Métiers de bouche - Clinic n° 11 du 01/12/2015
 

Clinic n° 11 du 01/12/2015

 

PASSIONS

CATHERINE FAYE  

Il y a quelque chose de contagieux dans la joie de vivre de Laure Daviaux. Rien de convenu ni de sophistiqué, juste le plaisir de partager, surtout un bon repas. Pour cette fine gueule, la convivialité n’est pas un vain mot. C’est le fil rouge de ses deux vocations, la dentisterie dans son cabinet de Chanteloup-en-Brie (77) et la gastronomie, que nombre de points communs relient. Dont l’art de la rigueur.

Que représente pour vous la gastronomie ?

Cuisiner, c’est l’art de faire plaisir aux gens que l’on aime et de partager un moment chaleureux.

Qui vous a appris l’art de confectionner un plat ?

La cuisine est quelque chose de traditionnel dans ma famille de viticulteurs, donc d’acquis. J’ai commencé à cuisiner très jeune avec mes grand-mères qui m’ont élevée. Je suis issue d’une tradition de femmes en cuisine qui préparaient régulièrement des repas pour 30 personnes, surtout pendant les vendanges. Une cuisine traditionnelle champenoise avec sa potée, son feuilleté au jambon, son gâteau au champagne – dont la recette de ma grand-mère doit rester secrète ! Des recettes de terroir faciles à exécuter, avec de bons produits, que l’on déguste à la bonne franquette et dans la convivialité.

Avez-vous des modèles ?

Dans mon entourage, j’ai toujours été admirative de mes grand-mères, bien sûr. Mais, les grands chefs sont aujourd’hui aussi des repères pour moi. J’ai pu découvrir leur cuisine dans leurs restaurants ou grâce aux émissions télévisées culinaires qui ont ouvert la gastronomie à ma génération et ont permis à de jeunes chefs de se faire connaître. Emmanuel Renaut, à Megève, est pour moi un véritable artiste avec ses dressages, de vrais tableaux. Quant à Arnaud Lallement, à Tinqueux près de Reims, il a hérité d’une affaire familiale et l’a tirée vers quelque chose de si magnifique que j’en ai pleuré lorsque je suis allée dîner chez lui avec mon mari. Je ne le connais pas personnellement mais j’ai été heureuse que trois étoiles récompensent tous ses efforts. Mon meilleur souvenir reste la cuisine de Jean-François Piège, exceptionnelle. Pour la décrire, je dirais : touchante, avec des assaisonnements magnifiques, un dressage qui relève encore une fois de l’art. Ce n’est plus de la cuisine, tout est millimétré, il n’y a rien à redire. Et tout cela dans un cadre chaleureux. Enfin, je n’oublie pas Cyril Lignac qui a rendu la grande cuisine accessible au grand public. Nous avons vraiment une chance magnifique en France que la gastronomie fasse partie intégrante de notre culture.

Que vous ont appris les grands chefs ?

Le côté artistique de leur cuisine, la finesse dans la réalisation, la minutie, l’importance de la présentation, l’élégance, le graphisme et, bien sûr, la diversité des produits travaillés. Pour moi qui ai plutôt été élevée dans la tradition gourmande et copieuse, cela a marqué un tournant : j’ai commencé à mettre les petits plats dans les grands.

Vous êtes pour le bio ?

Je suis plutôt vigilante sur la provenance des produits et sur leur qualité. Je trouve plus logique et écologique d’acheter mes produits chez les producteurs locaux, qui font une agriculture raisonnée, avec peu de pesticides et qui utilisent un circuit court. Cela me correspond plus que le bio. Je mange « saison et régional ». Et je cuisine en fonction des produits que je trouve.

Quelles qualités sont essentielles pour bien cuisiner ?

L’organisation ! Quand mes invités arrivent, tout est prêt comme dans un restaurant : mise en place, découpage, il ne reste que la cuisson minute à faire au dernier moment. Normalement, je n’ai pas de moment de panique. Quand j’ai besoin d’un gros coup de patte pour le dressage, mon mari vient à la rescousse.

Selon vous, en quoi dentisterie et gastronomie se rejoignent ?

Tout d’abord, ce sont deux métiers de bouche qui demandent énormément de travail et de rigueur. Dans les deux cas, des protocoles existent : pour les soins comme pour les recettes. Un bon exemple serait la pose d’implants et la cuisine moléculaire. Tout est maîtrisé, orchestré. Et puis, ce sont des métiers de contact, de partage et de transmission.

Comment organisez-vous votre vie entre vos deux passions ?

Une de mes enseignantes à la faculté dentaire de Reims m’a dit un jour : « Quoi qu’il arrive vous ferez un métier de bouche. » J’ai réussi à créer un équilibre entre les deux. Mais je n’ai jamais voulu ouvrir un restaurant car les sacrifices auraient été trop grands. Je veux laisser la gastronomie dans la case plaisir. Je travaille 4 jours par semaine dans mon cabinet dentaire où je suis spécialisée en parodontologie et je me forme beaucoup à côté. Pendant la semaine, je ne fais donc pas de grande cuisine, on peut se faire plaisir avec des petits plats très simples. En revanche, le samedi matin, je pars faire mon marché et je vais à la cueillette* pour préparer ce qui va se tramer pendant le week-end, consacré à la gastronomie.

Vous avez failli participer à l’émission de téléréalité culinaire Top Chef…

En février 2014, M6 m’a appelée car l’émission devait changer de formule et accueillir des top chefs amateurs. Je voyais cela comme une belle expérience, un nouveau défi. Les organisateurs avaient entendu parler de moi par le biais de concours un peu médiatisés auxquels j’avais participé. Notamment, le concours VITeff CHEF 2013, où j’ai obtenu la médaille d’or de l’Académie nationale de cuisine avec une ballottine de dinde rouge des Ardennes accompagnée de son lentillesotto au champagne et émulsion fumée terre-mer, et le concours Cuillère d’Or 2012, où j’ai été finaliste avec un tartare de Saint-Jacques sauce vierge sur lit de quinoa et sphérification de jus de betterave. Mais ça ne s’est pas fait et, en toute honnêteté, cela m’aurait pris beaucoup de temps : je ne sais pas comment je m’en serais sortie avec mon cabinet…

Un plat où vous excellez ?

Je ne refais jamais deux fois la même chose. Je n’ai donc pas de plat phare. Mais il y a un produit que j’aime par-dessus tout, c’est la noix de Saint-Jacques, c’est étonnant tout ce qu’on peut faire avec sa chair fine et raffinée: crue, cuite, juste tiède, pochée… Et puis, j’adore aller en Normandie chercher mes Saint-Jacques au port de Trouville, à peine sorties de l’eau !

  • * Cueillettes Chapeau de Paille où l’on cueille soi-même les produits locaux de saison.