Détection des lésions carieuses : la caméra SoproLife® dans la littérature scientifique - Clinic n° 08 du 01/09/2015
 

Clinic n° 08 du 01/09/2015

 

ODONTOLOGIE CONSERVATRICE

Julie RONGIER*   Michèle MULLER-BOLLA**   Marion BOYER***   Sophie DOMÉJEAN****  


*Docteur en chirurgie dentaire
Omnipratique libérale
**PU-PH
***Département d’odontologie pédiatrique
UFR d’odontologie, UNS-UCA
Pôle odontologie, CHU Nice
URB2i-EA 4462, Paris Descartes
****Interne en odontologie médecine
bucco-dentaire
*****CHU Clermont-Ferrand
Service d’odontologie
Hôpital Estaing
63003 Clermont-Ferrand, France
Université Clermont 1
UFR d’odontologie
Centre de recherche en odontologie
clinique EA 4847
2, rue de Braga
63100 Clermont-Ferrand
******PU-PH
*******CHU Clermont-Ferrand
Service d’odontologie
Hôpital Estaing
63003 Clermont-Ferrand, France
Université Clermont 1
UFR d’odontologie
Centre de recherche en odontologie
clinique EA 4847
2, rue de Braga
63100 Clermont-Ferrand

L’objectif de cet article est de faire le point sur la capacité à détecter les lésions carieuses de la caméra SoproLife® au travers d’une revue exhaustive de la littérature scientifique.

L’approche thérapeutique en cariologie a fondamentalement changé au cours des deux dernières décennies. Plus respectueuse des tissus dentaires sains qu’auparavant, elle fait appel à des thérapeutiques non et peu invasives comme la reminéralisation fluorée ou le scellement thérapeutique et l’infiltration résineuse [1-3]. Ces nouveaux paradigmes s’accompagnent d’une évolution dans la démarche diagnostique avec, notamment, une détection précoce des lésions ainsi qu’une évaluation de leur activité.

L’examen clinique visuel et la radiographie rétrocoronaire restent actuellement les « standards » pour le diagnostic en cariologie malgré quelques limites, en particulier dans le cas des lésions non cavitaires. Une récente revue de la littérature scientifique a enregistré des valeurs limites de sensibilité et de spécificité respectivement égales à 0,17-0,96 et 0,46-1,00 pour l’examen visuel et à 0,12-0,84 et 0,55-0,99 pour l’examen radiographique [4]. Une étude plus ancienne a rapporté que la combinaison inspection visuelle/radiographie rétrocoronaire offre, elle, une sensibilité de 0,49 et une spécificité de 0,87 [5]. Sensibilité et spécificité évoluant classiquement en sens inverse pour une même méthode diagnostique, ces résultats font valoir le manque de tests sensibles (forte probabilité d’avoir un test positif quand la dent est affectée par une lésion carieuse). Ce constat encourage depuis quelques années la mise au point de nouvelles techniques afin d’améliorer, idéalement, sensibilité, spécificité et reproductibilité des outils. De nouveaux dispositifs, notamment fondés sur la propriété d’autofluorescence des tissus dentaires, ont été créés, comme le DIAGNOdent® (KaVo), le QLF® (Inspektor Research Systems BV) ou encore la caméra SoproLife® (SOPRO-Acteon). Cette dernière a la particularité d’être un dispositif médical combinant caméra intrabuccale et système d’analyse d’autofluorescence qui permettrait, selon le fabricant, de dépister très précocement les premiers signes de déminéralisation et de distinguer dentines saine, affectée et infectée grâce à l’autofluorescence différentielle. Le présent article se propose, après une présentation générale de la caméra SoproLife®, de faire le point sur les données publiées dans la littérature scientifique internationale à partir d’une recherche électronique exhaustive (en date du 27 mai 2015) dans PubMed.

Présentation de la caméra SoproLife®

L’autofluorescence correspond à l’émission d’une fluorescence sans autre intervention extérieure qu’une excitation lumineuse. Elle est observée au niveau des tissus dentaires soumis à un éclairage à certaines longueurs d’ondes [6, 7]. La caméra SoproLife®, mise au point par le groupe Sopro-Acteon (La Ciotat, France) utilise deux types de LED qui éclairent dans le domaine du visible : LED à lumière blanche et LED à lumière bleue (450 nm) responsable de l’autofluorescence liée à la stimulation des fluorophores endogènes présents dans les tissus dentaires (fig. 1). La caméra est équipée d’un capteur (capteur CCD 0,25 pouce) et les données recueillies, relatives à l’énergie reçue par chaque pixel, permettent d’obtenir une image de la face observée superposée à une image d’autofluorescence. Selon le fabricant, cette caméra pourrait, grâce à cette autofluorescence, discriminer des différences de densité, de structure et de composition chimique de l’émail et de la dentine. Cette image, agrandie jusqu’à 50 fois, peut être observée en temps réel sur un écran LED et/ou sur un écran d’ordinateur en utilisant le logiciel SoproImaging® qui permet son enregistrement et, ainsi, un suivi de la face observée dans le temps (fig. 2).

