Une affaire de famille - Clinic n° 06 du 01/06/2013
 

Clinic n° 06 du 01/06/2013

 

Passions

FANNY GRÉGOIRE  

Hyperactif, Philippe Cassignol mène de front deux activités professionnelles – son cabinet de dentisterie à Rivesaltes et son exploitation viticole à Villeneuve-les-Corbières – distantes de 41 km. Cela fait une quarantaine d’années que cela dure et, à bientôt 70 ans, il n’est pas près de baisser les bras.

Pourquoi avoir choisi la dentisterie ?

Plutôt littéraire, j’ai commencé des études de droit sans conviction, que j’ai assez vite interrompues. Je suis parti faire mon service militaire. À mon retour, mon frère m’a dit : « Comme tu es habile de tes mains, je t’ai inscrit en dentaire. » Il avait vu juste. Les TP en petits groupes dans une ambiance très conviviale, cela me convenait très bien. Mes études de dentaire à Toulouse m’ont passionné et je suis sorti dans les premiers.

Comment s’est manifestée votre habileté manuelle ?

Dans le travail du bois. J’ai toujours aimé le contact et l’odeur du bois. Après une enfance en Algérie au grand air, proche de la mer et des bateaux, je me suis passionné pour la voile. À 14 ans j’ai construit mon premier bateau – une périssoire –, puis un boucanier, dériveur du type 420. Le dernier était un voilier en bois de 17 m de long, très rapide. C’était un cotre de 1913 dont il ne restait que la coque. J’ai tout refait, le pont, la superstructure…

Avez-vous beaucoup navigué ?

J’ai été moniteur l’été de 14 à 20 ans dans la baie de Morlaix. La voile est un sport que j’ai beaucoup aimé pratiquer. Pas tant pour la compétition, même si j’ai eu le plaisir de gagner quelques courses avec L’Épatant, que pour l’esprit et l’ambiance « entre soi » du club nautique de Carantec dans les années 1970. J’étais extrêmement snob à l’époque !

Mais vous avez préféré la terre à la mer.

Quatre ans après avoir ouvert mon cabinet – en 1976 –, j’ai fait le constat que je ne pouvais pas continuer à exercer 6 jours sur 7. J’avais besoin de m’évader, de vivre au plein air. Surtout, je voulais m’occuper de l’exploitation viticole familiale, propriété de la famille depuis le Xe siècle si j’en crois ma grand-mère paternelle, née Bellisent. Je me suis donc inscrit à l’école d’agriculture pour avoir mon BEPA (brevet d’aptitude professionnelle agricole, qui permettait d’acquérir le statut de chef d’exploitation) : une formation de 2 jours par semaine conciliable avec mon exercice au cabinet. J’ai repris la propriété à la mort de mon père en 1978 avec mes deux frères associés dans le cadre d’un GFA (groupement foncier agricole). Aujourd’hui, je suis seul propriétaire.

Quel est le point commun entre le chirurgien-dentiste et le viticulteur ?

L’autonomie. Être son propre patron, être décisionnaire, c’est prioritaire pour moi.

Exercez-vous et travaillez-vous seul ou avec une équipe ?

Au cabinet j’exerce seul, aidé de mon épouse depuis plus de 40 ans. J’ai eu une expérience malheureuse avec un collaborateur pendant les 5 premières années et cela a renforcé mon exigence d’indépendance. À l’exploitation, après avoir eu 2 employés permanents, je n’emploie plus que du personnel saisonnier. Ces jeunes, le temps qu’ils travaillent, font partie de la même grande famille. Ils mangent à ma table.

Comment conciliez-vous vos deux activités professionnelles ?

J’ai fait valoir mes droits à la retraite l’an dernier, mais je continue à exercer 3 jours par semaine au cabinet et 4 à l’exploitation. J’ai ce rythme depuis plus de 30 ans et il me convient parfaitement.

Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Un double équilibre, personnel et financier. Si je n’avais pas opté pour cette alternance, je n’aurais jamais pu continuer à exercer la dentisterie aussi longtemps, comme la plupart de mes confrères qui arrêtent parce qu’ils n’en peuvent plus. Et actuellement, la propriété a besoin des revenus du cabinet.

Quels intérêts trouvez-vous au travail d’exploitant viticole ?

Je crois qu’il n’y a pas de métier plus complet, plus abouti. Il faut savoir tout faire. Conduire les tracteurs mais aussi s’occuper du matériel, des engins et des bâtiments, donc être quand il le faut plombier, maçon, menuisier, mécanicien…, savoir gérer le personnel saisonnier. Et, bien sûr, traiter, tailler, récolter, vinifier mais aussi commercialiser. Après avoir confié la commercialisation pendant quelques années sur le Fitou, j’envisage de la reprendre chez moi. C’est beaucoup plus intéressant.

Répartie sur 3 communes jusqu’à il y a quelques années, la propriété familiale de Philippe Cassignol – 70 ha, dont 39 destinés à la production – est aujourd’hui regroupée sur Villeneuve-les-Corbières. Elle produit 4 appellations : Fitou, Rivesaltes, Corbières et Vin de pays.

L’évolution de la clientèle du cabinet

« Composée pour l’essentiel de petits propriétaires terriens relativement aisés, progressivement mangés par les charges, ma clientèle a fait place à une population « rurbaine » d’employés et de manutentionnaires. J’ai vite pris conscience que ma clientèle, de plus en plus désargentée – de 20 à 25 % de CMU – ne pourrait pas suivre des soins de plus en plus techniques. C’est pourquoi j’ai choisi de me concentrer sur les soins conservateurs et je ne le regrette pas. »