ENDO… AUTREMENT
Caroline TROCMÉ* ***%22&revues[]=CLI&sortby=relevance"> Stéphane SIMON
*Docteur en chirurgie dentaire diplômée
de l’université de Médecine dentaire
de Genève
**Diplôme universitaire européen
d’endodontologie clinique
(université Paris Diderot-Paris 7)
***Maître de conférence en sciences biologiques et endodontie
(université Paris Diderot-Paris 7)
****Praticien hospitalier (groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière)
*****Directeur du diplôme universitaire européen d’endodontologie
clinique (université Paris Diderot-Paris 7)
Les travaux de Kakehashi et al. [1], dès 1965, ont permis de confirmer l’origine bactérienne de la parodontite apicale, origine suspectée depuis la fin du XIXe siècle par l’américain Miller [2]. Les procédures thérapeutiques doivent ainsi être dirigées vers la réduction maximale de la population bactérienne en présence et prévenir l’introduction de nouveaux...
Les travaux de Kakehashi et al. [1], dès 1965, ont permis de confirmer l’origine bactérienne de la parodontite apicale, origine suspectée depuis la fin du XIXe siècle par l’américain Miller [2]. Les procédures thérapeutiques doivent ainsi être dirigées vers la réduction maximale de la population bactérienne en présence et prévenir l’introduction de nouveaux micro-organismes dans le système endodontique.
Dans cette optique, l’emploi continu et abondant de solutions d’irrigation ainsi que leur activation, pour optimiser leur action, sont primordiales. En effet, du fait de la complexité du système endodontique [3], une quantité significative de débris et de bactéries persiste dans le canal, et ce quelle que soit l’instrumentation ou la technique de mise en forme employée. De nombreuses études ont pu démontrer que seules de 35 à 53 % des parois canalaires entreraient en contact avec l’instrumentation lors de la mise en forme [4-8].
L’irrigation prend toute son importance dans le nettoyage de ces surfaces non instrumentées et infectées. La préparation instrumentale apparaît ainsi au service de l’irrigation. Elle permet aux solutions de pénétrer plus profondément au sein du système endodontique et autorise leur renouvellement [8, 9].
Entre 1981 et 1985, Byström et Sundqvist démontrent, par une série d’études expérimentales, la double fonction de l’irrigation canalaire [10-12]. L’irrigation exerce non seulement une action mécanique d’évacuation des débris [13] et de lubrification des instruments de préparation canalaire mais également une action chimique de désinfection grâce à l’emploi d’une solution antibactérienne associée ou non à l’adjonction d’une solution chélatante. Ces travaux ont considérablement fait évoluer l’approche thérapeutique de l’endodontie et ont justifié l’utilisation de la dénomination « préparation chimio-mécanique » des canaux radiculaires.
Grossman [14], dès 1941, énumérait les exigences que devait remplir une solution d’irrigation dite idéale. Elles ont été progressivement complétées [15] (fig. 1).
Il n’existe à ce jour aucune solution répondant à l’ensemble de ces critères, l’équilibre entre efficacité antibactérienne et faible toxicité vis-à-vis des tissus sains étant particulièrement difficile à obtenir [16]. Une irrigation optimale reposera ainsi sur l’emploi combiné de deux ou plusieurs solutions, selon une séquence bien spécifique ainsi qu’une technique particulière favorisant leur déplacement dans l’ensemble du système endodontique tout en ménageant les tissus péri-apicaux [17].
Les produits actuellement préconisés sont l’hypochlorite de sodium (NaOCl), l’acide éthylène diamine tétra-acétique (EDTA), la chlorhexidine et, plus récemment, le QMiX®. Les deux premiers restent encore à ce jour les produits de choix.
Recommandé comme solution d’irrigation endocanalaire dès 1936 par Walker, l’hypochlorite de sodium reste la solution de choix pour la désinfection endodontique. Il s’agit de la seule solution satisfaisant au mieux les différentes exigences énoncées précédemment [18].
L’hypochlorite présente une action antibactérienne à large spectre associée à une action unique de dissolution des tissus organiques [14, 19]. Il facilite et sécurise également la mise en forme canalaire grâce à une action lubrifiante [20].