En pratique clinique, un nettoyage prophylactique professionnel préalable à l’utilisation de la caméra est préconisé afin d’enlever résidus alimentaires, plaque dentaire, tartre et autres agents à utilisation topique comme les révélateurs de plaque qui pourraient interférer dans le processus de détection et entraîner des faux positifs. La caméra fonctionne en trois modes : « lumière du jour », « diagnostic » et « traitement ». Le premier mode utilise 4 LED à lumière blanche et permet, telle une caméra intra-orale classique, une observation macroscopique. Le mode « diagnostic » renseignerait le praticien sur la présence de lésions et leur activité. Il repose sur l’autofluorescence des zones identifiées comme douteuses à l’examen visuel et/ou à la radiographie rétrocoronaire. Le tableau 1 récapitule les recommandations du fabriquant pour l’interprétation des images produites par la caméra SoproLife®. Enfin, le mode « traitement » est indiqué pour guider le curetage dentinaire car il permettrait, toujours selon le fabricant, de différencier dentine infectée et dentine affectée ainsi que d’identifier l’activité des lésions (processus carieux actif ou arrêté) (fig. 3 à 10).

Caméra SoproLife® et la littérature scientifique

Une recherche bibliographique a été effectuée dans la base de données PubMed (le 27 mai 2015). De la requête réalisée avec « SoproLife » comme mot clé, sont ressorties 11 références [8-18]. Après lecture de tous les articles, 5 ont été exclus pour les raisons indiquées dans le tableau 2. Les 6 articles retenus peuvent être regroupés selon deux thématiques : origine de l’autofluorescence rouge de la dentine cariée [8, 9] et performance diagnostique de la caméra SoproLife® [10-13].

Origine de l’autofluorescence rouge de la dentine cariée

Une première étude in vitro réalisée par Panayotov et al. [8] a porté sur 10 dents humaines extraites. Les résultats ont montré qu’une déminéralisation complète induisait une perte de l’autofluorescence verte de la dentine saine mais n’était pas, à elle seule, responsable de la couleur rouge de la dentine cariée observée en mode « traitement ». La raison de cette autofluorescence rouge devait donc être recherchée dans les changements structurels de la matrice organique de la dentine et semblait être liée à l’existence d’une réaction biochimique conduisant à l’accumulation de produits fluorescents. L’observation en microspectroscopie Raman a montré que l’apparition d’une coloration rouge et l’accumulation d’AGE, produits finals de la réaction de Maillard, sont concomitantes, suggérant donc l’influence de cette réaction de Maillard (encadré).

Une seconde étude in vitro [9] avait pour objectif principal de déterminer les composants chimiques (organiques et minéraux) des dentines saine et cariée grâce à la microspectroscopie Raman. De plus, elle se proposait de confirmer, grâce à la technique de chromatographie en phase liquide à haute performance (CLHP) et au dosage de la pentosidine et des molécules de pontage du collagène naturellement fluorescentes, la corrélation entre signal Raman et celui d’autofluorescence observée avec la caméra SoproLife®. Les mesures ont été faites sur des coupes préparées à partir de 2 dents extraites porteuses de lésions aux scores ICDAS 5 et 6 [19] ainsi que sur 2 échantillons de dentine cariée, montrant une autofluorescence rouge lorsqu’ils étaient observés avec la caméra SoproLife® en mode « diagnostic », prélevés sur 2 patients différents. Les résultats principaux étaient les suivants :

• après observation avec la caméra SoproLife®, la dentine cariée apparaissait de couleur brun sombre en mode « lumière du jour » et noire avec une ombre rouge en mode « diagnostic » alors que la dentine saine apparaissait jaune pâle en mode « lumière du jour » et verte en mode « diagnostic », tandis que l’émail sain était bleu blanc ;

• la CLHP a montré que les concentrations des molécules de réticulation du collagène physiologiquement fluorescentes des dentines saine et cariée étaient comparables alors que la concentration en pentosidine augmentait dans la dentine cariée ;

• il semblerait qu’un lien existe entre variations du spectre Raman dans les phases organiques et minérales des dentines saine et cariée et variations d’autofluorescence observées avec la caméra SoproLife® en mode « diagnostic » ;

• il existerait une relation étroite entre réaction de Maillard et variations d’autofluorescence observées avec la caméra SoproLife®.

