L’e-démocratie, entre illusion et réalité… - Clinic n° 09 du 01/10/2015
 

Clinic n° 09 du 01/10/2015

 

SOCIÉTÉ

Internet

Philippe DE JAEGHER  

ph.de-jaegher@orange.fr

Si l’Internet a été dès ses débuts un lieu d’expression des idées et des opinions, sa diffusion massive dans la société peut-elle en faire un vecteur de la revitalisation de la vie démocratique ?

Selon le site We Are Social, le cap des 3 milliards d’internautes a été passé cette année(1). Mais ce qui est surtout notable, c’est le développement de l’usage de l’Internet mobile : 84 % des Français sont des utilisateurs actifs de l’Internet et 45 % bénéficient d’un accès via un téléphone portable. Nous assistons également au passage au premier plan des usages sociaux de l’Internet : 45 % des internautes sont actifs sur les réseaux sociaux et y consacrent en moyenne 1 heure 29 minutes par jour. Est-il possible, compte tenu de cette diffusion massive, d’envisager un usage démocratique de l’Internet ?

Dans son cours sur le gouvernement de soi et des autres, le philosophe Michel Foucault distinguait, dans la pratique démocratique, le droit de prendre la parole, dont bénéficie tout citoyen, du fait d’en user effectivement dans un but politique, d’argumenter pour persuader les autres(2). L’Internet répond bien à la première acception puisque chacun peut effectivement échanger sur un pied d’égalité. En revanche, il est difficile de trouver des exemples où arguments et débat pourraient contribuer à l’élaboration d’une position consensuelle.

Une consultation lancée par la Direction générale de l’environnement de la Commission européenne est révélatrice de cette situation(3). Elle portait sur la ratification de la convention de Minamata sur le mercure et, dans un point concernant les amalgames dentaires, il était demandé aux participants si leur utilisation devrait être :

• réduite progressivement en conformité avec les dispositions pertinentes de Minamata ;

• soumise à une élimination progressive (peut-être avec certaines exceptions justifiées).

Sur environ 3 700 participants, 85,41 % ont opté pour l’élimination progressive ; 50 % des votants ne se sont pas prononcés sur les aspects de la convention ne concernant pas les amalgames. Il semble que cette consultation a été une tribune pour des associations militantes. L’une d’entre elles titrait sur son site : « Les citoyens ont exprimé une demande massive pour que soit éliminé l’amalgame », passant sous silence le nombre de participants, le caractère « progressif » et les « exceptions justifiées ». Une véritable démarche démocratique aurait consisté à discuter des conséquences en termes de santé publique de cette décision, ainsi que des solutions de remplacement. Or, 90 % des votants n’ont pas émis d’avis pour les neuf questions portant sur ces points.

Si de nombreux internautes sont prêts à manifester une opinion sous un pseudonyme ou à signer une pétition d’un clic de souris, bien peu entendent assumer les conséquences de leurs choix. Car, comme le note Michel Foucault, celui qui prend la parole face aux autres citoyens, aux dirigeants ou à ses pairs pour dire la vérité, prend toujours un risque. La pneumologue Irène Frachon, à l’origine des révélations sur le scandale du Mediator, évoquait dans les colonnes du journal Le Monde comment son acte avait constitué une mise à l’épreuve de sa propre vie. Elle concluait en disant son espoir de voir se développer des mouvements de contre-lobby, à l’image du collectif Regards Citoyens qui a analysé la base de données publique référençant les cadeaux et contrats versés par les laboratoires pharmaceutiques aux praticiens de santé(4).

Certes, le rôle des lanceurs d’alerte est souvent déterminant, mais il ne faut pas minimiser celui des collectifs de citoyens, ni celui des utilisateurs de ces sites qui, par leur présence, contribuent à la motivation des plus actifs.

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