Il s’agit de la solution d’irrigation la plus efficace pour désagréger et éliminer le biofilm bactérien endodontique [21, 22] (fig. 2). En effet, cette organisation ultra-structurale confère aux micro-organismes une résistance accrue aux agents de désinfection canalaire [23, 24] et représenterait la principale raison des échecs en endodontie [25].
Le chlore (Cl) est le principal élément actif. En solution, il est libéré sous la forme d’ion hypochlorite et d’acide hypochloreux selon les équations chimiques détaillées dans la figure 3.
Ces deux composants constituent la quantité totale de chlore disponible [26]. Au contact des matières organiques, ils seront consommés progressivement au cours de réactions d’hydrolyse et d’oxydation. Leur consommation sera accompagnée d’une perte progressive de l’efficacité de la solution. Il faudra donc veiller au renouvellement permanent de la solution afin de maintenir son activité au sein du système canalaire.
Cependant, l’hypochlorite n’est pas exempt de défauts et les complications d’une mauvaise utilisation peuvent être préjudiciables :
• l’injection dans le canal doit être contrôlée et ne jamais se faire en force. Une éjection de la solution dans le péri-apex provoque des irritations, des brûlures caustiques et des dommages tissulaires considérables [27] ;
• l’hypochlorite de sodium altère les propriétés mécaniques de la dentine et modifie la structure du tissu de telle sorte que l’adhésion des matériaux de reconstitution coronaire peut s’en trouver perturbée. Les protocoles de collage doivent être adaptés.
Il s’agit d’amener la solution directement au contact des tissus à dissoudre et à désinfecter [28, 29]. Une préparation instrumentale optimale [8] combinée à une agitation mécanique de l’hypochlorite facilite la circulation et le renouvellement de la solution dans le réseau canalaire. Selon Stojicic [30], l’agitation de l’hypochlorite augmenterait entre 2 et 12 fois sa capacité de dissolution.
Yamada, en 1983 [31], démontre qu’il y a un rapport entre l’augmentation du volume de la solution et l’amélioration de la propreté des parois canalaires. Une augmentation de la quantité de chlore actif à disposition et le remplacement des agents devenus inactifs ou ayant déjà réagi améliorent la dissolution des tissus pulpaires [32], l’effet antibactérien de la solution [33] ainsi que l’évacuation des débris. Le chlore est en effet consommé rapidement, probablement dans les deux premières minutes d’utilisation de la solution d’hypochlorite de sodium [34].
La reconstitution d’une cavité d’accès à 4 parois, en établissant un réservoir pour l’hypochlorite [35], ainsi que le renouvellement continu de la solution [32, 33, 36, 37] augmentent le volume à disposition et optimisent les effets de l’hypochlorite de sodium.
Les solutions le plus couramment utilisées sont concentrées à 0,5 %, 1 %, 2,5 % et 5 %. Le choix de la concentration de la solution reste cependant discuté en endodontie.
Une plus grande concentration s’accompagne non seulement d’une plus grande efficacité en termes de dissolution des tissus [30] ou d’activité antibactérienne [19] mais également d’une plus grande toxicité envers les tissus péri-apicaux [16].
De nombreux auteurs [15, 33, 38] préconisent l’utilisation de solutions plus faiblement concentrées. En effet, le renouvellement constant minimise l’impact de la concentration (efficacité similaire) et limite le risque de survenue d’événements indésirables. Par ailleurs, Trepagnier démontrait déjà en 1977 que deux solutions d’hypochlorite de sodium à 2,5 et 5 % ne présentaient pas de différence d’efficacité en termes de dissolution des matières organiques [29].
Il a été proposé d’élever la température de la solution afin d’accroître la capacité de dissolution de l’hypochlorite de sodium ainsi que ses effets antibactériens [30, 39, 40]. En pratique, les seringues peuvent être réchauffées au bain-marie à l’aide d’un chauffe-biberon par exemple. On pourra ainsi conserver les seringues d’hypochlorite de sodium à 60 °C tout au long du traitement endodontique. Des réchauffeurs de seringue sont également proposés sur le marché dans ce but.
