Recollons les morceaux - Clinic n° 07 du 01/07/2013
 

Clinic n° 07 du 01/07/2013

 

DENTISTERIE RESTAURATRICE

Direct ou indirect ?

Sur le stand de la société japonaise GC, je rencontre mon ami Pierre Jonas. Pierre a été l’un des premiers praticiens français à parler des ciments de verre ionomère dans notre pays.

C’est aujourd’hui un expert en biomatériaux dentaires. Quelques secondes plus tard, André Krief nous rejoint. Ce dernier se pose en dénonciateur des travers de la société en général et de tout ce qui affecte notre profession en particulier. Vous...


Direct ou indirect ?

Sur le stand de la société japonaise GC, je rencontre mon ami Pierre Jonas. Pierre a été l’un des premiers praticiens français à parler des ciments de verre ionomère dans notre pays.

C’est aujourd’hui un expert en biomatériaux dentaires. Quelques secondes plus tard, André Krief nous rejoint. Ce dernier se pose en dénonciateur des travers de la société en général et de tout ce qui affecte notre profession en particulier. Vous lisez régulièrement son billet d’humeur dans le Journal de la Société odontologique de Paris. Entre le calme olympien de Pierre, certainement acquis de la fréquentation assidue des Japonais, et le bouillonnement de l’impétueux André, j’ai droit à une discussion courte mais animée où il se dit beaucoup de bien de confrères en vue et un peu moins de certains autres (fig. 24). La dentisterie a minima séduit Krief, qui nous vante les avantages des facettes et des onlays par rapport aux couronnes autrement plus délabrantes. Pierre et moi émettons quelques réserves face à ce bel enthousiasme : inlays et onlays exigent une mise de dépouille qui élimine nécessairement beaucoup de dentine et d’émail. Une obturation directe, oui, est incontestablement la solution la moins mutilante. Sauf qu’au tarif de la NGAP, les efforts pour épargner la pulpe et offrir aux patients des traitements à ce point conservateurs sont loin d’être récompensés financièrement. La France, qui s’enorgueillit d’offrir au plus grand nombre des soins de qualité au meilleur prix, démontre ici la profonde incohérence de son système de remboursement. « Gradient thérapeutique », certes. Mais si vous exercez à la campagne plutôt que dans les bobos quartiers parisiens, les réalités économiques vous rattrapent et vous contraignent à un pragmatisme qui n’a plus rien à voir avec la santé publique. En vérité, peu de monde partage ce genre de construction intellectuelle. Un ami suisse, qui travaille sous microscope opératoire, m’expliquait qu’exerçant près de la frontière germanique, ses patients allemands préféraient se faire poser des couronnes, pourtant bien plus chères mais mieux remboursées par les assurances, que des restaurations directes, plus économes de leurs tissus dentaires. Vous voyez, il n’y a pas qu’en France qu’on marche sur la tête ! C’est l’évidence même : cette année fait plutôt la part belle à la CFAO, inscrite en droite ligne dans ce concept de dentisterie préservatrice d’un côté, mais pas franchement économique de l’autre.

À la masse…

Les deux tendances du moment sont, d’une part, les matériaux pour l’obturation en masse des cavités (Bulk Fill) et, d’autre part, ceux à vocation esthétique, avec plusieurs opacités différentes reproduisant au mieux l’aspect naturel de la dent.

L’IDS 2011 a été marqué par le lancement du SonicFill de Kerr. Une véritable révolution que ce composite capable de durcir sur une épaisseur de 5 mm et doté de qualités esthétiques très acceptables. Délivré en bouche grâce à une pièce à main spécifique qui le fluidifie par vibrations soniques, il peut remplir sans bulles les moindres recoins des cavités en quelques secondes. Malheureusement, je ne suis pas certain que ce produit soit un immense succès commercial, sans doute en raison de son concept un peu confidentiel et de son coût supérieur à celui des systèmes classiques. Quand on sait que la majorité des chirurgiens-dentistes continuent d’utiliser des composites en seringues à vis essentiellement pour une question de prix, ceci explique sans doute cela.