Performance diagnostique

Quatre études ont porté sur les performances diagnostiques de la caméra SoproLife® en termes de sensibilité, spécificité et reproductibilité dans la détection des lésions carieuses : 1 in vitro [10] et 3 in vivo [11-13].

Gomez et al. [10] ont réalisée une étude sur dents extraites pour comparer 7 méthodes de détection des lésions occlusales : visuelle en référence aux critères ICDAS [19], caméra SoproLife®, radiographie numérique, transillumination par fibre optique (FOTI®), tomographie par cohérence optique (OCT®) et 2 systèmes d’autofluorescence quantitative photo-induite (QLF-Inspektor Research Systems® et QLF-Custom®). Les résultats ont montré une bonne reproductibilité intra-examinateur quelle qu’ait été la méthode testée. De plus, toutes, exceptées l’OCT®, montraient des résultats hautement corrélés à l’histologie (standard de référence). Néanmoins, quelques variations ont été enregistrées concernant la sensibilité pour la détection des lésions amélaires – de 0,62 à 0,95 (SoproLife® : 0,74) – et dentinaires – de 0,82 à 0,93 (SoproLife® : 0,82). Les spécificités variaient, elles, de 0,84 à 0,94 dans le cas de lésions amélaires et de 0,80 à 0,98 pour les lésions dentinaires (SoproLife® : 0,86 dans les deux cas).

Les études in vivo sélectionnées dans le présent travail [11-13] ont,toutes trois, utilisé les critères visuels ICDAS comme standard de référence [19]. En complément, le tableau 3 récapitule les principaux points des matériels et méthodes (nombre d’examinateurs, type et nombre de dents concernées, nombre et caractéristiques des patients inclus). S’il est difficile de comparer les résultats obtenus dans la mesure où les protocoles d’étude sont très différents, quelques points peuvent cependant être soulignés comme la variation des résultats obtenus en fonction des études. En effet, si Rechmann et al. [11] et Zeitouny et al. [12] ont enregistré des sensibilités élevées pour la caméra SoproLife® (respectivement 0,95 et 0,93), l’étude le plus récemment publiée a seulement enregistré une valeur de 0,43. De même, la spécificité variait de 0,55 à 1,00 en fonction des études. La valeur de l’aire sous la courbe (ROC, receiving operating characteristics), évaluée dans une seule des 3 études, indiquait que, parmi les systèmes testés, la caméra SoproLife® permettrait une meilleure discrimination des lésions carieuses dans les conditions de l’étude que les autres méthodes [11]. Zeitouny et al. [12], tout comme Theocharopoulou et al. [13], ont conclu à une équivalence entre caméra SoproLife® et examen visuel selon les critères ICDAS [19] en terme de reproductibilité interexaminateur.

Conclusion

L’origine de l’autofluorescence observée grâce à la caméra SoproLife® serait liée à la réaction de Maillard entre sucres et protéines avec une dégradation des acides aminés ; il est cependant possible que cette réaction ne soit pas la seule responsable, car la couleur rouge orange obtenue in vitro est différente de la couleur rouge foncé observée in vivo. D’autres travaux sont donc nécessaires pour étudier notamment l’influence du métabolisme bactérien (par exemple, Streptococcus mutans) en association avec la réaction de Maillard sur la génération de l’autofluorescence rouge.

Concernant la détection des lésions carieuses, les premières évaluations in vivo ont montré des résultats très intéressants qui restent cependant à confirmer par le biais de nouvelles études cliniques portant notamment sur un grand nombre de dents tant temporaires que définitives et intégrant aussi une comparaison avec la radiographie rétrocoronaire. La caméra SoproLife® est un outil innovant combinant aides diagnostique et thérapeutique en cariologie ; elle permet aussi de sous-tendre la communication praticien-patient. Enfin, exempt de tout rayonnement ionisant, le dispositif SoproLife® pourrait notamment être utile lors de la détection de lésions chez les enfants et les femmes enceintes.

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LA RÉACTION DE MAILLARD

→ Réaction entre sucres et protéines avec dégradation des acides aminés et production d’un polymère brunâtre de protéines transliées et de produits avancés de glycation (AGE : advanced glycation end products) tels que la pentosidine qui a des propriétés d’autofluorescence.

→ Le principal composant de la matrice organique de la dentine, le collagène fibreux de type I, pourrait générer, en fonction de la longueur d’onde d’excitation, des signaux d’autofluorescence. L’autofluorescence du collagène pourrait donc indiquer l’état de la dentine : sain ou touché par le processus carieux.