Ainsi, dans une étude de 2005, Sirtes [41] démontre que la capacité de dissolution de l’hypochlorite de sodium à 1 % à une température de 45 °C est comparable à celle d’une solution à 5,25 % à une température de 20 °C. L’effet antibactérien, lui, se voit doublé par incrément de 5 °C (fig. 5). Enfin, une élévation de la température permettrait d’abaisser la tension de surface de la solution, de favoriser sa pénétration et donc d’accroître son efficacité. Certains auteurs se sont interrogés sur les complications cliniques que l’élévation de température pourrait engendrer. Une solution chauffée, donc plus active, devrait voir sa toxicité augmenter. Les données scientifiques sont actuellement insuffisantes pour répondre sur ce point.
Néanmoins, un équilibre thermique se met rapidement en place entre la solution et les tissus environnants du fait de la faible conductivité thermique de la dentine humaine. Ainsi la toxicité mais également l’efficacité accentuée assurée par le réchauffage de la solution sont nécessairement limitées par l’impossibilité de maintenir cette température in situ [42, 43].
La mise en forme canalaire s’accompagne de la formation d’une boue dentinaire sur les parois instrumentées [20, 44]. Cette pellicule s’étend également à l’intérieur des tubuli dentinaires, protégeant les micro-organismes de l’action de l’hypochlorite et empêchant un contact intime entre les parois canalaires et le matériau d’obturation canalaire [45].
Cette boue dentinaire consiste en une compaction de débris organiques (tissu pulpaire, micro-organismes) et inorganiques (copeaux de dentine) contre les parois. En fin de préparation, il est recommandé d’éliminer cette pellicule afin d’optimiser la désinfection ainsi que l’obturation canalaire. L’hypochlorite de sodium ne permet qu’une élimination partielle avec une action orientée essentiellement contre les composants organiques.
Introduite en endodontie dès 1957 par Nygaard-Östby [46] afin de faciliter l’instrumentation canalaire en ramollissant la dentine par déminéralisation, l’utilisation de l’EDTA s’oriente rapidement vers l’élimination de cette boue dentinaire grâce à ses propriétés chélatantes et à la dissolution des cristaux d’hydroxyapatite. Ainsi, dès 1968, Guttierez et Garcia [47] démontrent que l’utilisation d’une solution d’EDTA permet l’obtention de parois canalaires plus lisses. McComb et Smith, en 1975 [20], seront les premiers auteurs à mettre en évidence cette action de nettoyage inhérente à l’utilisation d’EDTA.
L’EDTA est utilisé en rinçage final à une concentration de 17 % [31].
Une étude pilote [48] réalisée en 2012 démontre l’efficacité de cette solution dans le nettoyage des parois canalaires. Après la mise en forme instrumentale, les parois sont recouvertes d’une couche épaisse de boue dentinaire (fig. 6). L’utilisation combinée d’hypochlorite et d’EDTA lors de l’irrigation finale et selon une séquence bien spécifique [20, 31, 35, 49] permet l’amélioration de leur état de surface en diminuant l’épaisseur de la pellicule (fig. 7). La mise en mouvement de ces solutions par leur agitation mécanique, en exposant le contenu des tubuli dentinaires aux solutions d’irrigation, optimise encore plus la propreté ainsi que la désinfection canalaire, condition sine qua non pour le succès de la thérapeutique endodontique [35] (fig. 8).
En remplacement de l’EDTA, d’autres solutions chélatantes ont été proposées, la plus connue étant l’acide citrique à 10 % qui semble avoir une efficacité similaire [18, 50].
L’EDTA existe également sous la forme de gel. Son utilisation, sous cette forme galénique, se limite à l’étape de l’instrumentation canalaire : il pourra être utilisé au cours de l’exploration initiale avec les instruments manuels ou pour lubrifier et faciliter la progression des instruments de mise en forme.
Le digluconate de chlorhexidine est un antiseptique à large spectre. Ce composé de nature cationique interagit par lésion hydrostatique avec les charges négatives de la surface membranaire des bactéries et les rend perméables.
Son effet dépendra de la concentration de la solution :
• à faible concentration, son action est bactériostatique, principalement par altération de la paroi bactérienne et inhibition de certaines enzymes ;
• à plus forte concentration, son action est bactéricide et induit une précipitation du contenu cytoplasmique bactérien.