Cette année, c’est le Japonais GC qui se lance dans l’obturation en masse. Il nous propose, lui, l’everX Posterior, un tout nouveau matériau dont les charges sont constituées de fibres de verre. Sa couleur avant la prise est un peu jaune en raison de la camphoroquinone qu’il contient, mais il s’éclaircit pour devenir quasi invisible une fois dur (fig. 25). L’objectif avoué de ce composite est une extrême résistance à la traction, qualité indispensable pour les obturations proximales volumineuses qui présentent de grands porte-à-faux et subissent de fortes pressions lors de la mastication. Il s’agit, une fois de plus, de concurrencer l’amalgame que beaucoup de praticiens de par le monde utilisent encore aujourd’hui. Le vendeur m’explique que lorsqu’une fracture apparaît dans un composite habituel, c’est non seulement l’obturation mais également la dent autour qui se fendille et peut se briser complètement. Avec l’everX, les fibres empêchent la fracture de se propager, la couronne est totalement préservée. À cause de son aspect légèrement opalescent, le matériau doit être obligatoirement recouvert d’un composite esthétique au niveau des faces occlusales.

Si l’on excepte le SonicFill, le seul composite de haute viscosité qui revendique l’obturation complète des cavités avec une esthétique acceptable est le Tetric EvoCeram Bulk Fill d’Ivoclar Vivadent. Comme la plupart des composites de cette marque, celui-ci est assez ferme. Il nécessite souvent une sous-couche de flow pour remplir les recoins les plus difficiles d’accès. Au détour de mes pérégrinations, j’aperçois le stand de la société américaine Vista. Il y a 2 ans, un encart dans la dernière page de son catalogue annonçait l’arrivée imminente d’une sorte de stylo distributeur de composite et réchauffeur de capsules. Aujourd’hui, le Therma-Flo est bien au point et exposé aux yeux de tous (fig. 26). Le responsable de la marque commence son laïus en m’expliquant tout l’intérêt de réchauffer les composites pour les fluidifier, mais pas seulement : leurs propriétés mécaniques seraient améliorées ainsi que leur degré de conversion, selon une bibliographie fournie dans la notice du produit. J’ai quant à moi appris que la rétraction de prise était au contraire accentuée et que le matériau en seringue, lorsqu’il est réchauffé et refroidi plusieurs fois, finit par se déteriorer. Cela n’est pas grave : je lui explique que l’intérêt de son système, c’est surtout de délivrer du composite en capsule dans une cavité d’une façon plus confortable qu’avec un pistolet. La pression exercée par le moteur devrait faciliter la manœuvre, même sans chauffer le matériau. Accessoirement, le système pourrait – dans la limite des propriétés du composite utilisé – concurrencer le Sonic Fill. Intrigué, et ignorant cette possibilité qui semble lui ouvrir de nouveaux horizons, il s’en convainc en essayant quelques capsules de Tetric Bulk Fill aimablement mises à notre disposition par le représentant d’Ivoclar, que je connais bien. Effectivement : même froid, le produit fuse parfaitement et sans effort grâce à son prodigieux appareil. Le Therma-Flo est malheureusement un peu volumineux, à cause du moteur qu’il contient et du dispositif de réchauffage à l’intérieur qui relaye, durant quelques minutes, celui du petit bloc à côté lui, branché sur secteur. Deux embouts de tailles différentes, plus étroits, en alu à usage unique, peuvent être vissés sur les capsules de composite pour réduire le diamètre de leur buse et remplacer un composite fluide, tout en conservant les bonnes propriétés mécaniques d’un hybride fortement chargé.

…Ou sur mesure

Côtoyer Pierre Jonas offre quelques avantages, car il connaît tout le monde. J’ai ainsi pu saluer le grand patron de GC qui, tout sourire, m’a aimablement donné sa carte de visite.

