Sauter le pas de la MSP - Clinic n° 05 du 01/05/2015
 

Clinic n° 05 du 01/05/2015

 

ÉQUIPE ET ESPACE

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

Intégrer, dès sa création, une maison de santé pluriprofessionnelle comptant 23 professionnels de santé dont 2 chirurgiens-dentistes, c’est le pari fait par Dominique Brachet pour sa troisième installation. Dix-huit mois plus tard, la MSP d’Aizenay, en Vendée, tourne à plein régime avec 3 chirurgiens-dentistes.

« Exercer ensemble, c’est ce que veulent les jeunes, c’est l’avenir ». Dominique Brachet en est tellement persuadé qu’en 2005 il réunit tous les professionnels de santé d’Aizenay pour leur proposer de créer une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP). Son idée est d’exercer avec plusieurs chirurgiens-dentistes au milieu d’autres professions de santé. « La pire des bêtises, c’est de s’installer seul chirurgien-dentiste dans une MSP », affirme-t-il. Une solution qui n’a plus de sens pour lui alors qu’il faut assurer un plateau technique de haut niveau. C’est aussi un choix. « Je voulais partager sur des cas, prendre des avis, mais aussi me donner la possibilité de transmettre à des praticiens plus jeunes », explique ce praticien qui en est à sa troisième installation : la première en 1978 dans un cabinet de village et la deuxième, 15 ans plus tard, à Aizenay au côté de 3 médecins.

Mais ce jour de l’année 2005, on l’écoute, sans plus.

Une solution préventive

Cinq ans plus tard pourtant, l’idée d’un regroupement des professions a fait son chemin. Il faut dire que les problèmes de démographie professionnelle deviennent prégnants dans plusieurs régions en France. Ce n’est pas le cas à Aizenay, une ville de 9 000 habitants située à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de La-Roche-sur-Yon. Mais le maire s’inquiète tout de même de l’âge des professionnels de santé de sa ville. La moitié des médecins et des chirurgiens-dentistes partiront à la retraite dans les 10 ans. La maison de santé pluriprofessionnelle apparaît alors comme une solution préventive à soutenir. De nombreux professionnels rallient le projet. Sur les 50 qui exercent à Aizenay et aux alentours, 23 dont 2 chirurgiens-dentistes se lancent dans l’aventure.

Construire une maison…

Une fois la décision prise, il faut trouver un lieu d’exercice. La commune fournit le terrain mais refuse de financer un bâtiment. Les professionnels ne sont pas non plus prêts à investir dans la construction des locaux. « Nous voulions être locataires et payer un loyer au prix du marché de façon à ne pas faire de concurrence aux autres professionnels de santé », explique Dominique Brachet. L’occasion se présente. Une maison pour personnes âgées doit être construite sur le terrain contigu à celui de la maison de santé pluriprofessionnelle. Le bailleur social, Vendée Habitat, est sollicité pour financer aussi les murs de la maison. D’abord réticent, il accepte après avoir obtenu des garanties sur les loyers qui lui permettront de rembourser son emprunt. La volonté du maire a été déterminante dans la conclusion d’un accord. Pendant les périodes de vacance d’un local professionnel, la mairie s’engage à se substituer au professionnel de santé pour régler le loyer, le temps de trouver un remplaçant. C’est une garantie pour le bailleur et pour les professionnels qui sont assurés de ne pas devoir verser les loyers pour des locaux vides. « Ce volet financier était compliqué à gérer mais important car beaucoup de MSP achoppent sur cette question », se félicite Dominique Brachet qui s’est beaucoup impliqué dans la création de la maison. Les 2 chirurgiens-dentistes ont d’ailleurs bénéficié de ce mécanisme pendant les 6 mois qui ont suivi l’ouverture de la maison au mois de septembre 2013. Le loyer du troisième cabinet dentaire créé lors de la construction de la maison a été pris en charge par la mairie jusqu’au mois de février suivant, à l’arrivée d’une jeune collaboratrice qui deviendra associée au mois d’août.

