, avec la mise en place d’un cabinet dentaire et d’une clinique dentaire mobile.

Comment est né l’EODEC ?

Nous avons créé cette association il y a 7 ans, avec mon confrère et ami Mohammad Ali Khamaktchian, spécialisé en implantologie et en orthodontie, et un groupe de praticiens.

Pourquoi installer un cabinet au Togo ?

Mener une action humanitaire est un souhait que nous avons longtemps formulé avec Mohammad Ali Khamaktchian. Mais nous tenions être en mesure de prodiguer des soins de qualité, à l’aune de ce que nous faisons dans nos cabinets respectifs en Belgique. Pas de bricolage mais du concret, avec du bon matériel.

Comment cela a-t-il commencé ?

Par une succession de hasards et de rencontres. Il y a 4 ans, nous sommes partis au Togo et on nous a mis en contact avec quelqu’un qui pouvait mettre un local à notre disposition. À notre retour, nous avons fait partir d’Anvers un container avec 2 fauteuils et tout le matériel. Début février 2009, l’ensemble a été réceptionné par 2 chirurgiens-dentistes et 2 techniciens partis sur place pour assurer l’installation.

À quoi ressemble ce cabinet ?

Il est équipé aux normes que nous connaissons en Belgique et est capable de recevoir des patients pour des actes d’omnipratique, d’endodontie et d’implantologie. Situé dans un centre de loisirs de Lomé, il comporte 2 installations complètes qui permettent à 2 praticiens d’exercer en même temps, avec un matériel performant : ultrasons pour les détartrages, rayons X, matériel pour les soins, l’endodontie ou l’extraction, stérilisateur…

À qui s’adressent vos soins ?

Nous recevons essentiellement les enfants scolarisés de Lomé et des villages aux alentours. Cela nous permet de faire du dépistage, de la prévention, de travailler en amont. Nous allons chercher les élèves en minibus, dans un rayon de 40 km, les soignons en ville, leur offrons un repas puis les ramenons à l’école.

Comment avez-vous été accueillis ?

Il y a eu la question de la concurrence à prendre en compte. Nous n’allions pas venir nous installer comme ça, nous les Belges, alors qu’il existe des cabinets à Lomé, c’est une question de respect. Nous travaillons main dans la main avec les écoles, nous proposons des formations aux praticiens togolais et nous leur apportons du matériel.

Qui reçoit ces jeunes patients ?

Qu’ils soient belges, français, luxembourgeois ou suisses, tous les chirurgiens-dentistes qui le souhaitent viennent soigner nos patients, 1 semaine ou 2, pendant leur temps de vacances. Ils prennent en charge frais de transport, vaccinations et médicaments contre la malaria. C’est un engagement personnel. L’association s’occupe du logement et de la nourriture.

Le cabinet tourne-t-il toute l’année ?

En moyenne, il tourne à 65 %. D’octobre à avril, il est tout le temps plein alors que, pendant la saison des pluies et les vacances scolaires, c’est plus calme. L’EODEC a formé 2 assistantes togolaises qui aident autant au fauteuil qu’au nettoyage et à la stérilisation des instruments. Un chauffeur-secrétaire s’occupe d’inscrire les patients et de tenir les statistiques de soins.

Et la clinique dentaire mobile ?

Cette année, nous avons aménagé un camion, avec tout ce qui fait un cabinet moderne – c’est la facette itinérante de notre démarche – qui va dans les villages et où nous soignons tout le monde.

Quel état des lieux faites-vous à ce jour ?

Plus de 4 600 patients ont été soignés, soit plus de 7 000 soins. En 3 ans, environ 70 dentistes volontaires se sont rendus sur place. Pour tous, ce fut une expérience inoubliable car nous soignons pour le plaisir de soigner et les patients sont très reconnaissants.

Que vous apporte cette expérience ?

À Lomé, où je me rends 3 fois par an, je soigne des patients qui n’ont pas un regard faussé sur la relation avec le praticien, il n’y a aucun rapport à l’argent puisque les soins sont gratuits. On est vraiment dans le « don de soi ».

Seriez-vous prêt à changer de vie ?

Dans ma vie, tout est plaisir : mon cabinet, l’université, mes amis, le sport, les voyages. Mon secret : tout ce que je n’aime pas, je ne le fais pas. Ma devise : bien faire et laisser dire.

*Université libre de Bruxelles

**European Oral and Dental Education Center, www.eodec.eu

Quelques mots sur le Togo Le Togo compte environ 6 millions d’habitants pour 35 dentistes. Il n’y a pas de formation universitaire pour les chirurgiens-dentistes qui font leurs études au Sénégal, en France ou en Russie. La majorité de la population ne peut pas se payer de soins dentaires ; beaucoup d’adultes sont édentés partiels ou totaux.

La situation sanitaire sur le plan bucco-dentaire est préoccupante.