J’ai également serré la main d’une tête connue : l’Italien Angelo Putignano que l’on voit beaucoup en photo ces temps-ci. Encore un as de la dentisterie esthétique, dont je retrouve l’empreinte sur le stand 3M ESPE. En matière de composites, la grande firme américano-germanique n’a strictement rien à nous offrir cette année. Alors, pour donner l’impression qu’elle innove une fois de plus, elle a prévu un petit stand dénommé « Style Italiano », avec quelques bottes de spaghetti entourant ses produits dans une vitrine (fig. 27). Vous rêvez de devenir le Michel-Ange des restaurations antérieures ? Il suffit de suivre les recommandations en images sur l’iPad consultable sur le stand. Le fameux style italien est un protocole simplifié pour réaliser les stratifications. Il était temps ! Avec son teintier rudimentaire en forme de disque de carton plastifié, sa multitude de nuances et d’opacités et sa nomenclature bien difficile à saisir, le Filtek Supreme XTE avait de quoi décourager les meilleures volontés. C’est pourtant un matériau d’une qualité exceptionnelle, tant par ses performances mécaniques que par son rendu esthétique et son agrément d’utilisation : une pâte onctueuse, qui ne coule pas, s’étale merveilleusement et se modèle avec une facilité extrême. Grâce à l’italian touch, on peut désormais égaler les plus grands en utilisant seulement deux opacités : l’une pour la dentine, l’autre pour l’émail. Eurêka, c’est l’œuf de Christophe Colomb ! Sauf que cette méthode ne date pas d’aujourd’hui. Didier Dietschi, notamment, l’a décrite et préconisée il y a bien longtemps avec le Miris de Coltène Whaledent, mais il n’est pas le seul (fig. 28).

De nouveaux composites à plusieurs opacités, on en trouve chez les fabricants japonais : Tokuyama, avec l’Estelite Asteria, et Kuraray dont j’ai testé récemment le dernier Clearfil Majesty ES-2. Comme souvent chez les Nippons, les charges sont sphériques, ce qui les rend extrêmement agréables à manipuler. Quant au rendu final, il est très proche de la réalité avec une aptitude au polissage remarquable.

Peu s’y collent

Question adhésifs amélo-dentinaires, rien de nouveau sous le soleil, ou presque : chez l’Australien SDI, un produit résineux à base de ciment de verre ionomère en capsules à vibrer.

Joli conditionnement rouge, avec sur le dessus un opercule que l’on perfore à l’aide de la microbrossette pour y puiser le précieux liquide, légèrement plus visqueux qu’un adhésif classique. Le Riva Bond LC est un adhésif avec mordançage censé coller, grâce à sa relative plasticité et sa capacité d’absorber le stress de contraction des composites, d’une manière plus efficace qu’un système conventionnel avec moins de sensibilités postopératoires (fig. 29). L’autre innovation est le Futurabond U chez l’Allemand VOCO. Dans ses petites augettes fermées par un opercule d’aluminium, c’est le premier adhésif automordançant à prise duale en unidoses. On presse un compartiment pour faire glisser son contenu dans l’autre et assurer le mélange au moment de l’utilisation, puis on perce la protection sur le dessus avec la microbrosse. Cette présentation assez simple est finalement très pratique et astucieuse puisqu’elle limite les manipulations comme l’ouverture et la fermeture d’un flacon avec son bouchon à vis (fig. 30). Le Futurabond U est un adhésif universel : on peut l’employer avec ou sans mordançage, ou encore limiter l’action de l’acide phosphorique à l’émail seulement. Il convient à tous les types de composites, photopolymérisables ou à prise duale.

Ce concept, que l’on a découvert l’année dernière avec le Scotch Bond Universal (3M ESPE), semble se développer de plus en plus. Souhaitons que cette dernière version révèle des performances au moins aussi bonnes que les M&R traditionnels. Ces derniers restent encore le gold standard, en attendant l’apparition de composites dotés de propriétés adhésives leur permettant de coller à la dent sans traitement de surface. C’est un peu ce que nous propose aujourd’hui l’Allemand DMG et son Constic, à l’instar de Kerr et de Pentron auparavant, avec leur Vertise Flow et Fusio respectifs. Ce composite fluide en petites seringues s’applique directement sur l’émail et la dentine sans traitement préalable et forme une couche à la fois dure et adhérente qui soutiendra le composite de reconstitution installé par-dessus.

Pomponette : le retour

Au rayon des accessoires, pas grand-chose de transcendant mais, tout de même, deux ou trois arrêts sur quelques stands intéressants.