… en trois espaces…

La maison de santé pluriprofessionnelle est aménagée en 3 pôles indépendants. Au rez-de-chaussée, en face de l’entrée, le bureau d’accueil pour les médecins commande l’accès à 2 vastes couloirs en angle droit distribuant chacun les salles d’attente et les cabinets médicaux des 7 médecins de la maison. À droite de l’entrée, un escalier doublé d’un ascenseur commande l’accès à l’étage où exercent, dans le couloir de droite, les 3 chirurgiens-dentistes avec chacun leur assistante et, dans celui de gauche, les autres professions de santé : 7 infirmières, 2 pédicures-podologues, 1 ophtalmologiste, 1 orthophoniste, 1 orthoptiste, 1 psychomotricienne, 1 psychologue et une diététicienne. Chacun des 3 pôles a fait appel à son propre architecte pour les aménagements intérieurs. L’aile des chirurgiens-dentistes s’ouvre sur un bureau d’accueil qui donne accès à la salle d’attente, à la salle de radiologie, à l’espace de stérilisation et à chacun des 3 cabinets dentaires. Un dernier espace aujourd’hui utilisé comme lieu de stockage pourrait être transformé en salle de chirurgie à moins qu’il n’accueille un appareil pour la conception de prothèses. Une seconde solution qui a la faveur de Dominique Brachet.

… autonomes

Au sein du pôle dentaire, la vie s’organise progressivement à 3 chirurgiens-dentistes regroupés dans une société civile de moyens avec 3 assistantes. Pour Dominique Brachet, rien n’a changé sur le plan technique, mis à part l’apport d’une radiographie panoramique. Dans son nouveau cabinet, le praticien a conservé tout son matériel. Mais l’organisation est revue à trois. Pas toujours simple quand on exerce seul depuis de nombreuses années. « Mais avec de la volonté » et des réunions régulières tous les mois avec chirurgiens-dentistes et assistantes pour partager les difficultés rencontrées, remettre en question de vieilles habitudes et mettre au point une nouvelle organisation, l’équipe avance. La bonne ambiance qui règne entre tous est aussi un précieux ingrédient. « Ce qui m’a plu dès le départ, c’est que tout n’est pas déjà installé. Nous sommes encore en train de construire, de concevoir notre organisation. Quand on a une idée, on la partage », s’enthousiasme Lucie Macquigneau, la nouvelle associée.

Les 3 assistantes apprécient ce nouveau cadre d’exercice plus vivant. Elles restent attachées à leur praticien et s’occupent plus particulièrement de leurs patients mais elles prennent les rendez-vous et assurent la stérilisation pour tous.

Et un projet de santé commun

Une maison de santé pluriprofessionnelle ne peut se résumer à un projet immobilier qui rassemble différents professionnels ou groupes de professionnels sous un même toit. « L’essentiel, c’est le projet de santé, sinon cela ne marche pas », affirme Dominique Brachet. Le projet de santé manifeste la volonté et l’engagement des professionnels de la maison de travailler ensemble pour assurer la permanence des soins mais aussi pour mener des actions de santé publique. Toute une phase de réflexion a été nécessaire en amont de la création de cette MSP. Une phase jugée très bénéfique pour la cohésion du groupe. « L’élaboration du projet de santé permet aux professionnels de mieux se connaître, de créer des liens. À un moment, ils décident de se lancer », se souvient Dominique Brachet. À Aizenay, cette période de réflexion a duré 1 an avant même le démarrage de la construction des bâtiments. Un binôme composé d’un représentant de l’agence régionale de santé (ARS) et d’un professionnel de santé « facilitateur » a aidé les futurs locataires de la maison à mettre sur pied ce projet*.

L’exemple du diabète

Et ce projet a conduit la maison de santé pluriprofessionnelle à mener plusieurs actions de santé financées par l’ARS. En 2014, 3 contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) ont ainsi été signés sur le diabète, les troubles de l’apprentissage et les plaies chroniques. Les chirurgiens-dentistes participent aux deux premiers. S’agissant du diabète, les professionnels ont réalisé une affiche commune mettant en avant l’apport de chacune de leurs spécialités dans les soins aux personnes diabétiques. Et cette année, 18 d’entre eux suivent une formation commune sur cette maladie. Voilà un exemple d’action qui permet de « progresser dans “l’interpro” », note Dominique Brachet. Pour les chirurgiens-dentistes en particulier, qui sont moins en relation au quotidien avec les autres professions de santé de la maison, ces terrains de travail communs revêtent un grand intérêt. La création prochaine d’une société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA) permettra aux professionnels de répartir les subventions reçues pour des actions réalisées en commun. Pour favoriser la communication entre les professionnels, il est aussi prévu de mettre en place un système informatique partagé. Après les murs, c’est donc toute une organisation commune qui se construit progressivement. Les locataires de la maison se retrouvent tous les 2 mois pour faire avancer ces travaux interprofessionnels.

