S’opposer à la prothèse d’importation doit être un combat commun - Clinic n° 04 du 01/04/2016
 

Clinic n° 04 du 01/04/2016

 

LAURENT MUNEROT Président de l’Union nationale patronale des prothésistes dentaires (UNPPD)

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

À quelques jours de l’ouverture de Dental Forum*, Laurent Munerot, président de l’UNPPD, plaide pour la défense des prothésistes dentaires « de proximité » et appelle les chirurgiens-dentistes à ne pas céder à la prothèse d’importation. Il veut aussi formaliser leur collaboration avec les prothésistes.

Comment les nouvelles technologies vont-elles modifier le métier dans les 10 ans à venir ?

Cela fait des années que des confrères produisent des prothèses avec des usineuses. Mais aujourd’hui, les machines sont plus petites, plus précises, elles entrent un peu dans les cabinets dentaires et surtout, l’empreinte numérique change la façon de travailler. Pourtant, ce sont toujours des outils au service des professionnels. Le métier reste le même. Il s’agit de fabriquer des dents.

De façon différente…

Au lieu de sculpter en cire et de fondre en métal, on dessine sur un ordinateur. Il est vrai aussi que l’on commence à usiner sur des blocs de céramique ; cela va changer pour les unitaires et les inlays. Mais si on veut du travail bien fait, le prothésiste dentaire reste la personne qualifiée pour l’effectuer.

Tout le travail se fera sur écran ?

Peut-être pas tout. En tout cas pas tout de suite. Il y a 30 ans qu’on se prépare. Il faut rester prudent sur le calendrier. D’autant plus que 47 % des laboratoires sont équipés en CAO** ou CFAO** d’après notre enquête de branche, alors que seuls 2 % des chirurgiens-dentistes sont équipés de caméra intra-orale.

Les nouvelles technologies ne sont-elles un moyen de barrer la route aux prothèses d’importation ?

Ce n’est pas le cas pour l’instant ! Il y a une différence de coût et les laboratoires d’importation sont les premiers à s’équiper et à faire de la publicité. Mais dans quelques années, oui, il sera beaucoup moins intéressant d’importer.

Pourquoi avez-vous refusé Euroteknika (groupe GACD) parmi les exposants ?

Je représente les laboratoires de prothèses dentaires et je défends le travail de proximité. Je ne peux pas être favorable à un industriel qui travaille directement avec les chirurgiens-dentistes et qui fait de la publicité sur le fait que les chirurgiens-dentistes pourront ne plus faire appel aux laboratoires artisanaux !

D’ailleurs, si les chirurgiens-dentistes veulent lutter contre les réseaux de soins et les centres low cost, qu’ils commencent par faire appel au réseau des prothésistes de proximité, et non à des enseignes d’importation ou à des industriels qui veulent se comporter en marchands de prothèses en montant un laboratoire de 80 salariés qui produit moins cher que les laboratoires de proximité. Nous ne faisons pas le même travail. Je ne peux pas l’accepter.

Quels sont les risques aujourd’hui pour les laboratoires ?

Ils sont semblables à ceux des chirurgiens-dentistes libéraux. Si les libéraux disparaissent, les laboratoires de proximité disparaîtront avec eux. Si on va vers un système de réseau de soins, de cabinets low cost et de centres de santé dentaires, ils ne travailleront qu’avec de la prothèse d’importation et des laboratoires industriels. C’est aux organisations syndicales de praticiens et au Conseil de l’Ordre de savoir ce qu’ils veulent. Aujourd’hui, ces organisations luttent contre le tourisme dentaire mais pas contre la prothèse d’importation.

Vous avez participé au Grenelle de la santé bucco-dentaire. Qu’en attendez-vous ?

Nous avons participé avec intérêt en étant dans le consensus, comme l’avait demandé l’Ordre. Mais comme d’habitude, on ne va pas au fond des choses. On dit que l’on veut aller vers une médicalisation de la dentisterie pour lutter contre la marchandisation, que l’on veut revaloriser les soins. C’est très bien. Les patients seront mieux soignés. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Entre-temps, il faudrait travailler ensemble, admettre que le prothésiste est un collaborateur et que l’on doit travailler plus en coopération pendant les études et après. Une formalisation de la collaboration avec la signature de conventions ou de contrats qui établissent le lien entre le chirurgien-dentiste et son prothésiste me paraît indispensable pour éviter le coup par coup ou les règles inventées au fur et à mesure. On veut entendre dire que le prothésiste est le collaborateur indispensable du chirurgien-dentiste pour la fabrication des bridges sur implants, par exemple. Nous avons demandé à participer aux études sur les prix pratiqués et sur les conventions dentaires. Car les mutuelles qui orientent les patients vers des praticiens « moins chers » font le jeu de la prothèse d’importation.

Je ne crois pas que l’issue soit dans la CFAO. Les investissements sont très élevés. Et puis cela pose la question de la qualité et de la satisfaction du patient.

  • * Dental Forum, du 7 au 9 avril au Parc floral de Vincennes.

  • ** CAO : conception assistée par ordinateur. CFAO : conception et fabrication assistées par ordinateur.