Ivoclar Vivadent présente un tout nouvel instrument de modelage, l’OptraSculp Pad qui accueille de petits inserts jetables en forme de minuscules disques de mousse de polyéthylène (fig. 31). On tapote avec le disque – disponible en deux tailles – la surface des composites antérieurs pour la lisser et lui donner le galbe nécessaire, sans bulles car ils ne collent pas du tout au matériau. Garrison nous propose les Composi-Tight 3D X3, dernière version de ses anneaux écarteurs mainteneurs de matrices, accompagnés des fameux coins interdentaires Wedge Wand, cette fois-ci translucides. Les inserts souples qui se coincent entre les dents sont ici bleus au lieu d’orangés (fig. 32). Plus intéressant, des strips galbés en plastique bleu, les Blue View VariStrips que je ne connaissais pas, peuvent s’avérer très utiles pour donner une forme plus naturelle aux restaurations proximales antérieures que l’on a tant de mal à reproduire avec les bandes toutes plates. Question matrices, je profite de l’occasion pour visiter le stand de la société russe TOR VM (fig. 33). C’est elle qui fabrique les succédanés des fameuses Apis qui ont bercé ma jeunesse, mais avec un galbe anatomique exceptionnellement bien formé. Celles de 35/100e mm d’épaisseur permettent pratiquement de se passer d’anneaux écarteurs, même lorsque l’on travaille le composite. Enfin, la société allemande Transcodent lance un tout nouvel embout applicateur d’adhésif – ou d’autres produits liquides –, l’Appliquator. Le pompon n’est pas en fibres synthétiques mais a la forme d’un minuscule ballon de rugby en mousse aux reliefs très travaillés. Il est disponible en deux tailles, fine ou regular, et deux flexibilités, normale ou soft. Les manches de plastique existent en quatre couleurs distinctes, correspondant chacune aux spécificités de l’embout (fig. 34). Selon le fabricant, cette conception innovante évite toute contamination de la zone traitée, comme c’est le cas avec les fibres du pompon qui peuvent s’en détacher, et assure une quantité constante de liquide prélevée à chaque usage. Vous pourrez vous faire une idée plus précise de ce mignon dispositif en consultant le site www.appliquator.com. Grâce à la complicité de la charmante hôtesse, une jeune consœur qui exerce à mi-temps dans la région de Cologne, étudie l’économie pour mieux comprendre le fonctionnement de l’industrie dentaire et rêve de poursuivre des études d’orthodontie dans le sud de la France, je me suis fait offrir quelques échantillons pour les tester.

Les sœurs lumière

J’ai repéré, enfin, deux nouvelles lampes à polymériser de grandes marques, qui feront sans doute parler d’elles dans les mois à venir.

Chez Dentsply, une SmartLite améliorée, dénommée Focus, avec exactement la même allure que la précédente mais des couleurs différentes (fig. 35). Celle-ci dispose d’un programme d’exposition de 20 secondes et d’une batterie extractible qui manquaient cruellement à la précédente version. Ivoclar Vivadent, encore lui, nous propose sa très jolie Bluephase Style dérivée des modèles plus lourds et sophistiqués de la marque (fig. 36). En forme de banane allongée, elle semble très ergonomique et très confortable d’utilisation. La bande de silicone sur le manche existe en trois couleurs : rose, bleu et gris au choix. L’affichage à diodes sur le dessus est clair et bien lisible. La fibre, large et noire, a été tronquée au bon endroit pour éviter un coude trop important qui oblige à faire ouvrir très grand la bouche des patients pour accéder aux secteurs les plus postérieurs. Le corps de la lampe abrite 3 LED de longueurs d’onde différentes qui délivrent une lumière capable d’agir efficacement sur tous les photo-initiateurs du marché. Elle ne comporte aucun élément métallique extérieur, le chargement s’effectuant par induction – comme une brosse à dents électrique – lorsque l’on place l’appareil sur son socle. Elle reprend, enfin, la même caractéristique que ses aînées : en cas de batterie défaillante, il est toujours possible de la brancher directement sur le secteur via une manipulation très simple.