« Nous sommes tous très contents des liens créés entre les professionnels », note Dominique Brachet qui porte aussi la casquette de président de la MSP depuis 6 mois. Ce poste prenant l’amène à gérer, avec son bureau composé de 2 infirmières, 2 médecins et 1 pédicure-podologue, des questions aussi variées que le ménage ou les déchets… « Toutes les MSP se heurtent au même problème de gestion… ». Il est prévu qu’une personne rémunérée par l’ARS soit embauchée pour assurer cette fonction incontournable pour la bonne marche de cette grande maison.

  • * Le Comité d’accompagnement aux projets territoriaux de santé, ou CAT, est une particularité des Pays de Loire qui a sans doute contribué au succès des maisons de santé pluriprofessionnelles dans la région : une cinquantaine aujourd’hui.

Anne SURAULT, médecin généraliste

« Je me suis installée dans cette maison de santé pluriprofessionnelle pour attirer des médecins lorsque je partirai à la retraite, mais aussi pour travailler en équipe. On prend plaisir à se connaître. Tout le monde y trouve son compte. Quelle que soit la profession, nous avons les mêmes patients. Cette organisation nous permet de les prendre en charge dans leur globalité.

Pour qu’une maison de santé pluriprofessionnelle tienne dans la durée, il faut que chacun puisse s’investir dans son champ de compétences.

Certains sont plus intéressés par le matériel, d’autres par la finance, le relationnel, la santé… On se réunit régulièrement pour faire le point. La boîte mail est un bon outil. Il faut aussi respecter ceux qui ne sont pas meneurs ou qui n’ont pas envie de s’investir dans des actions de santé. »

Aurélie CHARIAUD, pédicure-podologue

« J’ai rejoint la maison de santé pluriprofessionnelle pour travailler en lien direct avec les médecins. J’ai besoin d’eux car je travaille sur prescription. Mais la maison permet aussi de faire connaître notre métier aux autres professions. Nous n’avons pas de liens directs avec les chirurgiens-dentistes dans notre métier sauf pour certaines pathologies. Par exemple, la mâchoire entre en compte quand on s’intéresse à la posture. Dans le cas d’un diabète, les patients ont besoin de conserver leur sourire. Le fait d’être entourée de plusieurs autres professions de santé est un enrichissement pour moi et me permet de mieux suivre mes patients.

Nous avons tous la chance de bien nous entendre et que des chirurgiens-dentistes et des médecins soient des professionnels « moteurs » de la maison. »

Franck CROUÉ, chirurgien-dentiste

« Je voulais depuis longtemps travailler en groupe et pouvoir échanger avec des confrères médecins. Quand il a été question d’une maison de santé pluriprofessionnelle à Aizenay, je devais justement quitter le cabinet dans lequel j’exerçais depuis 12 ans car mon associé partait à la retraite et voulait récupérer les murs du cabinet dont il était le propriétaire.

J’ai donc intégré le projet de maison de santé pluriprofessionnelle dès le départ. J’aime beaucoup mon métier mais encore plus avec la bonne ambiance qui règne entre nous. L’échange est facile et immédiat autour, par exemple, d’un patient qui a aussi des problèmes médicaux. Le lieu est rassurant pour les patients. Ils savent qu’en cas de problème, un médecin est là. Mais il faut aussi faire attention à ce qu’ils ne se sentent pas accaparés par ce lieu qui concentre autant de professionnels de santé !

La difficulté de la structure, c’est la lourdeur de la gestion. Il faut des conciliations, des réunions et s’investir pour que cela marche. Il faut que chacun fasse attention aux autres. »