La chlorhexidine présente des propriétés bactéricides rémanentes uniques : elle est capable de se fixer sur les tissus durs et sera libérée progressivement. On parle de substantivité de la solution, de 48 heures à 12 semaines selon les études.
Afin de profiter de son action antimicrobienne prolongée, on pourra l’utiliser lors du rinçage final en complément de l’EDTA à une concentration de 2 %. Il semblerait que l’utilisation de chlorhexidine et non d’hypochlorite après l’application d’EDTA soit moins agressive pour la dentine [15]. Il faudra cependant s’assurer de l’élimination de toute trace d’hypochlorite dans le canal. En présence, les deux composés interagissent et donnent naissance à de la para-chloroaniline, composé toxique et particulièrement difficile à éliminer.
La chlorhexidine a également été proposée en médication intermédiaire en remplacement de ou en association avec l’hydroxyde de calcium. Cette utilisation reste encore un sujet de controverse. Selon une étude de Paquette et al. de 2007 [51], la chlorhexidine en interséance ne réduirait pas la concentration bactérienne en dessous de celle obtenue en fin de la première séance.
Enfin, certains auteurs ne recommandent son utilisation que dans le cadre des retraitements endodontiques. Elle présente une action privilégiée contre les bactéries à Gram positif et contre les levures (Candida albicans en particulier), micro-organismes rencontrés le plus fréquemment dans les infections canalaires secondaires ou persistantes [25, 52].
Malgré des résultats encourageants, l’utilisation de la chlorhexidine ne s’est pas généralisée en endodontie. L’adjonction d’un agent de désinfection supplémentaire vient compliquer la procédure thérapeutique et augmente le risque de complications opératoires. La tendance actuelle est à la simplification des protocoles.
Arrivé sur le marché américain en 2011 mais non distribué en Europe, le QMiX® (Dentsply, Tulsa) associe trois solutions : EDTA, chlorhexidine et agent surfactant. Son utilisation est indiquée en irrigation finale, en remplacement de l’EDTA et de la chlorhexidine, dans le but de simplifier le protocole opératoire pour le praticien.
L’adjonction d’un surfactant est intéressante puisqu’elle permettrait d’améliorer la mouillabilité du produit sur les parois canalaires et d’optimiser ainsi l’efficacité de la solution [53].
Les résultats des études de Stojicic et al. [54] ou encore de Dai et al. [55] démontrent que le QMiX® aurait une efficacité antimicrobienne comparable à celle d’une solution d’hypochlorite de sodium à 6 % et serait tout aussi efficace que l’EDTA pour l’élimination de la boue dentinaire des parois canalaires.
La procédure d’irrigation peut être séparée en deux phases :
• la phase d’instrumentation, au cours de laquelle la solution d’irrigation va permettre l’évacuation des débris générés par la mise en forme et le nettoyage des parois canalaires ;
• la phase d’irrigation finale, une fois la préparation instrumentale effectuée, au cours de laquelle la dissolution et la désinfection des matières organiques et inorganiques seront optimales. La solution va pouvoir atteindre les derniers millimètres du canal ainsi que les autres complexités anatomiques et y être renouvelée efficacement grâce à l’agitation de la solution (fig. 6). On parle d’activation de l’irrigation.
Dans une seconde partie (à paraître dans le prochain numéro de Clinic), les moyens cliniques utilisés pour optimiser la désinfection du système endodontique tout au long du traitement seront étudiés.
* L’auteur déclare avoir un conflit d’intérêts avec la société Itena commercialisant l’Irrigatys® présenté dans ce manuscrit.
L’irrigation canalaire revêt une importance primordiale pour le succès de la thérapeutique endodontique :
l’instrumentation des canaux n’est pas suffisante à elle seule pour éradiquer l’infection intraradiculaire.
Cependant, le nettoyage de certaines zones anatomiquement complexes ou inaccessibles à la préparation instrumentale représente toujours un véritable défi. Au cours des 10 dernières années, plusieurs dispositifs ont été mis au point afin d’optimiser la qualité de la désinfection canalaire.
Ce sujet important et complexe sera traité en deux temps, par deux articles successifs. Dans celui-ci, les objectifs de la phase d’irrigation et les solutions utilisées sont abordés.